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Taxer les bonus pour soutenir le pouvoir d'achat et les chômeurs

En 2010, face à la crise, l'Union syndicale suisse plaide pour un renforcement de l'Etat social

Plombée par la crise de l'économie «réelle», l'année 2010 sera marquée par une augmentation du chômage (plus de 5%) et par l'offensive de la droite contre les assurances sociales. L'Union syndicale suisse annonce une contre-attaque de grande ampleur, notamment avec l'arme du référendum. Les syndicats réclament également un impôt de 50% sur les bonus des top managers, de quoi dégager 2 milliards de francs au profit des ménages à bas et moyens revenus.

Les défis portant sur la politique sociale que devront relever les syndicats cette année «sont d'une ampleur sans précédent». Devant les médias, le conseiller national Paul Rechsteiner, président de l'Union syndicale suisse (USS), a dressé la semaine dernière un portrait à la fois sombre et réaliste de la situation économique et sociale du pays. La crise, provoquée par la spéculation financière et la maximisation des profits à court terme, pèse lourdement sur l'économie «réelle» et plus particulièrement sur les salariés aux revenus moyens ou modestes, jetant au chômage des dizaines de milliers de personnes. «Les responsables, ce ne sont pas les chômeurs, mais les abus commis dans le secteur financier; cela n'empêche pas les milieux politiques proches des banques, voire pour une part d'entre eux, financés par elles, de vouloir démanteler les prestations de l'assurance chômage. La Suisse n'a encore jamais connu une offensive pareille contre l'Etat social, une attaque concertée et orchestrée par les partis de droite. En frappant les jeunes demandeurs d'emploi, les salariés les plus âgés et les régions où le chômage est le plus élevé, le démantèlement des prestations de l'assurance chômage touchera précisément ceux qui souffrent le plus de la crise.» Paul Rechsteiner a confirmé le lancement d'un référendum contre la scandaleuse péjoration de cette assurance. De même, il a annoncé que les syndicats se battront avec la même détermination contre les tentatives de démantèlement de l'AVS, de la prévoyance professionnelle et de l'assurance accidents.

Bonus taxés à 50%
L'USS constate que le pouvoir d'achat des ménages à bas et moyens revenus sera considérablement mis à mal cette année car les salaires ont tendance à stagner alors que le coût de la vie est en hausse, particulièrement en raison de l'augmentation massive des primes des caisses maladie. Outre les difficultés personnelles, cette érosion engendre également une aggravation de la crise, via le recul de la consommation. Pour pallier cette régression, l'USS demande l'introduction urgente d'un impôt de 50% sur les bonus des top managers. Les recettes, estimées à un minimum de 2 milliards de francs, seront redistribuées aux ménages à bas et moyens revenus, de quoi, par exemple, octroyer immédiatement une somme de 1000 francs à un couple avec deux enfants. Cette taxe aurait pour effet de donner une impulsion économique à hauteur de 0,5% du PIB, contribuant ainsi à combattre le chômage. «Cela ne coûterait pas un centime à l'Etat, précise Paul Rechsteiner, et ce serait aussi une réponse à ces bonus excessifs et dangereux qui continuent à être versés, en particulier dans le secteur financier.» Utopie? Loin s'en faut. La Grande-Bretagne et l'Irlande, pourtant championnes de l'ultralibéralisme, viennent par exemple d'introduire de telles taxes.

Cette taxe est d'autant plus légitime que les bénéficiaires des bonus sont les piliers d'un système qui a conduit l'économie mondiale dans un gouffre duquel ils ne sont ressortis que grâce à l'apport massif de l'argent des contribuables, pour la plupart modestes. Après les cadeaux fiscaux offerts ces dernières années aux actionnaires et aux couches les plus riches de la population, avec la perspective de coupes dans les budgets sociaux (1,5 milliard prévus cette année dans les cantons et la Confédération), il est grand temps de rétablir un minimum de justice fiscale en allant chercher l'argent là où il est.

Stopper le démantèlement social
Affecté au soutien conjoncturel, le produit de l'imposition des bonus permettrait de soutenir l'économie et l'emploi. Une contribution dans la lutte contre le chômage. Mais cela n'est pas suffisant. Au contraire de la droite parlementaire qui veut imposer des coupes dans l'assurance chômage, les syndicats préconisent une extension à 520 jours des indemnisations de chômage. «Cela consoliderait le pouvoir d'achat et empêcherait en même temps de nouvelles exclusions sociales», souligne Daniel Lampart, économiste en chef de l'USS. Cette mesure doit s'accompagner d'un effort dans le domaine de la formation, en particulier dans les cours de rattrapage, la préparation à la maturité professionnelle, le développement d'offres de cours «passerelles» et de formation continue. Bon nombre de pays de l'Union européenne se sont déjà lancés dans cette politique, à l'exemple du Luxembourg qui a relevé de 80% à 90% du salaire les indemnités allouées aux chômeurs partiels.
Campagnes, mouvement revendicatif et lancement de référendum: les syndicats vont tout mettre en œuvre cette année pour stopper l'offensive de la droite contre l'Etat social. «Les Chambres fédérales sont en train de mijoter une série de projets de démantèlements. C'est une attaque frontale contre les assurances sociales. Nous les combattrons», avertit Colette Nova, secrétaire dirigeante de l'USS. Les syndicats vont également se battre contre les velléités de libéralisation des infrastructures et des services publics, à commencer par La Poste, le marché de l'électricité et le réseau ferroviaire. Enfin, l'USS va également se battre pour une reconnaissance concrète de l'exercice des droits syndicaux dans l'entreprise ainsi que pour une meilleure protection des salariés contre les licenciements. A l'évidence, l'année 2010 sera chaude.

Pierre Noverraz


Un chômage élevé

Selon les prévisions établies par Daniel Lampart, économiste en chef de l'USS, le taux de chômage en Suisse atteindra cette année une moyenne de 5,2%, autrement dit il touchera plus de 200000 personnes. Dans les cantons de Genève et de Neuchâtel, un salarié sur huit sera à la recherche d'un emploi.
La croissance du PIB sera en 2010 de 0,3% et le renchérissement de 0,7%. La légère croissance de 0,3% au troisième trimestre de l'année dernière ne saurait constituer un indicateur de reprise. Cette maigre progression est en effet en grande partie imputable aux programmes conjoncturels. «Les firmes continuent de souffrir de grosses surcapacités et le chômage s'accroît», constate Daniel Lampart. «Sans une forte croissance dans l'Union européenne, les problèmes conjoncturels persisteront en Suisse. Le marché intérieur est même menacé de se dégrader encore plus. Les hausses de salaire de 1% environ ne suffisent pas à compenser le renchérissement de 2010 et l'augmentation de 10% des primes des caisses maladie.»

Dans l'industrie des machines, plus de 15000 emplois ont disparu l'année dernière et de nouvelles vagues de licenciements sont à craindre. Jusqu'ici préservé, le secteur du bâtiment commence à montrer lui aussi des signes d'essoufflement, avec un léger recul des commandes pour le début 2010.

PN

 

Quand le travail est vampirisé par le capital

«Les actionnaires et les top managers profitent et la collectivité passe à la caisse.» C'est sous ce titre que l'Union syndicale suisse résume la politique économique ultralibérale qui prévaut depuis ces dernières décennies. Les dividendes et les rétributions des actionnaires et des hauts dirigeants d'entreprises n'ont cessé de grimper. Exemple révélateur, la distribution des dividendes aux actionnaires des entreprises suisses cotées en Bourse a explosé de 3 milliards en 1985 à près de 30 milliards vingt ans plus tard! Cet incroyable décuplement s'est opéré au détriment des salariés. Démonstration: en 1998, un employé de l'industrie générait en moyenne 35000 francs de plus pour son employeur que dix ans auparavant, ce qui représente une augmentation de productivité de 44%, renchérissement non compris. Selon le Centre de recherches conjoncturelles KOF de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, plus de 80% des entreprises industrielles, au milieu des années nonante, utilisaient leurs investissements pour rationaliser alors qu'elles n'étaient qu'un peu plus de 60% à le faire, dix ans auparavant. «Cela signifie davantage de stress au travail, ce qui entraîne des maladies qui viennent finalement grever l'AI», déplore Daniel Lampart. Pour preuve une étude du Seco (Secrétariat fédéral à l'économie): 70% des salariés n'avaient pas de problème de santé en 1988 alors que dix ans plus tard, cette proportion chutait à 59%. Quant à la proportion des personnes souffrant des symptômes du stress, elle a presque doublé entre 1984 et 1998. Le chômage lié aux restructurations et aux délocalisations a également pris l'ascenseur. Au final, la part des dépenses de l'AI, de l'aide sociale et de l'assurance chômage, dans le PIB, a presque doublé en l'espace de ces trente dernières années, ce qui représente un supplément de 10 milliards de francs.
Ces coûts résultant de la course effrénée aux rendements sont assumés par la collectivité. Cette dernière doit en quelque sorte «prendre en charge les conséquences sociales des agissements des entreprises, subventionnant ainsi les actionnaires de ces firmes, dont les dividendes augmentent».

PN