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Marre de se cacher, on vit ici, on reste

Quelque 150 sans-papiers ont occupé une semaine durant un parc à proximité du Palais fédéral réclamant une régularisation

Le 26 juin dernier et durant une semaine, environ 150 sans-papiers ont occupé le parc Kleine Schanze, à proximité du Palais fédéral. But de leur présence: demander une régularisation collective des quelque 100000 personnes confrontées à pareille situation. Soutenus par nombre d'associations actives dans le domaine de la migration, des syndicats, dont Unia, et des mouvements de gauche, les migrants ont interpellé l'Office des migrations et le Département fédéral de justice et police. S'ils ont aujourd'hui suspendu leur mobilisation, la lutte va continuer.

Mercredi 30 juin, parc Kleine Schanze, Berne. Un étrange campement se dresse depuis cinq jours au cœur de cet îlot de verdure ombragé, tout près du Palais fédéral. Au milieu des arbres, cernées de calicots, des tentes ont poussé comme des champignons et rompent avec l'image traditionnellement lisse des lieux. Dans ces abris de fortune, soutenus par de nombreux sympathisants, quelque 150 sans-papiers ont élu domicile. Une population bigarrée composée de requérants d'asile déboutés et de clandestins, partageant un destin similaire. Une existence en marge de la société faite de précarité et d'anonymat, une vie entre parenthèses, soumise à la peur permanente d'un renvoi. Angoisse aujourd'hui jugulée. Sur une banderole grossièrement peinte, l'affirmation suivante: «Marre de se cacher, on vit ici, on reste.»

Goût d'interdit
Il est dix heures. Le soleil cogne. La plupart des maisons de toile sont vides. Leurs occupants vaquent à différentes activités, avant de participer, l'après-midi, à une marche de protestation qui les conduira devant les bureaux de l'Office des migrations puis de ceux du Département de justice et police (voir encadré). Assis sur des linges, des migrants terminent de déjeuner avec notamment au menu, du bircher muesli... L'intégration est passée par là quand bien même elle garde un goût d'interdit. D'autres font un peu de rangement. Certains écrivent sur des banderoles: «Construire des ponts vaut mieux qu'ériger des murs», «Des papiers pour tous ou pour personne»... Assis côte à côte, à l'ombre d'une bâche, deux requérants d'asile déboutés ont entamé une grève de la faim. Les yeux perdus dans le vide Farhad, iranien, n'a rien mangé depuis le 2 juin. «Ou je reçois des papiers, ou je meurs. De toute façon, si on me renvoie dans mon pays, je serai tué» affirme d'une voix éteinte cet homme de 24 ans, présentant un document du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui le reconnaît pourtant comme réfugié.

Un palais après le bunker
Sadou, un jeune Guinéen, a lui aussi passé la nuit dans une des tentes dortoirs mis à disposition par les associations de soutien. «Un palais par rapport au bunker dans lequel je suis supposé vivre. Dans l'abri atomique, les conduites d'air font un bruit sourd, constant, qui rend malade. Ici on est à l'air libre.» Requérant d'asile débouté, l'homme est arrivé en Suisse il y a sept ans et demi. Depuis 2008, il touche une aide d'urgence et vit dans la peur de son renvoi. «Hier colonisé, aujourd'hui exploité et expulsé» soupire-t-il. Interdit de travail, Sadou reçoit des bons à faire valoir dans un centre commercial d'un montant de 8 fr. 60 par jour. Trois fois rien... Le migrant affirme d'ailleurs ne s'en sortir qu'avec le soutien d'amis suisses. Et boude le plus souvent le traumatisant bunker même s'il y effectue des visites régulières, pour prouver qu'il n'a pas disparu dans la nature et toucher ses bons.

Décennie perdue
Militant dans différents groupements pour les migrants, Sadou occupe son quotidien à faire du bénévolat: cours d'allemand, animation de différents ateliers... Et n'a pas hésité à prendre part à l'occupation. «Si on ne se bat pas, il n'y aura pas de solution. Ma vie est impossible. Je ne peux pas continuer comme ça ni retourner dans mon pays. Trop dangereux.» Sans entrer dans le détail, Sadou évoque les menaces de fondamentalistes religieux et ne croit pas qu'une régularisation collective des sans-papiers génèrera un appel d'air. «Aucun risque. C'est le marché du travail qui régule le flux migratoire.» Quoi qu'il en soit, une seule certitude: il aspire aujourd'hui à une vie normale. «Je sais, les lois sont très strictes, mais je garde espoir. J'aime ce pays. Je donnerai tout pour y rester.» Histoire similaire d'Ariel, camerounaise. Agée de 41 ans, elle explique avoir fui son pays pour des motifs «politiques et professionnels». Depuis le dépôt de sa demande d'asile, rejetée, une dizaine d'années se sont écoulées. Une décennie de vie active perdue ou presque, se lamente-t-elle, interdite elle aussi de travail. «Tout ce que je souhaite, c'est une vie digne, humaine, autonome.» Un désir encore renforcé par l'existence de son fils, 17 ans, qui a grandi ici, en Suisse et se trouve lui aussi pénalisé par cette situation.

Ni résident, ni touriste...
Hamid (prénom fictif) fait pour sa part partie des personnes entrées clandestinement en Suisse. Originaire du Maghreb, cet homme de 38 ans a quitté son pays pour des raisons économiques. Engagé par une entreprise de déménagement et de nettoyages, l'immigré passe les deux premières années de son séjour dans nos frontières sans problème majeur. Jusqu'au jour où un contrôle inopiné de la police modifie la donne. «J'ai été sommé de partir ou de déposer une demande d'asile si je craignais de rentrer chez moi.» Issues qu'il refuse et qui sont de toute manière rendues aussi impossibles par l'absence de papiers. Hamid ne change rien à son existence, même après un deuxième contrôle. «On ferme un peu les yeux sur mon cas car je ne crée pas de problème, que je gagne ma vie.» Situation fragile qui pourrait toutefois à tout moment basculer. Aussi l'immigré mise sur sa régularisation. Elle lui permettrait de ne plus travailler au noir, de trouver une stabilité, de voyager. «Aujourd'hui, je suis ni un résident, ni un touriste. Je ne veux pas devenir suisse mais seulement travailler.»


Sonya Mermoud