De l'art de donner
A bientôt 80 ans Léonard Gianadda n'entend pas prendre sa retraite. Rencontre avec un inlassable bâtisseur au grand coeur
Aller plus loin
«Les Italiens étaient alors les seuls étrangers. Le climat était déjà à la xénophobie. C'est probablement pour cette raison que j'ai souhaité aller plus loin, être meilleur», relève le futur octogénaire, prestance et santé de fer, notant encore comme élément fondateur de son identité ses études à l'internat du Collège de Saint-Maurice. «Un enseignement à la dure mais de qualité, qui a forgé mon caractère et aiguisé ma curiosité.» Déjà à cette époque, Léonard Gianadda avait été remarqué par un des chanoines professeurs. Dans une lettre adressée à sa mère, ce dernier affirmait que l'élève pouvait et devait «faire de sa vie quelque chose de grand et de beau». Pronostic éclairé, le petit-fils d'immigré ayant embrassé pas moins d'une dizaine de professions entre celles de reporter exercée durant sa formation d'ingénieur civil, mais aussi de restaurateur, d'imprésario, de promoteur immobilier, d'entrepreneur culturel et social... Une carrière plurielle couronnée du sceau du succès et démentant le proverbe populaire «A chacun son métier et les vaches seront bien gardées» auquel souscrit pourtant Léonard Gianadda. «J'ai néanmoins été séduit par la diversité. Gagnant bien ma vie comme ingénieur, j'ai pu élargir le champ des activités.» Un parcours ascensionnel sans faute, effectué par un homme réputé pour être autoritaire, cassant parfois même. Qualificatif qu'il ne réfute pas, justifiant cette attitude par les responsabilités et la nécessité de ne pas perdre de temps à «discutailler». Pas de quoi fissurer le charisme de Léonard Gianadda, totalement engagé dans ce qu'il entreprend, et cachant sous sa carapace directive une grande sensibilité. Paradoxe d'un homme d'affaires pragmatique, pressé, cultivant néanmoins un certain idéal, le cœur sur la main, qui a construit quelque 1500 appartements à Martigny mais qui confie surtout sa fierté d'avoir offert à la ville 16 sculptures embellissant l'ensemble de ses giratoires. Et évidemment mis sur pied la Fondation Pierre Gianadda qui contribue largement à son renom et à celui du canton.
La pratique du socialisme
Créée à la mémoire de son frère disparu en 1976, cette réalisation fait aussi écho à l'amour de Léonard Gianadda pour les arts. Une passion qui trouve déjà ses prémisses dans l'adolescence. «En 1950, j'ai voyagé avec ma mère en Italie. J'ai visité Rome, Naples, Forence... Une découverte... La Fondation n'est pas un départ mais un aboutissement.» Idem pour son engagement solidaire qui, précise-t-il, ne date pas d'aujourd'hui. «Ce n'est pas une résultante de la vieillesse. J'ai toujours eu la fibre sociale mais autrefois je ne disposais pas des mêmes moyens», relève le mécène préférant «pratiquer le socialisme» plutôt que de faire des théories. Avec cette extraordinaire générosité qui le caractérise, lui qui associe le bonheur au plaisir, «égoïste», de donner. Mais sans pour autant se définir comme un être heureux. «Disons plutôt que je suis un homme comblé», souffle-t-il après un long silence, confronté à une douloureuse solitude depuis la mort de son épouse en 2011 et confiant, ému, avoir manqué de temps pour sa famille et ses deux fils et ne compter que peu d'amis. La rançon du succès, d'une forme de pouvoir? La question restera ouverte.
Honoré de nombreuses et prestigieuses distinctions, Léonard Gianadda retient néanmoins surtout la médaille reçue... de sa mère, celle qui le touche le plus. Un pendentif à l'effigie de la Vierge Marie qu'il porte depuis plus de 70 ans. «Si je suis croyant? Je ne sais plus. Je ne vois pas pourquoi l'humain serait différent d'un chat ou d'une plante. Mais ce qui me semble important, c'est d'agir avec honnêteté. De faire les choses justes. C'est ma ligne de conduite.» Tout un art... pratiqué parfois avec rudesse mais magnifié par ses multiples talents et un sens admirable du partage.
Sonya Mermoud