«Privatiser notre identité numérique est une folie»
L’Union syndicale suisse s’oppose à la privatisation de l’identité électronique. Et, dans ce sens, rejette la loi qui sera soumise au verdict des urnes le 7 mars prochain
Pas question de confier à des entreprises privées des données officielles et sensibles: lors d’une conférence de presse organisée le 2 février dernier à Berne, l’Union syndicale suisse (USS) a dit tout le mal qu’elle pensait de la Loi sur les services d’identification électronique (LSIE), combattue par référendum et soumise au verdict des urnes le 7 mars prochain. Rappelons que le projet vise à sécuriser l’accès à certains achats, prestations et relations avec l’administration sur internet. Grâce à l’identifiant unique, e-ID, sorte de passeport électronique, il sera possible de gérer des opérations à distance, y compris certaines nécessitant généralement de se présenter physiquement. Commander un extrait de son casier judiciaire ou ouvrir un compte bancaire n’exigeront, par exemple, plus de déplacement. Si l’Organisation faîtière syndicale est acquise à l’idée de disposer d’une identification sécurisée et fiable en ligne, elle estime en revanche que cette réalisation incombe au service public. Et a souligné les risques que représentait la délégation de cette prestation à des sociétés orientées vers le profit.
Le renard dans le poulailler...
«Cela ouvre la voie à la formation d’un oligopole, voire d’un monopole privé et, surtout, à une identification électronique à plusieurs vitesses, sans aucun contrôle, notamment sur les prix pour les utilisateurs», a-t-elle dénoncé dans un communiqué. Pour l’USS, la production d’un passeport est une tâche éminemment régalienne. Elle doit concerner l’Etat ou les autorités légitimées démocratiquement et ne doit pas être confiée aux lois du marché. Lors de son intervention, Pierre-Yves Maillard, président de l’USS, a insisté sur la valeur du service public, largement défendu par les syndicats. Pour le syndicaliste, la même logique doit prévaloir dans le domaine numérique afin de garantir l’égalité d’accès aux prestations fondamentales, comme le fait de pouvoir prouver son identité officielle à l’égard de tiers. «Tout le monde admet désormais que la pénétration marchande de nos intimités par des géants commerciaux, qui accumulent et commercialisent nos données, ouvre des dangers inédits. Ce danger touche désormais la base de nos démocraties. Dans ce contexte, privatiser notre identité numérique est une folie», a déclaré le responsable de l’USS. Et le syndicaliste de rappeler une valeur fondamentale présidant aux transactions numériques: la confiance. La prise en charge de l’émission et de la gestion de l’e-ID par l’Etat, indépendant de visées commerciales, favoriserait cette confiance et servirait de facto les intérêts du marché. Alors qu’avec la LSIE, même en prévoyant des contrôles des opérateurs, «on met le renard dans le poulailler et un garde-chasse pour le surveiller».
Risque d’abus
Secrétaire générale adjointe du Syndicat des services publics (SSP), Natascha Wey a, elle aussi, martelé que l’Etat devait avancer dans la numérisation et la prendre en main, «au service de l’intérêt général et non de profits privés». La collaboratrice du SSP a partagé son inquiétude de voir le consortium «SwissSign Group» – qui réunit des grandes entreprises dont une majorité de banques, d’assurances et de caisses maladie (Swiss Life, UBS, Axa, Swica ou encore CSS) – se trouver dans les starting-blocks pour réaliser l’émission des e-ID en cas d’acceptation de la loi. Un groupe jugé «particulièrement mal adapté pour remplir cette tâche», alors que le développement du dossier électronique du patient est en cours. «Confier l’exploitation des identités électroniques aux assureurs maladie accroît le risque d’abus pour des données hautement sensibles et donne un signal catastrophique. La numérisation du dossier du patient doit reposer sur des solutions d’intérêt public et sans but lucratif. Sinon elle ne bénéficiera pas de la confiance nécessaire.» Le président de Syndicom, Daniel Münger, a encore évoqué le risque d’un creusement du fossé numérique et social si la Confédération renonce à sa responsabilité en la matière au profit d’entreprises privées. Et a aussi qualifié ses possibilités de contrôle «de farce».
Dans ce contexte, l’USS estime qu’il faudra, le 7 mars, dire clairement «non» à la loi, convaincue que Confédération, cantons et communes sont parfaitement capables d’assurer la numérisation. «La Suisse peut devenir une pionnière du service public numérique. Elle dispose des moyens et des compétences nécessaires.»