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Les maçons, remontés à bloc

Plus de 2000 travailleurs ont manifesté à Lucerne lors de l'Assemblée de la Société suisse des entrepreneurs

«L'économie va bien. On entend que les patrons augmentent leurs salaires. Et nous alors?» Diego Silgado, la cinquantaine, a toujours travaillé dans la construction. Aujourd'hui en arrêt de travail suite à un accident, il s'est joint le jeudi 29 juin à la petite délégation lausannoise d'Unia qui s'est rendue à Lucerne pour manifester devant l'assemblée générale de la Société suisse des entrepreneurs (SSE). En ligne de mire: la récupération de la Convention nationale de travail de la construction, que les employeurs ont dénoncé en mai dernier. Dans l'autobus parti de la capitale vaudoise, les travailleurs retraités se remémorent leur passé de lutte et se montrent encore prêts à en découdre: «Il est certain que si les patrons peuvent ne rien donner, ils ne donnent rien», assure Bernardo, 63 ans, qui se souvient que les avancées sociales ont toujours été obtenues sous la pression. S'il a pu prendre une retraite anticipée, il y a deux ans, c'est parce que les maçons ont mené à bien une grève générale en 2002.

Chantiers pris d'assaut

Arrivés à Lucerne, les Lausannois rejoignent vers 11h d'autres cars venus de Suisse romande et du Tessin. Forts d'une délégation de 500 travailleurs - c'est un jour férié au Tessin - les Suisses italiens donnent le ton et prennent la tête du petit cortège parti de la Libellenstrasse avec pour mission de «vider» quelques chantiers en ville. Les Suisses allemands se chargent d'autres secteurs. A la hauteur d'un édifice en construction, plusieurs délégués montent quatre à quatre les escaliers pour convaincre les ouvriers de les rejoindre et plantent un drapeau Unia au sommet de l'immeuble. Accueillis à bras ouverts, les travailleurs quittent les lieux sous un tonnerre d'applaudissements. Pas de quoi surprendre Patrick Gander, secrétaire syndical à Yverdon, qui commente: «Cette fois, on sent la détermination des gars, comme en 2002. On n'avait pas vu ça lors des mobilisations salariales de cet hiver.» Le défilé de quelques centaines de personnes repart. Direction: les rives luxueuses du lac des Quatre-Cantons où les voitures de collection relèvent leur capote au passage du cortège, à l'abord des grands hôtels. Aux cris de «sciopero, sciopero!» («grève» en italien), le chantier du palace «The new Tivoli» est aussi pris d'assaut par quelques syndicalistes, sans succès cette fois-ci...

Blocher chez ses pairs

Mais la véritable manifestation n'est prévue que pour l'après-midi. Quelques saucisses et une série de discours plus tard, le cortège, cette fois-ci au grand complet, se remet en route. Sous la direction d'Unia, de Syna et des syndicats chrétiens tessinois et valaisans, plus de 2000 maçons bloquent les quais, puis le pont principal de la ville, pendant une heure. Giuseppe Reo, responsable de la construction à Lucerne pour Unia, note avec satisfaction: «Ici, 200 travailleurs ont quitté une vingtaine de chantiers pour cette journée d'action. Il s'agit d'une mobilisation progressive. Si on doit aller jusqu'à la grève, on le fera!» Les travailleurs sont remontés à bloc, selon lui: «Ils sentent une forte pression, accentuée par l'arrivée d'ouvriers étrangers. Ils ne les tiennent toutefois pas pour responsables de la sous-enchère salariale et accusent les failles dans l'application des règles conventionnelles...» Un message qu'entendra peut-être le conseiller fédéral Christoph Blocher, invité par la SSE au Centre de la culture et des congrès où se tient l'assemblée. Il n'aura pu dans tous les cas faire fi des cris et les sifflets des manifestants, qui se sont époumonés pendant trente minutes sous les fenêtres de l'imposant édifice d'acier.

Christophe Koessler


Salaires cassés, porte ouverte à la xénophobie...

Vania Alleva, secrétaire d'Unia, analyse la situation des migrants sur les fronts du travail et politique

La dénonciation par les patrons de la Convention nationale (CN) de la construction inquiète la Conférence d'Unia sur les migrations, qui s'est tenue en juin dernier. La décision des employeurs fait craindre aux délégués un risque de recrudescence de la xénophobie, les patrons pouvant jouer la concurrence des nouveaux migrants contre les travailleurs déjà établis. Unia demande aussi une régularisation de la situation des sans-papiers en Suisse et s'oppose au projet de naturalisation par votation populaire de l'UDC. Le point avec Vania Alleva, secrétaire syndicale d'Unia, spécialiste du domaine.

En quoi le dumping salarial, favorisé par la dénonciation de la CN de la construction, peut encourager la xénophobie?
Les travailleurs pourraient croire que le dumping est provoqué par les migrants qui arrivent sur le marché, alors que celui-ci résulte en réalité d'une politique délibérée des employeurs. Les nouveaux arrivants qui touchent un salaire plus bas sont eux-mêmes trompés! Ce n'est nullement de leur faute. Ce sont les patrons qui profitent de la situation pour les engager à des conditions moins avantageuses. D'où l'importance qu'attache Unia à informer les employés sur ce thème, à lutter pour la Convention nationale et à faire appliquer les mesures d'accompagnement.

Unia défend aussi la régularisation des sans-papiers? Certains travailleurs craignent pourtant que ceux-ci ne leur prennent leur emploi...
Dans la grande majorité des cas, les sans-papiers effectuent des tâches refusées par les autres travailleurs, notamment dans l'économie domestique. Le syndicat doit s'engager pour ces salariés sans protection! Sans cela, la situation pourrait aussi avoir des répercussions sur l'ensemble des travailleurs, les patrons ayant tendance à revoir les conditions de travail à la baisse. Pour cette raison, Unia et l'USS s'engagent depuis des années pour des régularisations collectives et individuelles. Mais la position de Berne s'est rigidifiée... nous ne voyons rien venir. Aussi notre nouvelle stratégie consiste aujourd'hui à demander une régularisation des jeunes sans-papiers qui sont nés ou qui ont fait leur école en Suisse. Le droit à la formation supérieure leur est complètement nié! La politique migratoire fédérale est aveugle. La Confédération prétend qu'elle n'a pas besoin de travailleurs extra-européens. Le marché le dément. Dans le but de justifier son inaction, l'administration fédérale va jusqu'à minimiser le nombre de sans-papiers, 90 000 en Suisse selon une étude de l'Office fédéral des étrangers, 150 000 à 300 000, selon des sources informelles.

Unia prend position contre la naturalisation par les urnes réclamée par l'UDC. L'administration est-elle plus juste que le peuple?
Oui, il y a aujourd'hui des critères très clairs: 12 années de résidence dans le pays et un casier judiciaire vierge sont nécessaires pour devenir suisse. La loi exige aussi que les étrangers soient «intégrés». Un concept mal défini que certaines communes interprètent d'ailleurs de manière abusive. Aujourd'hui, une demande de naturalisation doit passer par l'approbation des communes, du canton et de la Confédération! La procédure actuelle est très rigoureuse. Parfois trop, de l'avis d'Unia. Que le peuple se prononce en plus sur chaque demande est absurde! Cela ouvre la porte à la discrimination. La population risque de voter en fonction de critères subjectifs, comme la consonance du nom de la personne ou sa nationalité. Avec la proposition de l'UDC, le peuple pourrait trancher sans raison valable, sans avoir à justifier son choix!

Propos recueillis par Christophe Koessler