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Hors d'usage avant l'heure?

Le Centre européen de la consommation a réalisé une étude sur l'obsolescence programmée

Une machine à laver qui rend l'âme après quelques années d'utilisation, un téléviseur qui tombe en panne au lendemain de l'expiration de la garantie, même finalité pour une imprimante, déclarée irréparable... Malchance ou stratagème d'industriels limitant volontairement la durée de vie des produits afin de pousser à de nouveaux achats? Association franco-allemande d'information et de conseils aux consommateurs, le Centre européen de la consommation s'est penché en avril dernier sur la question. Dans son étude sur «L'obsolescence programmée ou les dérives de la société de consommation», il présente les causes et conséquences de ces articles qui durent moins longtemps qu'avant...

Qui n'a jamais fait l'expérience d'un article qui tombe en panne bien plus vite que dans un délai raisonnablement attendu et qui, comme par hasard, se révèle irréparable? Quel usager n'a jamais pesté en constatant qu'une garantie venait d'expirer alors que son appareil avait juste cessé de fonctionner. Ce consommateur lambda est peut-être une victime de l'obsolescence programmée. Un terme pour désigner le stratagème de fabricants qui réduiraient délibérément la durée de vie de biens et produits dans la perspective d'inciter le consommateur à en acheter de nouveaux. Selon le Centre européen de consommation (CEC), «ces techniques peuvent notamment inclure l'introduction volontaire d'une défectuosité, d'une fragilité, d'un arrêt programmé, d'une limitation technique, d'une impossibilité de réparer ou d'une non-compatibilité logicielle».

Défaut fatal...
D'après l'étude du CEC, il existe plusieurs catégories d'obsolescence programmée. La plus courante est celle dite technique ou technologique, qui revêt plusieurs facettes. Il y a par exemple l'obsolescence «par défaut fonctionnel». «Il s'agit d'une technique qui vise à avancer la fin de vie d'un appareil. Les producteurs font en sorte que si une seule et unique pièce de l'appareil tombe en panne, c'est l'appareil entier qui cesse de fonctionner.» Sont particulièrement visés par cette pratique les produits électriques ou électroniques tels que les téléviseurs, les téléphones portables, les machines à laver ou encore les ordinateurs.
Dans cette même catégorie, on trouve l'obsolescence «par incompatibilité». Une tactique qui a essentiellement cours dans l'informatique.

Problème de compatibilité
«Elle vise à rendre inutile un produit par le fait qu'il n'est plus compatible avec les versions ultérieures ou celles d'un concurrent. C'est notamment le cas des logiciels.» L'obsolescence «indirecte» se caractérise pour sa part par le fait que des accessoires du bien principal ne se trouvent quasi plus sur le marché, rendant l'usage de l'objet souvent impossible. Un problème principalement rencontré dans le domaine des téléphones portables et de leurs chargeurs de batterie par exemple. Enfin, l'obsolescence «par notification» consiste à concevoir un produit signalant à l'utilisateur qu'il est nécessaire de le réparer ou de le remplacer, tout ou en partie. Les imprimantes qui rendent souvent obsolètes les cartouches d'encre avant l'heure sont particulièrement touchées par ce mode de faire.

Accroc au dernier cri
Participe aussi à cette durée de vie réduite des produits, l'obsolescence par péremption - qui vise à raccourcir artificiellement la limite de consommation de denrées - ou encore celle «esthétique». Dans ce dernier cas, on touche à la psychologie des consommateurs. «Ceux-ci trouvent quelque chose vieux ou démodé et ils décident de se remettre à la mode. La particularité de cette forme d'obsolescence programmée est qu'elle intervient avant la mort du produit, avant sa panne. Le produit est jeté alors qu'il est encore fonctionnel.» Plus récente, l'obsolescence «écologique» titille la fibre éthique du consommateur l'incitant à renouveler ses anciens appareils par d'autres plus performants, moins gourmands en énergie ou polluant moins. Et le CEC de s'interroger sur le réel bénéfice de ces nouveaux produits écologiques justifiant l'abandon d'anciens pourtant en parfait état de marche et dont le réel bénéfice pour la planète reste à prouver, faute de recul.

Tragédies humaine et environnementale
Le CEC aborde aussi dans son étude l'impact de cette obsolescence sur l'environnement. Et dénonce «l'épuisement des ressources naturelles» en raison de la régularité à laquelle sont renouvelés appareils électriques ou électroniques. Le problème de leur recyclage est également mis en avant, le centre relevant que 70% de ces équipements, au lieu d'en faire l'objet, «sont incinérés, enfouis ou traités dans des filières informelles» donc échappant à un tri collectif. L'obsolescence programmée provoque encore indirectement l'exploitation d'une main-d'œuvre bon marché souvent soumise à des conditions de travail inhumaines: «En effet, en raison d'une demande toujours plus forte, causée par la réduction volontaire de la durée de vie des biens d'équipements électriques et l'électronique, il faut réduire également les coûts de production afin qu'il soit plus avantageux d'acheter un appareil neuf en remplacement de l'ancien plutôt que de le faire réparer.» Enfin, les dates de péremption exagérées de denrées entraînent un énorme gaspillage alimentaire.

Sonya Mermoud



A la casse avant l'heure...
Si le phénomène de l'obsolescence programmée a pris de l'ampleur, il n'est pas récent. L'une de ces premières applications à grande échelle remonte aux années 20. A cette époque, la durée moyenne d'une ampoule à incandescence classique s'élevait à quelque 2500 heures. Une durée de vie relativement longue ne générant guère de nouvelles ventes. Les grands fabricants d'ampoules en Europe constituèrent alors un cartel au nom de Phoebus avec pour objectif de limiter le fonctionnement de leur article à 1000 heures et de faire barrage à l'arrivée de nouveaux concurrents sur le marché.
En 1940, l'entreprise de bas nylon Dupont a modifié la formule de conception de son article - qui, trop solide, ne filait pas - avec, pour résultat, des ventes en progression.
Parmi les appareils actuels, victimes d'une mort prématurée, on peut citer les machines à laver programmées pour rendre l'âme avant leur dixième anniversaire, après quelque 2000 à 2500 cycles de lavage; les téléviseurs, d'une durée de fonctionnement aussi limitée ou encore nombre de téléphones portables et Smartphones, objets d'obsolescence par défaut fonctionnel, incompatibilité ou esthétique.


Gare au trop bon marché...
Attentive à ce problème, la Fédération romande des consommateurs tente aussi d'apporter sa pierre à sa résolution tout en conseillant les acheteurs. Trois questions à Aline Clerc, collaboratrice

L'obsolescence programmée est aussi bien connue de la Fédération romande des consommateurs (FRC). Depuis plus d'une année, l'association s'est saisie de la problématique et travaille aussi bien sur les fronts politique que citoyen pour tenter d'en limiter les conséquences. Une première victoire a déjà été remportée, aux côtés d'autres partenaires... «Depuis le début de l'année, toutes les garanties européennes doivent être au moins d'une durée de deux ans contre une auparavant», relève Aline Clerc, responsable de l'environnement à la FRC, tout en signalant aussi les soutiens offerts aux consommateurs. Et en relevant l'impact sur l'environnement de ce phénomène tant sur la gestion des ressources que sur la débauche d'énergie perdue avec des appareils mourant avant l'heure...

A-t-on vraiment l'assurance que les industriels raccourcissent volontairement la durée de vie des produits?
Si certains cas sont avérés, on ne peut l'affirmer de manière générale et parler d'un complot des industriels. Une seule certitude néanmoins: il n'y a que peu d'attention portée à la durée des produits, intentionnellement ou par négligence. Aujourd'hui, les appareils se révèlent moins solides, tombent en panne plus rapidement. On privilégiera par exemple une coque en plastique plutôt qu'en métal... La réduction maximale des coûts a aussi ses conséquences sur la pérennité des produits.

Un prix plus élevé d'un article par rapport à d'autres similaires est-il garant d'une durée de vie allongée?
Hélas! Non. On ne peut miser seulement sur ce facteur. Le prix n'a d'ailleurs jamais été un critère de classement dans les produits testés par la FRC qui tente toujours néanmoins d'établir le meilleur rapport qualité/coût. Mais on remarque quand même que dans l'électroménager, les appareils plus chers durent plus longtemps. Il faut se méfier du trop bon marché. Se poser des questions quand on déniche par exemple un mixeur à 19 francs...

Le consommateur peut-il échapper à l'obsolescence programmée? Quels conseils lui donnez-vous?
Il n'est en tout cas pas toujours obligé de jeter un article en panne. Nous avons dressé une première liste d'adresses sur notre site Internet où le consommateur peut faire réparer des appareils électriques, électroniques et électroménagers.
A l'achat d'un produit, nous lui conseillons de vérifier la durée de la garantie. Une garantie de plusieurs années donne déjà un signe positif sur la longévité de ce dernier. S'il achète un portable ou un Smartphone, il doit s'assurer que la batterie peut être changée, élément qui lâche souvent en premier. Lors de l'acquisition d'appareils électriques ou électroménagers, il faut qu'il vérifie que l'assemblage soit réalisé avec des vis universelles permettant le cas échant le démontage et la réparation. Trop d'objets sont aujourd'hui soudés ou collés. Il est nécessaire qu'il s'informe également sur la disponibilité à moyen et long terme de pièces de rechange. Enfin, il faut qu'il résiste au sentiment d'obsolescence psychologique qui pourrait l'amener à vouloir renouveler des appareils qui pourtant fonctionnent toujours. Mais il se retrouve parfois piégé avec des éléments et accessoires qui ne sont plus compatibles avec l'article qu'il possède. Les comportements responsables ne sont guère valorisés...

Sonya Mermoud