Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Adapter les inadaptés

Malgré la pénurie de main-d’œuvre qui règne dans de nombreux secteurs économiques, une partie de la population reste exclue de l’activité salariée. Des situations de handicap ou de grande précarité, des ruptures scolaires ou familiales, ou des troubles psychiques créent des situations de vulnérabilité qui peuvent temporairement ou durablement éloigner des personnes du marché du travail. 

La plupart de ces situations sont prises en charge par les assurances sociales ou l’aide sociale, qui conditionnent le versement d’aides financières à une participation à des mesures d’insertion. A terme, celles-ci sont censées déboucher sur une réintégration dans le marché du travail ordinaire, et rendre ainsi «aptes» des gens que les aléas de la vie ont rendu «inadaptés» à échanger leur force de travail contre du salaire. Une étude corédigée par la Haute école de travail social et de la santé (HETSL) estime à environ 130000 les personnes «activées» dans de telles mesures en Suisse, que ce soit au sein de fondations spécialisées, d’entreprises sociales, d’ateliers protégés, ou à travers des postes subventionnés dans des entreprises privées ou l’administration publique.

Cette étude, comme d’autres que la HETSL mène à ce sujet, montre l’aspect ambivalent de l’insertion socioprofessionnelle. D’un côté, les bénéficiaires apprécient l’accompagnement social qui leur permet de valoriser leurs expériences et leurs compétences pour acquérir davantage d’autonomie économique et de reconnaissance sociale. De l’autre, ces mesures sont traversées par de nombreuses tensions: entre des objectifs qui visent à la fois la capacitation de personnes vulnérables et leur productivité à court terme; entre une rémunération à hauteur des indemnités sociales et celle des salariés «ordinaires» sur les mêmes lieux de travail; entre les missions des professionnels de l’insertion qui doivent conjuguer la temporalité du travail social avec la pression financière à la «réussite», mesurée par la rapidité de l’insertion dans le marché du travail primaire. Dans l’appréciation syndicale, ce sont d’ailleurs souvent les aspects problématiques qui priment (on se souvient, par exemple, de l’opposition des syndicats genevois à l’introduction des Emplois de solidarité). 

Or, ces tensions sont révélatrices d’une contradiction plus profonde inhérente à la politique d’activation. Cette dernière part du principe moral que l’individu est responsable de sa situation de vulnérabilité et qu’il peut transformer ses incapacités en capacités à exercer une activité rémunérée. Le poids de l’insertion repose sur lui, et non pas sur l’employeur, et ce à l’heure même où le marché du travail est de moins en moins inclusif pour des personnes à besoins particuliers, où les impératifs de productivité sont de plus en plus prédominants et les rapports sociaux en entreprise toujours plus brutaux. Ainsi, l’extension de la zone de combat du travail salarié à des catégories qui en étaient jusque-là épargnées les confronte, une fois l’intégration «réussie», à de multiples discriminations: elles sont plus souvent cantonnées à des emplois précaires, gagnent des salaires inférieurs à la moyenne et ont un risque plus élevé de se retrouver au chômage ou parmi les working poor

Ces questions ont une portée éminemment syndicale, et un bilan de la politique d’insertion s’impose. A cet effet, le réseau de compétences Marché du travail, insertion et sécurité sociale (MatISS) de la HETSL organise ce mercredi 10 avril un colloque, centré sur l’insertion des jeunes, ouvert aux professionnels, académiques et syndicalistes.


Alessandro Pelizzari est directeur de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL)