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Les Boillat, les Officine et les Cater à Genève

Les contours d'un nouveau syndicalisme en débat lors de la fête d'Unia

Ils ont pris leur destin en main et se sont battus contre l'arrogance patronale en brisant le tabou de la paix du travail ou des luttes traditionnelles. A la Boillat à Reconvilier, les ouvriers ont décidé, en novembre 2004 puis en janvier 2006, d'arrêter les machines face à une direction dont le seul but était de démanteler l'usine. Aux ateliers CFF de Bellinzone, les Officine, les travailleurs se sont mis en grève en 2008 contre une restructuration qui condamnait le site. Ce printemps, chez Caterpillar à Grenoble, les travailleurs ont «séquestré» durant 24 heures quatre cadres pour obliger la direction à négocier après l'annonce du licenciement de 733 personnes sur les sites de Grenoble et d'Echirolles. Pour parler de ces luttes, Unia Genève a réuni le 5 septembre des représentants des Boillat, des Officine et des Cater à l'occasion d'une fête destinée à préparer les mobilisations automnales.
Nicolas Wuillemin de la Boillat a rappelé le déroulement du conflit, l'intervention, après un mois de grève en 2006, du conseiller fédéral Deiss pour une médiation conditionnée à la reprise du travail, la nomination d'un expert, puis l'enlisement du conflit. «Actuellement, la Boillat est une usine en train de mourir. Nous n'avons absolument rien obtenu. Nous aurions peut-être pu gagner si nous avions été mieux préparés face à ces financiers qui cherchent à sortir le meilleur des entreprises pour en tirer le maximum d'argent.» Une question sur l'extension de la lutte à l'extérieur de l'usine permet à Nicolas Wuillemin de rappeler que l'énorme appui de la population aux grévistes «aurait pu autoriser nos directions syndicales à quelques ruptures conventionnelles ou politiques qui auraient pu changer le cours des choses».
Au Tessin, les grévistes des Officine ont aussi reçu un appui gigantesque de l'extérieur, a rappelé Yvan Cozzaglio, membre du comité de grève. Gianni Frizzo, président des grévistes, a également rappelé la genèse du conflit, les démêlés de la commission d'entreprise avec la direction du SEV, le syndicat des cheminots, puis le ralliement des membres de la commission à Unia début 2008. La grève, déclenchée le 7 mars 2008, durera 33 jours et aboutira à la victoire des travailleurs avec le retrait du plan de restructuration.

Méthode forte pour négocier
«Chez Caterpillar, nous avons dû nous battre contre un monstre financier. Depuis 17 ans, notre entreprise fait des bénéfices, et à la première baisse, elle licencie! On ne pouvait pas l'accepter», a indiqué Pierre Piccarreta, militant CGT et membre du comité d'entreprise. «L'annonce des licenciements est tombée juste après la présentation de nouveaux bénéfices. Ça a été le départ de 10 semaines de lutte intensive. Nous avons commencé gentiment, brûlé des pneus, interpellé les élus locaux, puis, un jour, nous avons retenu nos dirigeants», a-t-il ajouté. «La volonté des salariés était de négocier. Le patron ne voulait pas. Nous avons retenu nos cadres jusqu'à ce qu'il accepte», a précisé son collègue cgtiste Nicolas Benoit, insistant sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une séquestration mais d'une «retenue».
Après 10 semaines de grève, les Cater ont obtenu quelques améliorations du plan social et le sauvetage de 133 personnes. Mais la CGT n'a pas signé l'accord validé par les autres syndicats, la direction tentant en échange de casser les acquis gagnés de haute lutte. Pour les syndicalistes français, le combat doit se mener contre le système capitaliste, qui fait souffrir des familles entières, en renforçant notamment les syndicats dans l'entreprise et à l'échelle nationale et mondiale.

Seul contre-pouvoir
Parmi les nombreuses questions soulevées lors du débat, celle de la politique des directions syndicales, durement critiquées par certains.
«Le seul contre-pouvoir au patronat, ce sont les ouvriers, la classe ouvrière. A Reconvilier, comme au Tessin, la grève a été lancée par les travailleurs et non par les syndicats qui n'avaient pas le droit puisqu'ils ont signé la paix du travail. Swissmetal, propriétaire de la Boillat, a d'ailleurs menacé Unia de porter plainte et d'exiger plusieurs millions de dédommagements, ce qui a clairement freiné le syndicat», a relevé Nicolas Wuillemin. «Indépendamment de ça, dans tous les syndicats, à leur base, il y a des gens qui ont envie de se battre, de ne pas se plier à l'ordre établi. Mais il est vrai que lorsqu'on remet en cause cet ordre, on devient des "incontrôlables" que les directions syndicales cherchent à faire rentrer dans le rang.»

Les travailleurs acteurs
«Au Tessin, nous avons pu gagner parce que le syndicat était avec nous et parce que c'est nous, les ouvriers, qui dirigions la grève», a expliqué Yvan Cozzaglio. «Dès le 1er jour, nous avions interdit à nos dirigeants de négocier quoi que ce soit avec l'entreprise», a ajouté Gianni Frizzo. Qui a aussi précisé que le conflit actuel avec Unia à Bellinzone, après son éviction du comité de la section, n'est pas un conflit avec le syndicat mais avec la direction syndicale.
«Les travailleurs ont intérêt à avoir une forme d'organisation horizontale dans le syndicat plutôt que verticale. Mais on ne peut pas se contenter de critiquer la direction. En tant que membre, nous devons prendre en main notre propre organisation», a-t-il plaidé. «Tout le monde se rend compte qu'il y a un besoin urgent de démocratiser notre organisation, que c'est aux travailleurs de choisir leur instrument de lutte et de définir la politique conventionnelle », a conclu Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d'Unia Genève.

Sylviane Herranz