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De l'étoffe des héros

Bientôt à la retraite Nicolas Borsinger directeur de Pro Victimis et ancien délégué du CICR revient sur son riche parcours

L'homme en impose. Par sa prestance, à l'image de sa bravoure. Par son engagement et son altruisme, qui l'ont conduit sur nombre de points chauds de la planète avant de devenir directeur de la Fondation Pro Victimis, à Genève. Une structure qui œuvre à améliorer le sort des communautés les plus vulnérables des pays en développement en soutenant différents projets d'ONG. Depuis l'an 2000, Nicolas Borsinger, aidé d'une petite équipe, se charge de la promotion d'initiatives répondant à ces objectifs. Un travail essentiellement de bureau pour une personne qui a longtemps agi sur le terrain, en tant qu'ancien collaborateur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). «Mais il y a un temps pour tout», estime le sexagénaire précisant aujourd'hui «se nourrir de remarquables démarches de tiers», après avoir consacré pour sa part une trentaine d'années à l'action humanitaire. Un choix professionnel auquel ne le prédisposait pas sa formation même si le goût des voyages était déjà au rendez-vous...

Les victimes, au lieu des zébus
Ingénieur agronome, Nicolas Borsinger quitte un travail de recherche à Changins pour un emploi de directeur d'exploitation de fermes... au Paraguay. De 1983 à 1985, accompagné de son épouse et bientôt mère, il œuvre dans son domaine d'activité, lui qui considère «l'élément chlorophyllien» comme très important dans sa vie. Son nouvel environnement le confronte toutefois à des obstacles auxquels il n'est pas préparé. «C'était le Far West entre l'insécurité foncière, les vrais faux titres de propriété, un pouvoir corrompu... Une expérience professionnelle très dure pour l'innocent jeune homme que j'étais.» Cette situation et l'arrivée à Asuncion d'un ami d'enfance qui venait de quitter le CICR l'incitent à reconsidérer ses choix. «Il m'a beaucoup parlé de ses missions humanitaires», raconte le Genevois, alors déjà familiarisé à la thématique, son père ayant travaillé quarante ans pour le CICR. «Mais je voulais tracer mon propre sillon... Jusqu'à ce que ma femme, voyant l'intérêt que je portais aux récits de mon ami, me dise: "quand comprendras-tu que tu serais plus heureux à t'occuper de victimes que de zébus". J'ai alors décidé de rentrer en Suisse et de poser ma candidature.»

Un havre...
Après deux séjours de courte durée en Ethiopie et en Afrique du Sud, le nouveau délégué du CICR est envoyé au sud de la Thaïlande, impliqué dans la question des réfugiés cambodgiens. Un premier ancrage sur le terrain pour le moins rude, dans un contexte dépeint comme froidement brutal sous des apparences lisses. «Les camps étaient sous le contrôle des Khmers rouges. L'espace humanitaire s'est révélé quasi inexistant. Plus mince qu'une feuille de papier japonais... Tout était verrouillé», se souvient Nicolas Borsinger. Cette expérience décourageante n'entame pas pour autant la détermination du délégué enchaînant ensuite les missions humanitaires, toujours accompagné de son épouse et de ses deux enfants, un fils étant né dans l'intervalle. Une famille, qui fait office de «havre, de lueur...», pour l'envoyé de la Croix-Rouge devenu pessimiste à force de voir les êtres humains à l'œuvre «dans leurs pires dimensions» même s'il n'oublie pas non plus «les initiatives et engagements exceptionnels, porteurs de salut collectif...» Et alors qu'il affirme avoir plusieurs fois été sauvé par son sens de l'humour. «Un autoentraînement à déceler l'élément comique, dérisoire, de situations dramatiques a souvent été déterminant pour éviter la noyade mentale.»

Chapitre à inventer
Israël et les territoires occupés lors de la première intifada, l'Arménie, le Tadjikistan, la Géorgie, la Tchétchénie au lendemain de l'éclatement de l'Union soviétique... Le globe-trotter de l'humanitaire se frotte à nombre de terrains minés. Et, s'il n'a pas peur pour son intégrité physique, se dit néanmoins terrifié par la nature humaine et «le mélange d'excès de puissance et d'aveuglement qui caractérise nos temps». Son intervention à Vukovar, lors de la chute de la ville en novembre 91, figure parmi ses souvenirs les plus marquants. Nicolas Borsinger joue alors un rôle déterminant dans les négociations de reddition entre les militaires croates assiégés et l'armée yougoslave. Et demande à être présent au moment où les combattants déposent les armes pour enregistrer leurs noms. La démarche vise à s'assurer que ceux-ci soient bien emmenés comme prisonniers de guerre et non exécutés. Une initiative qui va permettre de sauver la vie de quelque 200 Croates. Moins que ce qu'aurait voulu Nicolas Borsinger qui, modeste, réfute l'étiquette de héros même s'il en a l'étoffe, ravivant d'autres souvenirs douloureux... Dont son impossibilité à agir contre l'évacuation de l'hôpital de Vukovar. Et alors qu'il pressent le sort fatal qui attend les personnes déplacées comme le révéleront plus tard les fosses communes. «Impuissance d'autant plus insupportable que lucide!», soupire l'ancien délégué, ressuscitant, le regard assombri, l'univers dantesque de cette période... Autant de temps forts dans la vie de Nicolas Borsinger affirmant, même après des années de retour à la normalité, ne jamais parvenir vraiment à tourner la page. Reste aujourd'hui au directeur de Pro Victimis à écrire un nouveau chapitre, celui d'une retraite proche. «Il me faut encore l'inventer», sourit-il. Une histoire qui débutera peut-être par le bruit d'une fontaine, un matin ensoleillé, en vacances avec sa famille... Sa définition du bonheur. D'une bienveillante simplicité après un parcours intense, hors du commun.

Sonya Mermoud