Victoire de la liberté d'expression et la dignité des travailleurs
La Cour d'appel pénale désavoue Barbey SA. P.-A. Charrière, poursuivi pour diffamation, est libéré de toute accusation
La liberté d'expression et les droits syndicaux sont saufs. La Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal a libéré Pierre-André Charrière, secrétaire syndical d'Unia (aujourd'hui à la retraite) de l'accusation de diffamation dans le litige qui l'opposait à l'entreprise Barbey. L'appel de cette dernière qui demandait 12000 francs d'indemnité pour réparation morale a été rejeté. Après plus de deux ans de procédure, le syndicat Unia se réjouit de cette victoire pour les droits syndicaux et pour la dignité des travailleurs de Barbey. Vendredi dernier, au téléphone, Pierre-André Charrière avait un grand sourire dans la voix: «J'ai reçu la bonne nouvelle, sans être vraiment surpris. Car les méthodes de l'entreprise Barbey étaient scandaleuses. Et cela ne pouvait pas être diffamatoire que de les dénoncer, même avec des mots forts.» Ces propos, que le journal 24 heures avait prêtés au syndicaliste le 26 mai 2010 lors de la grève, étaient: «Les salariés sont des esclaves et s'ils se plaignent, ils sont licenciés ou menacés de représailles.» Barbey SA avait porté plainte pour diffamation et atteinte à l'honneur.
Violations de la Loi sur le travail
Pour rappel, les employés de la boulangerie industrielle de Granges-près-Marnand avaient débrayé, suite à des heures supplémentaires non comptabilisées et donc restées impayées, à des horaires non conformes à la Loi sur le travail, et à des insultes de la part du chef d'équipe. Entre autres... Le Tribunal des prud'hommes a d'ailleurs donné raison à plusieurs employés qui avaient porté plainte suite à la falsification des rapports de la timbreuse.
Cependant, le Tribunal de police de la Broye et du Nord vaudois avait confirmé en septembre une première condamnation de Pierre-André Charrière. Ce dernier s'était vu sanctionner par une peine de 10 jours-amende (soit 300 francs) avec sursis. Un jugement contre lequel l'inculpé avait fait appel.
Mercredi dernier, lors du procès au Tribunal cantonal, deux témoins - une ancienne employée et une secrétaire syndicale - ont relevé les conditions de travail délétères qui régnaient dans l'entreprise. La première a notamment rappelé les nombreuses insultes du chef d'équipe à l'égard de plusieurs employés. La deuxième a mentionné que le terme «esclavage» «correspondait à ce qui se passait dans l'entreprise au vu des propos recueillis auprès des employés». Pierre-André Charrière a, quant à lui, ajouté qu'il ne s'adressait pas à la presse quand ses propos incriminés ont été prononcés. «Je m'adressais aux ouvriers qui ne maîtrisaient pas tous bien le français. Il me fallait trouver des mots simples qui parlent à tous.»
Tentative de conciliation
De son côté, l'administratrice de l'entreprise, Anne-Christine Barbey, a reconnu que le chef d'équipe, relevé de ses fonctions depuis le 1er mars dernier, avait eu des paroles déplacées. «On lui a demandé de faire très attention à ses propos. Mais lui-même recevait des injures, et l'on peut donc comprendre qu'il ne gardait pas toujours son calme.» En outre, elle a défendu le système de l'entreprise qui consistait à ne pas tenir compte de toutes les heures travaillées: «Nous avons informé à maintes reprises notre personnel qu'on devait retrancher des heures faites en surplus, qu'il devait suivre la cadence des machines, ainsi que les plannings journaliers, car sinon on ne s'en sortait pas financièrement.»
Le président de la Cour pénale, Bertrand Sauterel, a tenté une conciliation arguant de l'importance de la paix sociale, de la normalisation de la situation grâce à la convention collective signée avec le syndicat suite à la grève, et de l'issue indéterminée du procès. «Les deux points de vue a priori peuvent se défendre», a-t-il souligné, en relevant le débat délicat à mener sur la notion de liberté syndicale. Pierre-André Charrière était prêt à s'excuser de ses propos, dans la mesure où la famille Barbey s'était sentie blessée. Or mère et fils, tous deux présents à l'audience, n'ont pas transigé. L'avocate de l'entreprise, Me Bessonnet, a relevé que le nom de la société était toujours sali sur Internet. Une remarque qui a fait sourire le président Bertrand Sauterel rétorquant que c'était propre à Internet et que lui-même n'était pas épargné...
Recours encore possible
«La conciliation laborieusement tentée ayant échoué», le président a entendu les plaidoiries. L'avocat de Pierre-André Charrière, Me Tschopp, a rappelé que les propos de son client correspondaient aux conditions de travail qui régnaient chez Barbey. Une mesure qui en dit long: l'interdiction de demander congé lors de jours fériés, tel le 26 décembre, le 2 janvier ou à Pâques et l'indication que «toute absence pour maladie serait refusée... même en cas de certificat médical!» Et de rappeler que plusieurs employés avaient été licenciés peu de temps après avoir revendiqué leurs droits auprès de la direction. «Pierre-André Charrière avait des raisons sérieuses de croire les dires des employés, et, par ses propos, voulait mettre un terme à une situation illégale.» Me Bessonnet a, par contre, relevé que le terme «esclave» ne pouvait être banalisé et que le combat syndical ne permettait pas d'aller à l'encontre des droits de la personne.
La Cour pénale en a jugé autrement. Toutefois Me Ducret, également avocat de Barbey SA, attend les considérants motivés. «Aujourd'hui, la déception prévaut, car les deux premiers actes avaient condamné Monsieur Charrière. Nous allons donc examiner les motifs pour décider d'un recours au Tribunal fédéral», relevait-il vendredi, jour où le verdict est tombé. Pierre-André Charrière est confiant: «Barbey a perdu sur toute la ligne. Je crois que les juges du Nord vaudois ont voulu défendre l'honneur patronal plutôt que les salariés. Aujourd'hui, cette victoire, c'est aussi celle des travailleurs, enfin reconnus dans leur combat.»
Aline Andrey