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Il récolte les fruits de son éthique

Patrick Deegbe a créé un réseau de commerce équitable et biologique entre son pays, le Ghana, et la Suisse

Patrick Deegbe a créé un réseau de commerce équitable et biologique entre son pays d'origine et d'adoption, le Ghana et la Suisse

Son premier séjour en Suisse a plongé Patrick Deegbe dans une Helvétie profonde que peu d'autochtones connaissent. Pendant trois mois, en 1991, c'est au son du yodle que l'ingénieur agronome ghanéen a trait des vaches, à 5 heures du matin, dans la campagne zurichoise. «Je pensais que chaque Suisse écoutait du yodle, travaillait dur et soupait, tous les soirs, d'un café complet. Et que, chaque dimanche, le café schnaps était réservé d'office aux hommes et le dessert à leur épouse», se souvient-il en riant de cette expérience si exotique, qui a eu lieu dans le cadre d'un échange entre universités. «La fille du paysan, qui travaillait dans une banque, me faisait le topo chaque soir en anglais de la journée à venir», souligne celui qui ne savait alors pas un mot de français.
A son retour au pays, Patrick Deegbe entame un master sur la protection des plantes à l'université du Ghana et, sur le terrain, dans le village de Tubaman-Weija où il se rend compte du dur labeur des paysans manquant de matériel comme de débouchés commerciaux. A la même période, le jeune homme rencontre Christiane, sac sur l'épaule estampillé d'un «Switzerland», présente au Ghana pour un programme d'échange humanitaire. Il l'approche, lui dit être allé dans son pays, elle ne le croit pas, mais c'est sans compter sur la cassette de yodle qu'il a rapportée de son séjour... Ils vivront leur idylle pendant une année avant qu'elle ne reparte pour la Suisse et qu'il ne la rejoigne en novembre 1995 pour l'épouser.

Du McDo au bio
A Lausanne, Patrick Deegbe apprend le français, surtout avec sa belle-maman valaisanne, et trouve des petits boulots. «Au début, c'était difficile. Je travaillais au MacDonald's, je rentrais fâché tous les soirs», relève l'ingénieur qui trouvera ensuite du travail dans son domaine, une fois ses diplômes reconnus. Parallèlement, celui qui était déjà à Accra président de l'association des étudiants en agronomie est élu - grâce à son âme de leader sûrement - à la Chambre consultative des étrangers de Lausanne. Il y apprendra le fonctionnement de la politique communale et trouvera encore le temps de se lancer dans un second master en audit de l'environnement (ISO 14001).
A l'issue de cette spécialisation, un mandat prévu avec le CIO est annulé. «Une affaire de corruption leur a fait mettre de côté la question de l'environnement», explique-t-il. Au bénéfice du chômage et d'un temps propice à la réflexion, il repense aux paysans de Weija. «Je suis tombé sur un tracteur bon marché, puis une camionnette. En payant peu à peu, j'ai pu envoyer tout ça au village. Mon idée était de créer une ONG. Mais là-bas on m'a conseillé de lancer une entreprise.» WAD, acronyme de Weija Agricultural Development, est né. Presque en même temps que la première de ses deux filles...
Sans aucun «business plan», Patrick Deegbe suit les opportunités, les conseils, les besoins. Avec flexibilité, créativité, et persévérance. Son idée d'importer des plantes aromatiques du Ghana, histoire de permettre aux paysans de se diversifier, tombe à l'eau faute d'infrastructure: «On ne pouvait pas conserver le basilic. Il n'y avait pas de frigo à l'aéroport d'Accra», explique-t-il. Un peu par hasard, il ramène de son pays, deux cartons d'ananas «pain de sucre» (du nom de leur forme allongée). A son grand étonnement, le succès est immédiat. «J'en ai vendu un carton à un magasin bio qui m'en a redemandé...» Il renonce à l'idée de commercialiser ses ananas dans les grandes surfaces, suite à un imbroglio cauchemardesque avec l'un des grands distributeurs suisses, et demande alors une place au marché de Lausanne qui lui sera accordée en bas de la rue de Bourg le samedi.

Oiseau migrateur
Aujourd'hui, en plus du marché, Patrick Deegbe fournit une quinzaine de magasins bio en Suisse romande, quelques distributeurs de fruits secs du côté alémanique, et vend directement ses produits dans son épicerie les mercredis et vendredis. Aux ananas se sont ajoutés les mangues, les papayes, les noix de coco, les fruits de la passion, les piments, de différentes régions du Ghana. Son épouse confectionne également confitures et sauces de piment, pendant que lui, suite aux bons conseils d'un agriculteur vaudois, élabore des jus à l'aide d'un pressoir artisanal. A Pully, trois employés à temps partiel sont salariés. Au Ghana, une centaine de paysans, tous autonomes et participant aux décisions, ainsi qu'une trentaine de personnes dans une unité de séchage des fruits travaillent pour WAD. Trois fois par année, à son grand bonheur, Patrick Deegbe se rend sur le terrain pour améliorer les techniques de culture et l'unité de transformation. Récemment il a également voyagé en Colombie avec la Chambre de commerce suisse, où il pourrait être amené à collaborer avec d'autres petits paysans, ainsi qu'en Corée du Sud, dans le cadre du Mouvement international de l'agriculture biologique (l'Ifoam). Un business qui roule donc, avec l'énergie du cœur...

Aline Andrey

www.wadco.ch


Le témoignage radiophonique de Patrick Deegbe sera diffusé sur Radio Django - www.django.fm - en direct de Pole Sud à Lausanne, mardi 27 octobre, entre 18h et 19h (podcasts disponibles par la suite).