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Sans culture, pas de futur

Action des acteurs culturels à Lausanne.
© Olivier Vogelsang

Quelque 1400 personnes au total ont participé à l’action menée dans dix villes romandes dont Lausanne (photo).

Des travailleurs de la culture ont organisé des actions dans une dizaine de villes romandes pour dénoncer la précarité dans laquelle ils se trouvent. Entretien avec Matthieu Béguelin, comédien et metteur en scène, partie prenante de la mobilisation

Vers un désert culturel? C’est ce que craignent les acteurs du domaine qui se sont mobilisés le 13 février dernier, organisant des actions coordonnées dans une dizaine de villes romandes. 1400 personnes ont participé à la démarche. But de la mobilisation: alerter les élus et l’opinion publique de la nécessité d’agir rapidement pour soutenir le secteur qui court, d’après eux, à la ruine économique. Une lettre à l’intention des autorités fédérales et cantonales et listant les revendications des protagonistes a également été lue à cette occasion. Les auteurs estiment que la crise sanitaire met en lumière la précarité des milieux culturels. Une opinion confirmée par une récente étude menée par la Task Force Culture romande. Ses conclusions: près d’un artiste sur deux (43%) craint de devoir changer de métier en raison des difficultés financières actuelles et près d’une entreprise sur deux (46%) considère sa situation financière de sérieuse à catastrophique. Le sondage a été mené auprès de 513 personnes et 270 associations, institutions et entreprises du secteur culturel romand. Le point avec Matthieu Béguelin, comédien, metteur en scène, membre de la Fédération des actrices et acteurs culturels neuchâtelois et de la Fédération des arts de la rue en Suisse.


Quelle est la situation actuelle des artistes?

Très mauvaise. Depuis mars 2020, les lieux culturels ont été fermés plus de la moitié de l’année. De nombreuses manifestations ont donc été annulées et on observe des reports en cascade de productions. Résultat: les artistes ne gagnent plus leur vie et, face à eux, le système d’indemnisation s’avère insuffisant, inadapté et compliqué. De plus, la fin d’année représente les mois forts des saisons de théâtre et de danse – dont les lieux de diffusion n’ont été ouverts que durant trois mois (juin, septembre et octobre). Et il n’existe pas non plus de garantie que les festivals puissent avoir lieu en été. On travaille sans avoir la certitude qu’on va jouer. Ces arrêts à répétition risquent de paralyser le secteur à long terme. Et de nombreux producteurs ou lieux culturels sont menacés de mettre la clé sous la porte.

En quoi consiste votre mobilisation?

Nous avons, avec plusieurs autres organisations, mené une action coordonnée dans dix villes de Suisse romande pour alerter les autorités et l’opinion publique sur la nécessité d’agir rapidement pour soutenir le milieu culturel. Cette mobilisation a commencé le 13 février et durera jusqu’au 25 février, date du premier cas de Covid-19 en Suisse en 2020. Lors de l’action de samedi passé, nous étions habillés en noir et avons lu une lettre ouverte adressée à la Confédération et aux autorités cantonales pour exposer notre situation et réclamer de l’aide. Nous avons ensuite observé une dizaine de minutes de silence – pour dénoncer un Etat sourd à nos requêtes – avant de faire du tapage...

Pourquoi agir aujourd’hui?

Car les problèmes s’accumulent. Le deuxième arrêt, en novembre dernier, intervient alors que les conséquences du premier n’ont pas été absorbées. De septembre à décembre, les contrats à durée déterminée étaient exclus de l’accès aux RHT. Or, il s’agit du contrat le plus courant dans le milieu culturel. On ne peut pas imaginer actuellement de nouvelles programmations avant 2023. Cette situation n’est pourtant pas universelle puisque, dans plusieurs autres pays, les lieux culturels n’ont pas été fermés. La baisse des cas a surtout été observée lors de l’obligation du télétravail et de la fermeture des magasins. Et non pas à la clôture des milieux culturels. Si l’Etat nous demande d’arrêter de travailler, il doit assumer sa décision jusqu’au bout, en nous indemnisant correctement.

Quelles sont vos revendications principales?

Nous demandons urgemment la réouverture progressive des lieux culturels au public, la reconnaissance juridique et administrative du statut spécifique des travailleurs culturels au niveau fédéral, la simplification des démarches pour obtenir des indemnités financières et la prolongation des délais-cadres de chômage. Nous revendiquons aussi le développement massif des soutiens financiers à la recherche artistique et la formation continue, pour nous permettre de travailler à défaut de pouvoir diffuser les œuvres.

Pensez-vous qu’il faudrait introduire un statut d’intermittent du spectacle en Suisse? Ou privilégier un modèle comme celui existant à Zurich (revenu de remplacement mensuel de 3840 francs valable jusqu’à fin avril 2021)?

Oui, absolument. Il existe déjà un embryon de statut d’intermittent du spectacle qui concerne uniquement les salariés. Il faudrait l’élargir. En France, par exemple, ce statut a permis à l’Etat de prendre une décision pour tout le secteur de la culture. De cette façon, il a pu décréter qu’il considérait 2020 comme une année blanche et qu’il financerait les acteurs en conséquence.

La base d’indemnisation mise en place par le modèle de Zurich est une idée intéressante pour résoudre un problème comme celui que nous affrontons. Mais pas à long terme. Dans l’immédiat, il faut avant tout que les indemnités soient à la hauteur des pertes. Les restrictions imposées sont acceptables uniquement si l’Etat agit en conséquence de ses décisions.

La culture serait-elle le domaine sacrifié de la crise? Ressentez-vous une injustice à ce sujet?

L’injustice est présente à partir du moment où les indemnités ne sont pas à la hauteur des pertes. La culture a le pouvoir de rassembler les gens au-delà de leur croyance et de leur appartenance. Elle représente une valeur d’usage qui n’est ni matérielle, ni quantifiable, mais néanmoins essentielle. Pourquoi donne-t-on une dérogation aux Eglises leur permettant d’accueillir 50 personnes et pas aux milieux de la culture? Notre domaine représente pourtant lui aussi une forme de nourriture spirituelle pour bon nombre de personnes. Cette dimension échappe aux autorités.

Faudrait-il, au vu du temps que dure la pandémie, repenser le domaine de la culture? Comment voyez-vous l’avenir?

La culture ne doit pas se réinventer, ce sont plutôt les politiques culturelles qu’il faut repenser. Les arts qu’elle englobe sont pour certains millénaires. Ils ont fait face à d’autres virus et maladies. On veut nous faire croire qu’on peut individualiser les expériences culturelles mais certaines se doivent d’être collectives.

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