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Des ombres dans les chambres d’hôtel

L’hôtellerie suisse se porte bien, merci! Voilà ce qu’on pourrait répondre du tac au tac aux éventuelles questions insistantes, voire suspicieuses, sur l’état de santé de ce secteur porteur de l’économie du pays. Le constat ne semble souffrir d’aucune faille, d’ailleurs, dès lors qu’on se met à éplucher les derniers chiffres le concernant. Tenez, l’Office fédéral de la statistique (OFS) vient d’en publier de très significatifs, qui certifient l’état d’euphorie dans lequel baigne ce biotope lié dans la plupart des cas au tourisme et aux loisirs. Le rapport nous dit que pour la première fois, la barre des 25 millions de nuitées (25,1) a été franchie à l’échelle nationale durant la période estivale. La fourchette retenue traditionnellement va de mai à octobre. La hausse par rapport à l’exercice de 2024 s’atteste à 2,6%, avec une augmentation marquée de 2,4% de la demande étrangère – c’est historique, là encore – et de celle indigène, à 2,8%. Ces données, quelque peu fastidieuses, prolongent un long et solide état de grâce: en 2023, le secteur connaissait un bond spectaculaire des nuitées de 19,7%, l’année suivante la croissance s’était élevée à 4,5%.

A n’en pas douter, la conjoncture passée et actuelle satisfera pleinement la faitière patronale, HotellerieSuisse. Mais elle ne dit absolument rien de ce qu’il se passe au sein des rouages fins des établissements, de ce qu’il se produit tout particulièrement dans les chambres une fois que le client a déposé les clés à la réception en quittant les lieux. Dans ces pièces douillettes où l’on se pose et se repose, et à travers lesquelles on vante souvent la qualité suisse, un petit monde fait d’ombres invisibilisées s’active alors pour tout nettoyer, changer la lingerie et la literie, et remettre l’ensemble dans un état impeccable. Ces femmes de chambre sont aujourd’hui un angle mort dans une branche qui subit depuis plusieurs décennies une pression croissante. Elles sont, ces employées, très majoritairement migrantes, racisées et ne peuvent compter que sur de maigres revenus. Leurs prestations sont livrées par le biais d’entreprises spécialisées, les hôtels ayant externalisé ce pan de leurs services dans un souci de rentabilité. La conséquence de cette délégation des tâches est dramatique. Les cadences de travail sont trop souvent intenables, avec un nombre exorbitant de chambres à traiter en des temps restreints – jusqu’à trente par jour. Les plannings sont établis parfois à la dernière minute, sans concertation, avec des affectations qui obligent les employées à des déplacement éreintants, d’un bout à l’autre de la Suisse romande. 

Une convention collective, paraphée par les partenaires sociaux, dont Unia, existe pourtant et elle est censée protéger ces travailleuses précaires. Mais les directes intéressées l’ignorent le plus souvent, parce que les patrons ne les informent pas, quand ils ne les menacent si elles réclament leur dû. Et pourtant, le vent est peut-être en train de changer. Du moins dans le Canton de Vaud, où le syndicat a décidé de passer à l’offensive en organisant une première assemblée des femmes de chambre. Des dizaines de professionnelles se sont ainsi retrouvées à Lausanne le 5 décembre dernier. Elles ont pu exposer leurs doléances, s’informer sur les prérogatives et prendre conscience de la nécessité de s’unir pour faire valoir leurs droits et leur salaire. C’est un premier pas plus que prometteur, fruit d’un travail long et patient – tractage depuis le printemps 2024 - à la sortie des hôtels de la région. Il a fallu instaurer de la confiance, vaincre les peurs. Par ce biais, Unia a fait sortir ainsi de l’ombre des travailleuses à qui on doit des conditions bien plus dignes que celles observées trop souvent dans l’hôtellerie. 

La conjoncture positive ne dit absolument rien de ce qu’il se passe au sein des rouages fins de l’hôtellerie, de ce qu’il se produit dans les chambres une fois que le client a déposé les clés à la réception