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Le vrai visage de Franck Muller SA dévoilé aux Prud'hommes ?

Le principal témoin cité par Franck Muller SA dans une affaire de licenciement abusif s'est retourné contre son patron

Le 4 juillet dernier, une dispute éclate entre deux employés de Frank Muller SA. Cette altercation se solde, pour l'une des deux personnes concernées, une femme, par un renvoi sur le champ. Prenant sa défense, Unia dépose alors plainte au Prud'homme pour licenciement abusif. Jeudi passé, le second protagoniste de la querelle a été appelé par sa hiérarchie à témoigner contre sa collègue. Mais, coup de théâtre, il a plutôt pris sa défense

L'affaire dévoilée devant le Tribunal des prud'hommes le jeudi 10 janvier à Genève jette une lumière crue sur des méthodes peu reluisantes utilisées par la direction de Franck Muller SA 1 pour défendre ses intérêts. Des pratiques de gestion du personnel tyranniques dénoncées par Unia relevant que mobbing, menaces, injures et licenciements abusifs sont monnaie courante au sein de l'entreprise horlogère qui emploie environ 600 personnes dans la ville du bout du lac (voir notre édition du 5 décembre 2007).

Coup de théâtre
«Mon chef d'atelier m'a enjoint de prétendre devant le tribunal que ma collègue m'avait traité de "sale arabe". Ce qui est faux.» Coup de théâtre! le principal témoin cité par Franck Muller SA dans une affaire de licenciement abusif s'est retourné contre son patron. Une attitude qui pourrait lui coûter son poste. Mais l'employé aurait préféré dire la vérité, après avoir juré à la barre de le faire. «Je suis un vrai musulman, j'ai des principes», s'est-il presque défendu.
Le jeune horloger a alors certifié qu'il avait eu une «simple dispute» avec une autre salariée le 4 juillet dernier, aboutissant au renvoi immédiat de cette dernière. Pour le syndicat, l'employeur a pris prétexte de cette altercation pour se débarrasser d'une travailleuse qui n'acceptait pas de se soumettre à toutes ses exigences, surtout au niveau des heures supplémentaires dépassant les normes légales et le travail du samedi. Aucune «faute grave» ne pouvant lui être imputée, ce licenciement se révèle clairement abusif selon Unia, qui défend cette horlogère devant le Tribunal des prud'hommes afin d'obtenir 6 mois d'indemnités de salaire.

Cortège d'insultes
Le témoin cité par Frank Muller SA a relevé une autre irrégularité: «Le responsable de la production a dit que je devais porter plainte contre ma collègue, et il m'a demandé de signer une lettre que sa secrétaire avait rédigée au préalable. Il a affirmé que je passerais alors sous sa protection, ainsi que celle de M. Sirmakes. J'ai eu peur de perdre mon emploi. J'ai fini par signer.» Le travailleur a aussi assuré s'être excusé auprès de son chef de production pour les propos très durs qu'il avait proférés à l'encontre de sa collègue: «Je lui ai dit qu'elle était un mec et que j'allais lui casser la figure», a-t-il raconté. Loin de le sermonner, son supérieur lui aurait répondu sans ironie: «Pourquoi tu ne l'as pas traité de grosse p.?» Une déclaration qui ne surprend pas Olivier Amrein, secrétaire syndical d'Unia en charge de l'affaire, qui a entendu d'autres témoignages faisant état d'injures de ce type de la part de ce responsable et d'autres cadres de l'entreprise: «Je peux citer plusieurs témoins attestant que le recours aux insultes est très répandu chez les responsables de la société, si le tribunal l'estime nécessaire», a-t-il proposé aux juges lors de l'audience. Offre déclinée.
L'affaire a profondément affecté le jeune salarié appelé à la barre, qui souffre actuellement d'une dépression. «Mon médecin m'a conseillé de changer de travail», a-t-il ajouté. Actuellement en arrêt maladie, il n'est pas revenu à son poste après les vacances d'été.

La paranoïa de l'espion
Le tribunal s'est longuement attardé sur le motif officiel du licenciement de l'employée, qui en dit long sur l'état d'esprit qui règne aujourd'hui au sein de l'entreprise: l'horlogère défendue par Unia a été congédiée pour avoir accusé son collègue d'être un «agent» au service du responsable de production. Ce dernier a estimé devant les juges qu'il s'agissait d'une «grave accusation». Pourtant, les témoins se sont succédé pour attester qu'il s'agissait d'une demi-plaisanterie ayant très souvent cours dans l'atelier depuis de nombreux mois, et que tous les travailleurs s'accusaient mutuellement d'être des agents ou des espions à la solde de la direction. «C'était un moyen d'évacuer la pression», a expliqué l'un d'eux. La boutade n'est sans doute pas sans lien avec les relations conflictuelles entre la direction et nombre de ses employés. Une situation qui a dégénéré au point d'entraîner une angoisse permanente et une suspicion entre les travailleurs eux-mêmes.
La balle est désormais dans le camp du tribunal. Considérant tacitement que la déclaration du témoin cité par l'entreprise avait été suffisamment convaincante, les deux parties ont renoncé à auditionner les derniers témoins prévus lors d'une prochaine audience. Le jugement sera rendu au cours des six prochains mois. Quant à l'horlogère défendue par Unia, elle s'est déclarée soulagée de ne plus travailler pour Franck Muller SA: «Je ne sursaute plus quand le téléphone sonne, mes maux de tête ont disparu et je n'ai plus de nœud au ventre quand je vais travailler.»
Christophe Koessler

1 A noter que depuis le rachat de l'entreprise par le financier Vartan Sirmakes en 2004, l'horloger Franck Muller n'est plus impliqué directement dans la gestion de l'entreprise, même si le nom de la marque initiale demeure.