Chef d’orchestre, au cœur d’une passion
Dans le cadre des célébrations du 750e de la Cathédrale de Lausanne, Julien Laloux dirige le Sinfonietta de Lausanne, quatre solistes et trois chœurs pour la 9e Symphonie de Beethoven. Rencontre en marge d’une répétition.
Julien Laloux est de ceux dont la vocation est apparue tôt, très tôt. Il a seulement 3 ans lorsqu’il tombe sous le charme d’un orgue. Vers 10 ans, déjà passionné, il déchiffre en autodidacte une partition de chef d’orchestre en écoutant le morceau des dizaines de fois. Quarante ans plus tard, le voilà prêt à donner l’un des plus grands concerts de sa carrière, dans le cadre de l’événement phare de la célébration du 750e anniversaire de la Cathédrale, du 9 au 11 octobre (lire ci-dessous).
Peu de temps avant, dans la salle de répétitions de la HEP Vaud (Haute école pédagogique) où il dirige les chœurs depuis son ouverture en 2002, il nous parle de la passion que représente pour lui le métier de chef d’orchestre. Devant lui, sa baguette et sa partition complète de la 9e Symphonie de Beethoven. Soit 337 pages décortiquées, note après note, depuis un an.
Une œuvre démesurée
Travailleur acharné, il connaît la pièce dans tous ses détails et atteste: «Cette œuvre a été créée en douze ans. Autant de temps que les huit premières symphonies. Tout est démesuré. Le dernier mouvement, ou quatrième partie, avec ses 1000 mesures est plus longue que la 8e Symphonie. C’est de la folie!» Ouvrant la partition, il souligne le génie du compositeur: «Je suis fasciné par sa manière de passer d’un mouvement à l’autre. Avant chacun d’entre eux, il précise son intention. Si je traduis de l’italien celle du 1er mouvement, cela donne: “Joyeux, mais pas trop, et un peu majestueux”. Le 2e est “assez vif”. Le 3e “très calme et chantable”. Pour le 4e, les intentions sont multiples. Après un saisissant prélude orchestral, la musique se met à “parler”par la voix du baryton solo qui est rejoint ensuite par plusieurs voix selon un ordre très précis. L’objectif du compositeur: montrer toutes les facettes de la joie décrites par l’écrivain Schiller en passant par toutes les vicissitudes de la vie et les zones d’ombre. Il arrive ainsi à mettre en musique les inflexions du texte.»
Résultat, les changements de climat sont nombreux. «Le soleil est lumineux, puis, soudain, un nuage passe», image Julien Laloux, prolixe, dont la vivacité d’esprit et la rapidité de parole font écho à son métier de chef d’orchestre, très physique et réactif. «Je dois prendre des décisions toutes les microsecondes. Est-ce que l’équilibre est bon? Et la synchronisation? Et le rythme? Je dois penser en permanence à la suite en analysant le présent», explique celui qui, sur scène, accomplit un ballet logistique et mental, en accompagnant les entrées de chaque instrument.
S’il adore regarder le tennis, sans en jouer faute de temps pour s’organiser, il est féru de parcours vita. Ce sport solitaire et flexible fait écho à sa profession, en lui permettant d’être dans la nature avec une météo et des saisons toujours changeantes, des rythmes et des exercices différents, l’esprit libre, ou presque. Car, dans sa tête, la 9e de Beethoven ne le quitte plus depuis des mois. Parallèlement, il a toutefois dû préparer la grande œuvre de Haydn, Die Schöpfung, prévue en novembre également pour le 750e anniversaire de la Cathédrale de Lausanne. Une savante organisation est donc nécessaire, sans oublier de se ressourcer. «Je travaille, puis je laisse reposer. Je crois en l’oubli fécond», précise le chef d’orchestre.
Travail solitaire
Chaque fois que Julien Laloux travaille sur une œuvre, il dit s’embarquer dans un nouveau pays en quête de ses subtilités. «Tout le monde connaît l’Hymne à la joie. Avec ses notes conjointes, il symbolise la fraternité entre les peuples. En même temps, dans certains passages, l’œuvre est redoutable. Et ce n’est pas facile d’encaisser sa puissance.»
En le voyant face aux musiciens et aux chanteurs, on en oublierait que le travail de chef d’orchestre se déroule principalement dans la solitude. Chez lui, devant son piano ou à la table, il a intégré l’œuvre pendant une année. Pour les chœurs, les répétitions ont eu lieu sur trois mois à raison de deux répétitions par semaine. L’orchestre, lui, arrive seulement quelques jours avant la première. «Les musiciens ont répété leur propre partition, chacun chez soi. Nous ne faisons ensemble que deux répétitions, puis un “tutti” – avec solistes et chœur – avant la générale. Pour moi, il s’agit d’avoir plusieurs outils pour répondre très rapidement aux possibles difficultés. Au vu de la densité de l’œuvre, même si tout le monde la connaît, c’est un défi! Je vais devoir m’adapter au son de l’orchestre, et les musiciens à mes gestes, à mes codes. J’ai un rôle de passeur. J’ai passé des mois à comprendre l’œuvre pour la donner au public. C’est un acte de recréation. Par ailleurs, jouer six jours de suite est redoutable. Je dois faire attention à ne pas épuiser les musiciens et les chœurs.»
Le trac? «Il est présent depuis un moment. C’est une préparation. Je sens des montées d’appréhension qui sont nécessaires pour me mettre en condition. Selon moi, c’est un passage obligé. Le jour J, ce ne sera pas pire. En cas de faute, il faut réussir à l’oublier tout de suite. Ce n’est pas facile, mais sinon on perd trop d’énergie. La première, c’est toujours incroyable. On entre dans une autre dimension. Ici, je rajouterais que c’est un enjeu unique, car la commémoration de la Cathédrale est un moment solennel.»
Plus d’informations:
L’«Hymne à la joie» célèbre la Cathédrale de Lausanne
En ce lundi soir 6 octobre, la première répétition «tutti» réunit quatre solistes, les Chœurs HEP, l’Ensemble vocal Arpège renforcés par onze professionnels, et le Sinfonietta de Lausanne qui a déjà répété l’après-midi. Après un an de travail, en grande partie solitaire, le chef d’orchestre Julien Laloux se retrouve ainsi face à 170 musiciens et choristes. «Un défi pour synchroniser tout le monde, dans cet édifice à l’acoustique délicate. Et qui va être encore différente avec les quelque 700 à 800 spectateurs!» souligne celui qui, en entrant dans la Cathédrale, en fait instinctivement le tour, comme pour mieux ressentir les lieux, avant de s’installer sur son piédestal. Le chœur se met en voix, les musiciens s’installent, la concentration est de mise. Sous la baguette et les gestes du chef d’orchestre, la 9e Symphonie éclate sous les voutes si hautes de la Cathédrale. Les voix des solistes, puissantes, s’y agrègent. Puis la cinquantaine de lampistes s’activent dans les balcons pour un ballet lumineux évolutif d’une première bougie à quelque 4500 sous les indications de Renato Häusler, l’ancien guet de Lausanne et fondateur de «Kalalumen» (belle lumière en gréco-latin). C’est ce dernier qui a rêvé de ce projet depuis des années et a embarqué Julien Laloux dans cette aventure vertigineuse. Magie garantie lors des concerts qui se déroulent cette fin de semaine.