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Murad est sorti de prison

Le syndicaliste d'Unia Murad Akincilar a été libéré suite à une première audience du tribunal. Son procès est fixé au 26 juin.

Les prétendus indices de liens entre Murad Akincilar et une organisation terroriste ont été démontés avec brio par la défense lors de la première audience du tribunal turc chargé de l'affaire. Le procureur lui-même a requis sa libération immédiate en attendant le procès fin juin. Murad va bien en dépit de graves problèmes oculaires. Il témoigne de sa détention en isolement.

Unia et tous les amis et camarades de Murad Akincilar ont poussé un soupir de soulagement jeudi 3 juin! «Libre!» La nouvelle a fait chauffer les messageries électroniques et sonner bien des téléphones portables en cette fin d'après-midi en Suisse et en Turquie. Après plus de 8 mois d'incarcération dans le plus complet isolement à Edirne, le secrétaire syndical d'Unia Genève a pu sortir de la prison de haute sécurité aux alentours de 23 heures. L'après-midi, le Tribunal correctionnel de Besiktas avait prononcé sa libération dans l'attente du procès qui se déroulera le 26 juin. «C'est une victoire d'étape», prévient Jamshid Pouranpir, ancien collègue direct de Murad, contacté sur place par téléphone. Car si les prétendus indices de liens de Murad Akincilar avec une organisation terroriste ont pu être facilement réfutés par la défense au cours de l'audience, nul ne sait ce que décideront les juges turcs à l'issue du procès. Néanmoins, le fait que le procureur lui-même ait demandé la libération immédiate après avoir entendu les plaidoiries et les témoins constitue un signal positif.

Murad va bien
«Je vais très bien, à part mes problèmes de santé aux yeux», assure Murad au téléphone. Le syndicaliste a en effet subi un double décollement de rétine pendant sa détention, probablement favorisée par les lampes utilisées lors des interrogatoires. Son œil droit a perdu 65% de sa capacité et la vision de son œil gauche s'est aussi détérioré. Il devra subir un traitement ophtalmologique qui devrait lui permettre de recouvrir une partie de ses capacités visuelles. Mais le moral est bon. Jamshid Pouranpir confirme: «Il semble fatigué et affaibli, mais lucide et très content. On a pu s'entretenir longuement.» Murad Akincilar a été soumis à un système d'incarcération particulièrement difficile: le régime d'isolement. «J'occupais tout seul une cellule de laquelle je ne pouvais sortir qu'une heure par semaine pour les visites. Et je n'avais droit qu'à 10 minutes de téléphone hebdomadaire.»

La torture de l'isolement
Murad n'est toutefois pas le genre à se plaindre. Il évoque l'histoire: «C'est contre ce mode d'incarcération qu'un grand mouvement de protestation avait vu le jour en 1999 et 2000, car de nombreux prisonniers se suicidaient. Durant ces mois de mobilisation, au cours desquels la grève de la faim a été utilisée, 122 personnes ont alors perdu la vie.» Autant dire qu'il faut avoir un mental d'acier pour résister à l'isolement! «Nous autres, les militants, nous tenons assez bien», déclare pudiquement Murad, qui n'a pu que lire et écrire par intermittence en raison de la faiblesse de ses yeux. L'important soutien des syndicats et organisations internationales, turcs et suisses, l'a aussi aidé à garder le moral. Il voit d'ailleurs dans la forte délégation de solidarité suisse venue le soutenir à Istanbul l'une des raisons de sa mise en liberté immédiate.
Aujourd'hui, comment vit-il sa libération? «En prison, tu te prépares psychiquement à devoir reprendre une activité du jour au lendemain, tout en entretenant la patience nécessaire à une détention de longue durée.» Si de nombreux observateurs se montrent optimistes quant à l'issue du procès, Murad reste réservé: «Cela peut durer des années. Tout est possible. Mon avocat ne fait aucun pronostic.»

Dossier vide
Pourtant, les soi-disant indices d'un lien de Murad avec le Commandement révolutionnaire (CR) - organisation qui a revendiqué des attentats - ne reposent sur rien. La première audience du tribunal l'a bien montré. Devant la Cour, un autre accusé, qui avait désigné la revue dirigée par Murad, Demokratik Donusum, comme l'organe médiatique de terroristes, est revenu sur sa déposition. Il a assuré que celle-ci lui avait été arrachée sous la menace et le chantage. Autre indice douteux: la «demi-empreinte digitale» de Murad, prétendument retrouvée sur un livre dans l'appartement de ce même prévenu, accusé lui-même d'entretenir des liens serrés avec le CR. «L'avocat de Murad a relevé que lorsque l'on feuillette un livre, on ne le tient pas avec l'index, et que, de plus, des empreintes d'autres personnes se trouvaient sur le document, sans que l'on cherche à connaître leur identité», raconte Jacques Robert, secrétaire central d'Unia, depuis Istanbul. Quant au code informatique IP que la revue de Murad partagerait avec le CR selon l'accusation, les expertises d'informaticiens ont assuré que l'on ne pouvait rien en conclure. Aucune preuve matérielle n'a donc été apportée lors de cette audience. 


Christophe Koessler