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La peinture comme un combat

Talentueux peintre, Philippe Jean joue harmonieusement des vides et des pleins, menant une quête sans fin sur l'être ...

La peinture comme un combat. Une lutte où le vide, suscitant horreur ou appel, est structuré, saturé, peuplé, dans un corps-à-corps total. Travaillant à même le sol, à genoux, l'artiste aborde l'œuvre en devenir avec des objets contondants avant de recourir à la couleur et d'autres matériaux comme la cendre, le sable ou le brou de noix. De ces marquages surgissent des forêts de signes. Instinctifs et ordonnés à la fois. La surface est rythmée de pleins et de plages vierges. De teintes douces et de griffures. Le recours au feu - l'artiste n'hésite pas à brûler des pans de tableaux leur offrant de subtiles patines - donne des coups d'accélérateur au temps. Un temps non profane, vertical, nourrissant la réflexion du peintre qui, quand il crée, se dit entièrement absorbé par son travail. «Je ressens alors ni souffrance, ni bonheur. Je suis totalement dans l'action. Toutes mes énergies, mes forces physiques, mentales et inconscientes sont mises en œuvre dans une grande liberté et fluidité», explique Philippe Jean sans chercher toutefois à trop décortiquer le processus, entre spontanéité et agencement raisonné des espaces. Chaque nouveau tableau est une nouvelle aventure, avec son lot de joie et de déconvenues, l'artiste avançant à tâtons, sans plan de bataille préalable. Son regard est toutefois nourri par des paysages, lumières, guidant sa main. Et un lieu de vie, en pleine nature, inspirateur, le Vaudois de 51 ans vivant dans la campagne de Romainmôtier.

Action libératrice
Dynamique et intense, entrecoupé de moments de célérité rageuse puis d'apaisement - «je panse les plaies» - le travail de Philippe Jean ne laisse pas de place aux tourments ou aux doutes. «L'action libère de l'angoisse», affirme Philippe Jean, animé par l'irrépressible envie de peindre, d'écrire une histoire. Un scripte pictural signé simplement par ses deux prénoms, par souci de simplicité, voire de dépouillement. «C'est l'expression la plus authentique de mon être. Une mise à nu.» Un commentaire qui n'appelle pas d'interprétation sur ses créations. «Je n'ai pas de clef à donner. Le tableau terminé, il possède sa propre vie et énergie. L'imaginaire du spectateur, sa sensibilité prennent le relais» explique encore l'artiste qui se détache rapidement de ses œuvres - «je sais quand elles sont abouties» - et ne cherche pas à reproduire des réalités même si elles s'y apparentent. «Chacun peut y croiser un visage, un paysage, en écho à sa géographie intérieure. On entre ou non dans un tableau. C'est le mystère de la création. Et celui de la rencontre.» Un rendez-vous émotionnel offrant à l'esprit un support à ses vagabondages. Un face-à-face où la magie opère, parlant un esthétique et sensible langage de l'âme...

Modes d'expression pluriels
Si Philippe Jean n'a jamais cessé de peindre depuis les années nonante, il a exploré plusieurs modes d'expression, notamment la photographie qu'il a aussi pratiquée de manière professionnelle. «J'ai travaillé pendant dix ans dans l'archéologie. D'abord dans les fouilles - la recherche de nos racines m'a toujours intéressé - puis comme photographe.» Une discipline apprise en autodidacte. «J'adore la fulgurance de la photographie, mais la peinture me permet d'aller plus loin» relève Philippe Jean. Marié, père de deux enfants, il a aussi créé en 2007, en étroite collaboration avec le graphiste Laurent Bailly, un magazine régional, Nous autres, consacré au Jura - Nord vaudois. L'artiste aux multiples visages a par ailleurs exercé la fonction de conservateur du Musée du fer de Vallorbe durant quelques années. Une expérience enrichissante de plus sur un parcours professionnel original.
Quant au choix de ses études, Philippe Jean est licencié en théologie de l'Unil. Il l'explique par une rencontre «très marquante» avec le Frère Roger Schutz (1915-2005), fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, en France. «J'avais commencé les Lettres. J'ai décidé alors de changer d'orientation et de me diriger vers le pastorat... J'aimais cette aura de mystère entourant la religion, la magie du rituel.» Fascination qu'il perdra au fur et à mesure qu'il en comprend les mécanismes. Mais pas sa fibre mystique ni son besoin d'aller voir derrière le miroir. Relations à l'infini, à l'espace et au temps, qu'il explore désormais à travers la création artistique, dans une quête qui reste éminemment spirituelle. Et en réalisant des œuvres toujours plus dépouillées, visant à capturer l'essentiel. Avec bonheur...


Sonya Mermoud

Philippe Jean expose ses œuvres du 8 mai au 30 juin, à la Galerie du Vieux Pressoir, à Onnens près de Grandson. Ouvert du mercredi au samedi, de 11h à 14h et de 18h à 21h et le dimanche de 11h à 15h.