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Les fauves passent à table

Chef animalier au zoo de Servion, Damien Busset s'occupe de ses protégés avec coeur. A l'heure du repas...

D'une surface de 55000 m2, le zoo de Servion (Vaud) accueille quelque 180 animaux représentant 70 espèces différentes. Chef animalier, Damien Busset prend soin - avec quatre autres collègues et un apprenti - de toute cette ménagerie. Ce travail exigeant, physique, offre à ce passionné de la nature un contact privilégié avec une faune qu'il affectionne. Reportage.

Si l'équipe travaillant à Servion a déjà dîné, c'est au tour des animaux de passer à table. Comme chaque jour, à 13 heures, Damien Busset s'apprête à préparer leur pitance dans la «cuisine» du zoo. Un vaste garde-manger, doté de frigos et plan de travail. Le chef animalier traverse la réserve de granulés de céréales pour les herbivores sans s'arrêter. Rennes, cerfs, antilopes, chèvres, mouflons, alpagas et bisons ont déjà eu droit, ce matin, à ce plat de consistance. «Un repas confectionné sur mesure, selon l'espèce et ses besoins nutritifs», précise le jeune homme de 30 ans en montrant le système de bacs et doseurs facilitant la préparation des portions. Nourriture qu'il va compléter par des légumes et du foin à volonté.

Régal des carnivores
Le local adjacent sert de cuisine, à proprement parler, pour les animaux. Deux collègues de Damien s'affairent à découper légumes et fruits qui seront servis aux singes, comptant 9 espèces différentes et une quarantaine d'individus. Une broyeuse réduit de son côté en un tour de lame choux et pommes destinés aux herbivores. «Les fruits et légumes sont des invendus offerts par une grande surface. On en récupère entre 200 kilos et une tonne par semaine.» Une alternative bienvenue au gaspillage, les denrées étant tout à fait propres à la consommation... Dans la pièce suivante, un cadavre de vache destiné aux grands carnivores pend au plafond. Pendule peu ragoûtant... La carcasse charnue fera toutefois le régal, une dizaine de jours durant, de tigres, lions, loups et lynx. Mais si, hier encore, les paysans de la région pouvaient donner au zoo le bétail blessé et éviter ainsi les frais d'équarrissage, de nouvelles normes sanitaires mettent aujourd'hui fin à cette pratique. «C'est désormais interdit. Nous devrons nous arranger avec les abattoirs» déclare Damien Busset relevant que la nourriture des carnivores provient aussi de restes de boucheries ou de saisies.

Du soleil en pâtée
Le soigneur prélève d'une chambre froide quelques quartiers de viande. Morceaux panés de sels minéraux, indispensables à l'équilibre alimentaire des fauves. «Dans la nature, les carnivores mangent des animaux entiers et, de ce fait, n'en manquent pas. Nous devons ici compenser les carences.» Chaque espèce bénéficie d'un régime spécifique. Ainsi, par exemple, les primates de Servion, originaires d'Amérique du Sud, se nourrissent le matin d'une pâtée à base de vitamines pour contrebalancer le manque de soleil. Ils bénéficient de trois repas au quotidien. Au menu, un choix varié de fruits et légumes pour pallier l'absence de tous les fruits exotiques disponibles sur leur continent. Les grands fauves jeûnent quant à eux deux jours par semaine. En raison de leur estomac sensible, les herbivores font l'objet d'une attention particulière...
Le pique-nique chargé sur un chariot, Damien s'apprête à effectuer sa tournée. «C'est un travail physique. On porte de lourdes charges. On fait des kilomètres. C'est dur mais en même temps, on est constamment dehors, au grand air. Une activité saine» relève le jeune homme en tirant gaillardement les provisions. Revers de la médaille, le métier de soigneur paye peu. Il faut travailler un week-end sur deux et les vacances annuelles se limitent à quatre semaines. Conditions difficilement acceptables sans véritable passion des animaux...

Toc, toc!
La mangeoire des sangliers remplie, vient le tour des rennes. «Voyez leurs larges pattes, adaptées pour marcher sur la neige... En été, ils restent plus souvent dans leur cabane, pour échapper à la chaleur» explique Damien Busset tout en montrant un des superbes bois perdu par un mâle lors de la mue annuelle. «Une véritable arme, utilisée lors de combats rituels.»
Après avoir nourri les alpagas aux épaisses fourrures mentant sur leur taille réelle, le collaborateur de Servion se rend chez les cerfs et leurs gracieuses compagnes. Il frappe avant de pénétrer dans leur gîte. «J'annonce toujours ma venue. Ces animaux peuvent se montrer très dangereux en période de rut. Nous respectons une série de règles de sécurité» explique le jeune homme qui porte les stigmates d'une attaque, l'an dernier, d'un lynx. Un incident qu'il relativise. «Ce sont des animaux sauvages. On ne doit pas l'oublier... Depuis, quand la femelle est en chaleur, on y va à deux, l'un faisant diversion pendant que l'autre nettoie le parc.»

En vitrine
Dans l'enclos des loups blancs, la hiérarchie instaurée par le couple dominant détermine qui se servira en premier alors que lions et tigres patienteront encore avant l'heure de leur festin: le «coursier» doit d'abord nettoyer leur cage. Non sans s'assurer, au préalable, que les fauves se trouvent bien dehors, dans l'enclos grillagé. «Il faut éviter de les regarder dans les yeux. Les animaux l'interprètent comme une agression» note Damien Busset. L'espace sécurisé, le soigneur pénètre dans les box. Il enlève les déchets des repas antérieurs - des os nettoyés du moindre lambeau de chair - avant d'arroser généreusement les cages vitrées au jet. Le froid de ces derniers jours a largement endormi les odeurs et écarté les mouches. La salle à manger des fauves prête, Damien y jette de gros quartiers de viande. Il est 15 heures précises. Les félidés vont enfin pouvoir passer à table, sous les yeux des visiteurs conviés à la s(c)ène. De quoi aiguiser leur appétit? 


Sonya Mermoud

Photos Thierry Porchet


Pas un gardien, un soigneur!
Si le contact avec les animaux est restreint - «et parce qu'ils sont sauvages et aussi pour leur bien, afin d'éviter que leurs rapports avec leurs congénères soient modifiés» - Damien Busset n'en n'est pas moins fasciné par cette faune. Et par la diversité de son métier. Il ne se réduit pas à nourrir les animaux et à nettoyer les espaces. « Je les observe, étudie leur comportement, reste attentif à des attitudes inhabituelles susceptibles de révéler un problème de santé, de stress, un environnement inadapté...» Regard d'autant plus précieux que les fauves, malades, tentent de le cacher à leurs pairs, les plus faibles étant éliminés. Damien Busset se soucie aussi d'enrichir le bien-être des résidents de Servion en occupant par exemple les singes avec des jeux, en piquant la curiosité des wallabies par l'introduction, dans leur parc de branches fraîches, porteuses d'odeurs, d'insectes... «Il est nécessaire de bien connaître les animaux, leur statut dans la nature... Mon travail se base sur l'expérience et la recherche constante d'informations. En ce sens, il varie chaque jour.»
Petit-fils du fondateur du zoo La Garenne, Damien Busset a hérité sa passion de son grand-père. Une passion orientée vers le seul bien de ses protégés. Et la préservation d'espèces en voie de disparition à laquelle participe aussi le zoo de Servion, collaborant dans ce sens avec d'autres zoos européens. «Mon travail n'est pas celui d'un gardien - les barrières jouent ce rôle - mais bien de soigneur. Mon but? Améliorer au mieux les conditions de détention des animaux. A nous de faire le meilleur travail, de nous adapter pour alléger leur captivité», précise le jeune homme opposé aux cirques et ravi de l'évolution des zoos. «Depuis les années 90, le concept qui est privilégié est "moins d'espèces, plus d'espace".» Dans le cœur de Damien, la place des animaux, pour sûr, n'est pas limitée...


SM

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