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Gardien de trésors émouvants

Ernesto Ricou dans son musée.
© Olivier Vogelsang

Ernesto Ricou, au Musée de l’immigration qu’il a créé. Un lieu chaleureux, à l’image du conservateur, qui défend des valeurs d’entraide et de partage.

Père du Musée de l’immigration à Lausanne, Ernesto Ricou a voué une large partie de son existence aux thématiques de la migration et de l’interculturalité. Question d’humanité

Impossible de dissocier l’existence d’Ernesto Ricou de celle du Musée de l’immigration de Lausanne. Fondateur et conservateur de cet espace grand comme un mouchoir de poche, sans chauffage ni sanitaire, l’homme de bientôt 72 ans le considère comme une seconde maison ou presque. La rencontre se déroule dans ce lieu singulier, comprenant un étage sous les toits relié par un escalier brinquebalant. Au total donc, deux petites pièces remplies de livres, photos, affiches, vieilles valises recelant des souvenirs pluriels, journaux, terres de différents pays... parlant de migration et d’interculturalité. Evoquant en filigrane espoirs, incertitudes, souffrances mais aussi joies et rencontres. Un microcosme familier à Ernesto Ricou, enseignant d’arts visuels à la retraite, qui a rassemblé dans ce local de trente mètres carrés – trente mètres carrés d’humanité, précisera-t-il – des centaines de trésors émouvants offerts par des migrants. L’hétéroclite collection devra toutefois trouver un nouvel abri, le bâtiment étant voué à la démolition. Pas de quoi décourager son initiateur qui s’est battu avec succès au Tribunal des baux pour obtenir un sursis d’un an avant cette issue. Et cherche désormais un endroit propre à accueillir ces témoins muets de l’exil. «Ce musée, c’est l’histoire de ma vie», justifie le conservateur, un large sourire sous sa moustache fournie, ravi de disposer d’un peu de temps avant de devoir déménager.

La Suisse, par addition

L’aventure du musée a démarré il y a bientôt 17 ans à la suite d’une discussion entre Ernesto Ricou et ses élèves. «Il y avait beaucoup de mixité dans les classes. J’ai proposé aux jeunes de réfléchir à leurs origines et de valoriser leur double culture. L’idée d’un musée a alors germé. Parti de rien, j’ai commencé par apporter ma propre valise», raconte le binational helvetico-portugais, descendant de réfugiés huguenots français, aux racines encore brésiliennes et italiennes. Un homme à la trajectoire riche. Il entame sa formation à Porto, sa ville natale, avant de gagner la Suisse en 1975 où il fréquente les Beaux-Arts à Lausanne puis à Genève, décrochant, dans la ville du bout du lac, un diplôme en gravure et techniques d’impression. «Je suis moi aussi un immigré. Le Portugal est ma terre natale, la Suisse vient en addition.» Le Lusitanien débute son parcours professionnel à la fondation Eben-Hézer accompagnant des personnes avec un handicap. «L’université de ma vie. Des résidents à la résignation lumineuse», commente l’ancien aide infirmier chargé dans un deuxième temps de l’animation du centre de loisirs de l’institution. Ernesto Ricou repartira ensuite au Portugal. Il étoffe alors ses connaissances en muséologie et expérimentation sociale, travaille dans le domaine de la conservation et la restauration du patrimoine avant de s’installer définitivement dans la capitale vaudoise où il décrochera encore un brevet d’enseignement et continuera à se perfectionner. «J’ai tout mené de front, mes études, ma famille», note Ernesto Ricou, marié deux fois et père de six enfants.

Larmes universelles

Le septuagénaire précise aussi avoir été inspiré dans sa démarche interculturelle et solidaire par deux personnalités: Mère Teresa et Charles Ferdinand Ramuz, «ses guides spirituels». Il admire chez la religieuse son engagement inconditionnel auprès des pauvres, son courage, et partage sa foi. L’écrivain suisse l’a, de son côté, séduit par son œuvre et en particulier son roman La Beauté sur la terre. Un ouvrage qui raconte la vie d’une jeune immigrée cubaine dans nos frontières. «Une réflexion sur la tolérance. Les larmes de tous les peuples sont transparentes. Le sang coulant dans les veines de tous les humains, d’une seule et même couleur rouge», s’enflamme le conservateur au verbe fleuri, insistant encore sur la mission du musée: «Il vise à sauvegarder la mémoire de migrants et à améliorer le dialogue intercommunautaire.» Sans oublier un rôle pédagogique, l’espace accueillant régulièrement des étudiants. Mais aussi des visiteurs prestigieux, affirme Ernesto Ricou et de se remémorer la venue de délégués de l’ONU et de politiciens, fier de l’audience de ce lieu «minuscule mais à la tâche immense». «L’exil est une souffrance, une maladie contre laquelle il n’y a pas de remèdes. En quittant sa terre natale, on se confronte à une jungle. Tout est à apprendre. Et la nostalgie s’installe», poursuit le conservateur qui ne voit d’apaisement que dans l’entraide et l’amour. Des mots qui reviendront souvent dans la bouche de ce catholique, bénévole dans différents groupes – soutien à des malades, des personnes âgées, des toxicomanes, etc. – et puisant son énergie dans ses croyances.

Arme secrète

«Je prie non-stop. Mon rosaire est mon arme secrète», souligne-t-il, tirant un chapelet de sa poche. Et alors qu’il estime que le racisme ne prendra jamais fin, «il fait partie de notre ADN. Il n’a ni couleur ni passeport et présente de multiples visages. Discriminations entre hommes et femmes, entre riches et pauvres... Beaucoup d’entre nous avons été racistes.» Bien que de nature optimiste, Ernesto Ricou, très attaché à sa famille, source de bonheur, confie encore une certaine peur de l’avenir. Dans l’ombre du Covid-19 et de la crise environnementale. «On assiste à d’importantes transformations. La nature va crier. Exprimer son dégoût. Notre Terre est vivante. Nous la maltraitons. Ceux qui ne ressentent pas de craintes sont inconscients.» Et Ernesto Ricou de s’inquiéter d’un effondrement général. Avant d’inviter chacun à «monter aux barricades pour améliorer le monde». «Si la planète doit être sauvée, elle le sera... par des femmes», conclut ce personnage haut en couleur qui, au cours de l’entretien, leur rendra aussi souvent hommage...

Musée de l’immigration, avenue de Tivoli 14, Lausanne.

Visite sur rendez-vous: 021 218 98 15; 078 944 04 43.