A l’aube de la saison pleine, les employés d’un petit camping vaudois ouvert 365 jours par an s’affairent. Rencontres avec un client, un gardien et sa responsable au Rocheray, à la Vallée de Joux
A défaut d’une tente, plantons le décor. Les modestes courbes du Jura teintées d’un dégradé de verts en toile de fond. Le paisible lac de Joux aux rives sauvages au premier plan. Dans le ciel limpide, des rapaces tracent de lentes ellipses. Dans l’air, des chants d’oiseaux habillent le silence. Le long hiver est derrière; c’est le printemps qui reprend ses quartiers à mille mètres d’altitude. Et pendant que les volatiles apprêtent leurs nids, des hommes s’activent à coup de scies et de visseuses électriques.
Perché sur un toit en devenir, Patrick Reymond tente d’y fixer une planche, mais la vis tourne à vide dans un crissement vain. «On pourrait insérer des allumettes ou des cure-dents pour que ça accroche?» Pendant que le menuisier va chercher les bâtonnets providentiels à la buvette, le gardien se relève en se massant les genoux. «Il nous faudrait des genouillères, comme les carreleurs», sourit le quinquagénaire.
Une renaissance professionnelle
Employé depuis un an et demi comme gardien au camping du Rocheray, Patrick Reymond rayonne. «Avant de venir ici, j’ai travaillé dans la restauration durant plus de trente ans. A 54 ans, alors que j’étais indépendant dans l’hôtellerie, j’ai décidé de remettre mon affaire. Les conditions de travail sont devenues très difficiles dans le domaine. J’en avais vraiment assez des horaires coupés, de 7 heures à minuit. Mais je ne regrette rien, c’est un métier magnifique! Et maintenant, je suis très heureux d’avoir trouvé cette opportunité.» De sa profession initiale, le Combier – le nom des habitants de la Vallée – a conservé le contact avec la clientèle, essentiel pour lui. «Rien ne me manque de ma vie d’avant. Les campeurs sont tranquilles, doux même, en tout cas beaucoup moins stressés que les clients des restaurants.» Et les horaires drastiquement allégés de son nouvel emploi – un mi-temps réparti sur six matinées et deux après-midi – lui permettent de voir grandir le dernier de ses cinq enfants, âgé de 11 ans.
Un métier «couteau suisse»
Mais revenons au toit en construction. En l’occurrence, celui du futur hangar à vélos que le camping mettra à la disposition des visiteurs. Pour seconder les différents corps de métier dans leurs travaux, le gardien doit bien entendu compter sur quelques compétences manuelles. Une évidence pour Patrick Reymond qui, avant d’œuvrer dans la restauration, a effectué un apprentissage de menuisier. Et c’est justement ce profil «multifacettes» qui a convaincu sa responsable, Ursula Bachmann, de l’engager. «Dans ce métier, que j’ai exercé pendant trois ans, on change tout le temps d’activité, s’exclame-t-elle. Un gardien doit être capable aussi bien d’entrer les réservations dans le système informatique que de résoudre des problèmes techniques, porter des harasses de boissons, donner des informations touristiques, tondre la pelouse et servir les clients de la buvette. Le tout sans rechigner à effectuer quotidiennement les nettoyages des sanitaires!» Ayant atteint l’âge de la retraite, la sémillante Zurichoise a accueilli l’arrivée du gardien avec un grand soulagement. «Maintenant, mon travail de responsable est plus administratif», souligne-t-elle de son accent alémanique en servant une bière à un client de passage.
Tous les chemins mènent au camping
La barrière linguistique, Ursula Bachmann l’a traversée à 16 ans pour un séjour d’une année. L’occasion pour elle de parfaire son français et de rencontrer son futur mari. «Je travaillais très dur dans un pensionnat à Brent, mais je m’arrangeais pour aller chercher le lait chez la laitière quand son fils revenait du travail», glisse-t-elle en souriant. Son apprentissage de téléphoniste aux PTT en poche, elle rejoindra Benno et l’épousera. Mais elle peinera à trouver un emploi en Romandie. «Il n’y avait pas de place au 111 à Lausanne à ce moment. Et ailleurs, je sentais une grande méfiance face à cette jeune femme mariée de 18 ans susceptible de tomber enceinte.» Elle attendra que son second enfant ait 6 ans pour reprendre le travail, d’abord comme caissière à la Migros, puis comme facturière dans une papeterie et réceptionniste, un poste polyvalent dans lequel elle touchera à tout, de l’informatique au marketing. Un enchaînement logique qui la conduira tout naturellement à accepter le rôle de responsable dans le camping du Rocheray où le couple a acquis une caravane il y a dix ans.
Adrénaline estivale
Travailler dans un camping, c’est bénéficier d’un contact étroit avec des coins de nature parfois privilégiés et une clientèle variée. Une situation séduisante, certes, mais pas accessible à tout le monde, on l’aura bien compris. Ursula Bachmann encourage les jeunes désirant se diriger dans cette voie à effectuer des stages pour exercer les différentes tâches du métier. Elle-même recrute régulièrement de la main-d’œuvre, dont son frère, durant la saison haute. «En juillet et août, on accueille 800 clients par mois, dont beaucoup d’Alémaniques qui sont soulagés de pouvoir nous parler en suisse allemand.» Et d’évoquer cette saison haute «où on fonctionne à l’adrénaline et où on doit être expéditif.» En basse saison, les clients peuvent arriver à n’importe quel moment: s’il n’y a personne pour les accueillir, une pancarte avec des instructions s’en charge. «Nous sommes toujours au bout du fil et ils peuvent même laisser l’argent de leur nuitée dans la boîte à lait», assure l’habitante de Vallorbe en précisant que ce système, fondé sur la confiance, fonctionne très bien. Et lorsqu’elle ne s’occupe pas des vacanciers, où prend-elle des vacances bien méritées? «Je dois vous avouer que ça fait cinq ans qu’on n’est pas partis en voyage! Mais là je retournerais bien aux îles Canaries. On y a notre adresse depuis 25 ans.»
«Une vie plus ouverte»
En août, cela fera une année que Martin*, 27 ans, occupe une caravane dans le camping du Rocheray. Une année riche en rebondissements: «Lorsque mon immeuble a brûlé l’an dernier au Brassus, j’ai d’abord habité chez ma mère. L’idée d’occuper un logement différent germait déjà dans ma tête. Mais cet incendie a précipité les choses. J’ai alors acheté une caravane et me suis installé ici.» Lancé dans un élan de renouveau, il quitte son emploi de technicien en construction mécanique pour réaliser un autre rêve: celui d’entreprendre un voyage de plusieurs mois au Vietnam, au Cambodge et en Birmanie. «Le loyer de mon studio était déjà peu élevé et, pourtant, en vivant au camping, je réduis déjà mes dépenses par deux. Ces économies vont, je l’espère, me permettre de repartir en voyage.» De retour depuis peu de son périple, Martin se laisse un peu de temps avant de rechercher un emploi «ici ou ailleurs, de préférence dans le domaine des énergies renouvelables». Au quotidien, il apprécie ici la proximité avec la nature et avec les éléments. «J’aime entendre la pluie sur mon toit et sentir ma caravane bouger par fort vent.» Et même s’il est de loin le benjamin des résidents à l’année, il profite de tisser des liens amicaux avec ses voisins. Sans jamais regretter son ancien espace de vie. «Je préfère le fonctionnement communautaire du camping. Et mon 20m2 rempli d’espaces de rangements me suffit largement.» AO
* Prénom d'emprunt