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Des médecins s’engagent pour la santé des migrants

Banderole
© Olivier Vogelsang

Slogans contre les renvois forcés de migrants, lors du 1er Mai 2025, à Lausanne.

Depuis plus de cinq ans, Médecins Action Santé Migrant.es (MASM) se mobilise pour les personnes migrantes vulnérables. Entretien avec un de ses fondateurs.

L’association Médecins Action Santé Migrant.es (MASM) œuvre pour une meilleure reconnaissance de la vulnérabilité des personnes migrantes. Sans appartenance politique, elle regroupe des médecins exerçant partout en Suisse, majoritairement dans le canton de Vaud. Elle s’est donné pour mission de «témoigner des problèmes de santé des personnes migrantes, d’informer et d’alerter les politiques et la population des conséquences, sur la santé physique et psychologique, de l’insécurité, de la promiscuité, de la précarité, des restrictions de liberté, de l’isolement, du défaut de protection, des droits bafoués et des inégalités auxquelles certains migrants sont confrontés». MASM demande aux instances politiques «une réponse aux problèmes de santé des migrants dans le respect des engagements internationaux, des droits humains, de la déontologie et de l’éthique». A l’heure où les expulsions, notamment les renvois Dublin, continuent de mettre la santé d’enfants, de femmes et d’hommes exilés en danger, le pédiatre Bernard Borel, membre fondateur du MASM, en appelle à un changement de pratique de la Confédération comme des différents cantons. Entretien avec celui qui est notamment conseiller communal d’Aigle, député au Grand Conseil (POP) et président de Médecins du monde Suisse.

 

Comment l’association MASM a-t-elle vu le jour?

Bernard Borel: A l’origine, Josiane Pralong, alors cheffe du centre palliatif de Rive-Neuve, a contacté le Dr Jean-Claude Métraux, psychiatre spécialiste de la migration, et moi, pédiatre engagé politiquement. En parrainant un jeune migrant, avec un parcours remarquable d’intégration, elle a découvert notamment que les certificats médicaux des requérants d’asile n’étaient pas pris en compte par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Elle n’était pas la seule à s’indigner de cette situation. Nous nous sommes réunis avec une dizaine d’autres médecins, dont le Dr Jean Bauer, oncologue au CHUV, le Dr Olivier Raccaud, rhumatologue et parrain d’un jeune Erythréen, ou encore la Dre Saira-Christine Renteria avec l’objectif de défendre nos patients, mais aussi, de manière plus narcissique notre profession, et plus largement l’éthique médicale. Nous avons rédigé une charte signée à ce jour par plus de 485 soignants (dont près de 150 médecins). Peu à peu, nous avons été approchés par les mouvements sociaux.

 

Comment collaborez-vous avec les organisations de soutien aux migrants?

Je donne deux exemples. Début 2023, Droit de rester Fribourg nous a interpellés pour vérifier quelles étaient les conditions d’accueil des enfants au centre de Giffers. Comme j’avais le droit de pratique dans le canton de Fribourg, j’ai été mandaté par le MASM pour organiser une petite visite «sauvage», donc sans demander d’autorisation, au sein du centre. J’ai vu peut-être vingt-cinq enfants, avec un traducteur, et j’ai fait un rapport. Il n’y avait pas de problèmes de santé majeurs aigus. Toutefois, nous avons appris que les enfants n’avaient accès à un pédiatre qu’en cas d’urgence à l’hôpital et sans traducteur. Par ailleurs, les maladies chroniques n’étaient pas prises en charge dans le centre fédéral pour requérants d’asile (CFA). Les parents ne pouvaient pas amener d’aliments dans le centre, qui ne proposait aucune collation pour les enfants. Bref, il y a des problèmes de prise en charge des familles et surtout des enfants que l'on retrouve aussi dans d'autres CFA.

A Lausanne, le MASM a été aussi approché par des militants pour le droit au logement afin d'estimer l’état d’insalubrité dans lequel vivaient les Roms dans l’immeuble de la Borde 47. En fait, c’était surtout le fait d’avoir coupé l’eau et l’électricité qui exposait ses habitants à vivre dans des locaux devenus insalubres et c'est dans ce sens que nous avons adressé un courrier à la Municipalité. Finalement, un délai pour permettre aux enfants de terminer leur année scolaire a été accordé aux familles avant la démolition.

 

Etes-vous entendus par les autorités?

Nous essayons d’avoir des relais politiques et institutionnels. Toutefois, jusqu’à présent, nous n’avons jamais pu parler avec un médecin de la société Oseara mandatée par le SEM. Quand on suit des situations médicales préoccupantes, il serait essentiel d’alerter le professionnel qui décide si la personne migrante est «fit to fly» (apte à voler). Dans le canton de Vaud, seul le médecin cantonal a cette possibilité. Nous pouvons le prévenir, mais cette barrière administrative est difficilement compatible avec les délais très courts des expulsions. Le cas de cette enfant, atteinte d’une maladie chronique grave, renvoyée en Croatie en décembre 2024 avec sa mère et son petit frère, est emblématique. Nous avons rappelé au Canton que celui-ci a une marge de manœuvre, que c’est à lui, en ultime recours, de décider si le renvoi est exigible ou non. Nous attendons une réponse pour rencontrer la conseillère d’Etat Isabelle Moret. Nous avons déjà vu Vassilis Venizelos, responsable de la protection des enfants et de la police, pour lui demander comment il peut accepter que vingt policiers aillent réveiller une famille monoparentale à 4h du matin. Ces interpellations devraient au moins être proportionnées. Les enfants sont particulièrement vulnérables, et leurs droits bafoués. Or, les mineurs sont très nombreux. Ils représentent 40% des requérants d’asile. Et pourtant, ils sont très mal protégés. Ils font partie du dossier de leurs parents comme des pièces rapportées. Bref, nous essayons de sensibiliser et de mettre les élus face à leurs propres contradictions. Des portes s’entrouvrent. Les enfants du CFA de Genève pourront être scolarisés hors de cette demi-prison. Par ailleurs, nous avons interpellé la commission d’éthique de la Fédération des médecins suisses au sujet de la société Oseara qui ne respecte pas le serment d’Hippocrate, l’éthique médicale. Deux ou trois fois par année, le MASM rencontre le SEM pour exprimer ses doléances.

 

Les pays de renvoi Dublin, comme la Croatie, n’ont-ils vraiment pas les moyens de prendre en charge la santé des migrants?

La Croatie aurait peut-être des moyens techniques, mais ce pays est particulièrement inégalitaire dans l’accès aux soins, soins encore moins garantis pour les migrants. Par ailleurs, lors d’un renvoi, les informations médicales ne suivent pas. Il n’y a aucune transmission.

 

La question de la santé des migrants n’est-elle pas aussi une question de santé publique?

Bien sûr. Généralement, on aborde ce sujet uniquement sous l’angle des maladies que les migrants amènent ici. Mais on ne parle pas de leurs souffrances dans leur pays d’origine, raisons de leur départ, puis sur les routes de l’exil extrêmement dangereuses et, une fois arrivés en Suisse, sur l’attente très difficile psychologiquement... Si leur demande d’asile est refusée, l’idée de devoir repartir là où ils ont vécu des traumatismes est insupportable. Je pense à cette mère turque renvoyée avec ses deux enfants en Croatie. Elle est revenue en Suisse, mais a dû retraverser la même frontière où elle a été violée… Le système augmente les souffrances, et cela coûte cher. Là, comme ailleurs, une prise en charge médico-sociale en amont – dès l'arrivée en Suisse – serait plus logique et rentable: prévenir plutôt que «guérir une décompensation aiguë». Mais y a-t-il une volonté politique?

 

Depuis cinq ans, constatez-vous une évolution de la prise en compte de la santé des personnes issues de l’asile?

La politique d’asile ne fait qu’empirer. C’est le trend européen. Par ailleurs, davantage de femmes traversent seules, avec leurs enfants, la Méditerranée, malgré le risque mortel. Maigre consolation: on entend un peu plus les gens qui soutiennent les migrants. Reste que, quand des responsables disent être coincés politiquement, c’est comme quand un bourreau coupe la tête d’un innocent parce qu’on lui a demandé de le faire. L’éthique, la dignité humaine et les droits des enfants, on en fait quoi? 

 

* Un Appel contre les renvois des personnes vulnérables est soutenu par des organisations de soutien aux migrants, des partis de gauche et des syndicats, dont Unia, ainsi que de nombreux médecins. Il sera remis aux autorités cet automne. Pour le signer, cliquez ici.

Les renvois vers l’Afghanistan: une violation du droit international

Amnesty et l’ONU alertent sur les risques encourus par les requérants d’asile afghans expulsés de pays tiers. La Suisse a pourtant décidé que les renvois étaient possibles.

Aline Andrey

Depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les talibans ont démantelé le système juridique existant en Afghanistan pour un ordre fondé sur la religion. «Les jugements arbitraires, le manque de transparence ainsi que la torture et les exécutions publiques sont depuis devenus monnaie courante», alerte Amnesty International. Pourtant, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a décidé en mars 2025 que les hommes afghans déboutés en bonne santé pouvaient être renvoyés dans leur pays d’origine. Il estime que «la situation générale en matière de sécurité s’est nettement améliorée dans tout le pays», tout en indiquant paradoxalement que «la situation sur le plan des droits de l’homme a continué de se détériorer sous le régime taliban, en particulier pour les femmes». Une décision qui tranche avec les analyses d’Amnesty International et de l’ONU. 

«Personne n’est en sécurité dans ce système fondé uniquement sur la peur et la répression. Toute personne peut y être menacée de torture. C’est pourquoi la Suisse doit immédiatement cesser les expulsions vers l’Afghanistan, qui constituent une violation du droit international, déclare Alicia Giraudel, experte en droit d’asile chez Amnesty Suisse, dans un communiqué publié le 15 août. En procédant à des expulsions vers l’Afghanistan, la Suisse sape le principe de non-refoulement, qui relève du droit international impératif. Vu la situation précaire des droits humains et l’arbitraire généralisé, il est impossible d’exclure le risque de violations des droits humains lors de ces renvois.» Amnesty International souligne encore que «les peines prononcées sans procès équitable ni réel examen judiciaire aboutissent fréquemment à des châtiments publics, comme la flagellation et l’exécution, qui ont lieu sur des places publiques ou dans des stades». «Plusieurs témoins ont rapporté avoir vu des jeunes hommes fouettés en public pour avoir écouté de la musique ou des femmes détenues pour ne pas s’être entièrement couvertes. De tels spectacles ne sont pas de simples punitions, le but est aussi d’instiller la peur et de renforcer le contrôle», ajoute l’ONG. Fin juillet, c’est l’ONU qui accusait les talibans de «violations graves» des droits humains, notamment des «cas de torture» contre des Afghans expulsés par des pays tiers, principalement par l’Iran et le Pakistan. Dans un rapport commun, la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (Manua) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme réclament l’arrêt des renvois.

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