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Plus de droits pour les employées sans papiers

Une coalition d'une trentaine d'organisations, dont Unia, revendique l'amélioration des conditions des employées de maison

Le 13 mars dernier, l'association «Reconnaître le travail domestique - régulariser les sans-papiers», composée d'une trentaine d'organisations dont Unia, a lancé la campagne «Aucune employée de maison n'est illégale». Face à la précarité et aux abus dont sont victimes les travailleurs de l'économie domestique, le plus souvent sans statut légal, une pétition exige qu'ils bénéficient d'une protection sociale et d'un accès aux tribunaux sans risque d'expulsion.

On estime qu'il y aurait en Suisse entre 90'000 et 200'000 sans-papiers. La moitié d'entre eux, entre 40000 et 100'000, travailleraient dans des foyers privés. Et parmi ces employés de maison sans autorisation de séjour, plus de 90% seraient des femmes. Au quotidien, leurs tâches consistent à nettoyer, faire la cuisine, faire la lessive et le repassage, ou encore s'occuper des enfants ou des personnes malades et âgées. Une profession cachée et souvent précaire alors que la demande des privés ne cesse de croître. En cause, l'activité professionnelle des deux parents, le manque d'infrastructures collectives comme les crèches, ou encore l'inégalité entre hommes et femmes face au travail domestique qui poussent les particuliers à externaliser ces tâches. Le Centre de recherches conjoncturelles de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich rapporte en effet qu'un foyer sur 17 dans le canton de Zurich emploierait un sans-papiers. A Genève, ce serait même 80% des employés de maison qui ne possèdent pas d'autorisation de séjour. Afin de dénoncer cette hypocrisie, l'association «Reconnaître le travail domestique - régulariser les sans-papiers», une coalition d'une trentaine d'organisations, dont Unia, a lancé le 13 mars la campagne «Aucune employée de maison n'est illégale», ainsi qu'une pétition*. Composée de syndicats, de collectifs de soutien aux sans-papiers ou encore d'associations religieuses, la coalition demande une amélioration des conditions de vie et de travail des employés de maison sans statut légal. «La société dépend de cette main-d'œuvre, mais elle ne leur donne pas la possibilité de vivre et de travailler dans des conditions humaines, a déclaré Elisabeth Joris, présidente de l'association, lors d'une conférence de presse. Cette attitude est hautement injuste.»

Garantir les droits du personnel de l'économie domestique
Pour faire face aux risques d'exploitation auxquels sont exposés les employés de maison (comme les salaires de misère, le temps de travail excessif, le harcèlement sexuel ou la violence) et à la précarité du secteur (absence de protection sociale, isolement social), la pétition à l'attention du Conseil fédéral exprime trois grandes revendications. Tout d'abord, garantir l'accès aux Tribunaux des prud'hommes aux personnes sans autorisation de séjour sans que celles-ci risquent l'expulsion. «En cas d'abus, dans presque tous les cantons, elles ne peuvent s'adresser à une instance tel un Tribunal des prud'hommes car elles risquent de se faire expulser en tant qu'illégales», ajoute Elisabeth Joris. Dans un deuxième temps, la coalition exige que la protection sociale des employés de maison sans statut légal soit garantie, là aussi, sans risque d'expulsion. Pour ce faire, elle suggère la généralisation de l'utilisation des chèques emploi, permettant à ces travailleurs de cotiser aux assurances sociales. Et enfin, la pétition demande que des permis de séjour soient plus souplement accordés aux personnes sans papiers et spécialement à celles actives dans le secteur de l'économie domestique. Les modalités de ces régularisations sont encore à établir. De fait, l'association «Reconnaître le travail domestique - régulariser les sans-papiers» est en contact avec des parlementaires de différents horizons politiques en vue de formuler des motions qui soient susceptibles de réunir la majorité politique. «Avec ces trois propositions, nous ne voulons pas seulement garantir que les personnes travaillant dans ce secteur et qui ont une fonction importante dans notre société et notre économie puissent trouver des conditions humaines de travail, s'est exprimé le conseiller national vert zurichois Balthasar Glättli. Nous voulons également assurer que la Confédération, les cantons, les communes et les assurances sociales puissent bénéficier de ce travail, qui représente des centaines de millions de francs chaque année.»
L'association s'est donnée jusqu'à février 2014 pour récolter un maximum de signatures.
Manon Todesco

* La pétition peut être signée sur le site www.aemni.ch


L'OIT engagée en faveur des travailleurs domestiques

Le 16 juin 2011, lors de la centième Conférence internationale du travail de l'Organisation internationale du travail (OIT), la Convention 189 sur le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques a été adoptée. Selon l'OIT, ils seraient près de 53 millions dans le monde à travailler dans ce secteur encore peu ou mal réglementé. Dans ce contexte, le traité étend les droits et les principes fondamentaux du travail aux employés de maison, à l'image de la liberté syndicale, de l'abolition du travail des enfants, du droit à une période de repos, à une protection sociale ou encore à un salaire minimum. Le hic, c'est que cette norme internationale ne s'impose à un Etat que lorsque celui-ci la ratifie. Et à ce jour, seuls l'Uruguay, les Philippines, l'île Maurice et l'Italie en sont signataires, soit 4 Etats membres sur 183...
En Suisse, le débat s'impose. La coprésidente des Verts et conseillère nationale Regula Rytz a déposé en septembre dernier deux motions. L'une demande au Conseil fédéral de soumettre rapidement au Parlement la ratification de la Convention 189 de l'OIT, et l'autre invite la Confédération à mettre en place des moyens de contrôle pour veiller à ce que les conditions minimales fixées par le contrat type de travail fédéral pour l'économie domestique soient respectées dans les ménages privés. Sans quoi, «les dispositions étatiques de protection ne servent à rien», note la motionnaire. L'examen de la Convention de l'OIT étant toujours en cours, le Conseil fédéral, selon sa réponse à la première motion, prévoit de la soumettre aux parlementaires en juin prochain. Quant à la deuxième motion, le gouvernement la rejette, estimant que cette tâche revient aux commissions tripartites cantonales puisque «le droit des obligations ne contient aucune disposition explicite sur l'exécution et les contrôles des CTT prévoyant des salaires minimaux contraignants». L'objet sera prochainement débattu au Conseil national.
MT


Ancrer la campagne dans les régions

Quatre questions à Rita Schiavi, membre du comité directeur d'Unia

QUESTIONS/REPONSES

Quelle est la place d'Unia dans cette campagne?
Cette thématique nous tient à cœur dans la mesure où le syndicat a lutté pour la mise en vigueur d'un contrat type de travail (CTT) des employés à domicile. Les sans-papiers ont aussi le droit de jouir d'un salaire minimum, or, il est difficile pour eux de le revendiquer ou d'aller devant les Prud'hommes. C'est pourquoi, à travers cette pétition, nous demandons que les travailleurs sans autorisation de séjour puissent atteindre les tribunaux sans être expulsés.

Comment le syndicat compte-t-il soutenir la campagne?
Nous allons d'abord diffuser des informations ainsi que la pétition sur nos pages web, dans nos journaux mais aussi à travers le groupe d'intérêt Migration. Ensuite, nous solliciterons les régions à participer en créant des groupes régionaux et en planifiant des activités car c'est au niveau local que la campagne aura le plus d'impact. A Bâle par exemple, il y a une volonté de s'inspirer des «chèques service» genevois ou encore des «chèques emploi» vaudois, qui permettent aux employés de maison sans papiers de cotiser aux assurances sociales et de payer des impôts.

Etes-vous optimiste quant à l'impact de cette pétition?
A l'image de la campagne «Aucun enfant n'est illégal», je pense que nous aboutirons, pas à pas, à des petits succès, comme la possibilité d'assurer ces travailleurs dans certains cantons. Cela dit, la pétition ne sera pas l'unique vecteur de cette campagne. Nous devrons aussi faire pression auprès des parlementaires pour qu'ils amènent le sujet sur la table.

La grande majorité des organisations et des personnalités politiques qui soutiennent ce projet sont de gauche. A terme, cela ne risque-t-il pas d'être problématique?
Nous devons absolument chercher des soutiens à droite. A noter qu'il y a un engagement fort de la part des organisations proches de l'Eglise, ce qui est une piste importante. Nous espérons aussi rallier à notre cause certains politiciens bourgeois, notamment en Suisse romande. Les femmes sans papiers travaillent plutôt chez des familles aisées, souvent proches des partis bourgeois, le problème est donc connu!
Propos recueillis par MT


«Les gens ont besoin de nous»

Nelly Valencia est originaire d'Equateur et vit en Suisse depuis 1998. Cette employée de maison, anciennement sans papiers, est venue témoigner lors du lancement de la campagne «Aucune employée de maison n'est illégale». Elle est revenue sur la peur qui hantait sa vie au quotidien. «Certaines employeuses ont profité de moi en refusant de me payer pour les heures travaillées et en me menaçant d'appeler la police si j'insistais.» Nelly est ensuite parvenue à trouver des patronnes d'accord de payer les assurances sociales et les impôts. «En cotisant au travers des chèques emploi, nous faisons partie de cette société et participons au développement économique du pays.» Après une arrestation et un court séjour au poste de police, Nelly reçoit une lettre d'expulsion. Grâce au Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers et au Centre social protestant vaudois, elle a pu déposer un recours, et en décembre 2010, après une lutte acharnée, elle et son mari ont enfin obtenu un permis B. Aujourd'hui, Nelly travaille toujours comme employée de maison chez quatre de ses employeuses et cumule un emploi de femme de nettoyage à 60% pour la commune de Pully. Elle reste néanmoins mobilisée pour la cause du personnel de l'économie domestique sans papiers. «C'est important que les médias parlent de notre situation afin de sensibiliser la population suisse. Nous donnons beaucoup, les gens ont besoin de nous, mais nous vivons toujours dans l'angoisse.»
MT