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30 000 manifestants ont crié leur colère à Berne

Les travailleurs ne veulent pas payer la facture de la crise. Ils étaient 30 000 à la clamer haut et fort le 19 septembre

Le 19 septembre dernier, quelque 30000 personnes ont, devant le Palais fédéral à Berne, manifesté leur colère face à la manière dont était gérée la crise. Répondant à l'appel d'une large coalition de syndicats, partis de gauche et ONG, les manifestants ont réclamé des garanties pour les emplois, les salaires et les rentes. Projecteur sur une journée de lutte qui pourrait bien en entraîner de nouvelles et témoignages de participants.

Samedi 19 septembre, gare de Lausanne. Des centaines de manifestants s'apprêtent en cette fin de matinée à partir pour Berne. Dans le hall, des groupes se forment en fonction des couleurs syndicales arborées ou des liens d'appartenance à une mouvance ou une autre. Magdaleine Gonzalez, 56 ans, est membre d'Unia. Ouvrière chez Tesa, une entreprise spécialisée dans les instruments de mesure, elle a décidé de participer à la mobilisation pour protester contre le chômage et les attaques sur les assurances sociales. «Tesa va prochainement licencier plusieurs dizaines de personnes. J'ignore encore si je ferai partie de la charrette», s'inquiète la travailleuse. «La manifestation ne changera peut-être rien, mais on verra au moins que nous ne sommes pas contents.» Pour Valentin Cuendet, 21 ans, étudiant en lettres, ce rendez-vous est l'occasion de mettre en pratique son engagement politique. Un militantisme essentiellement orienté vers davantage de social. «Je désapprouve la manière dont est gérée la crise. On injecte des milliards dans l'UBS, sans rien demander en retour. La politique des bonus se poursuit», déclare le jeune homme qui demeure toutefois confiant en ce qui concerne son avenir professionnel. «Pas de peur pour le moment. Mais peut-être que je manque de lucidité.»

Non à un système malade
Dans un joyeux brouhaha, les manifestants se dispersent dans le train spécialement affrété à leur intention. Arpentant les compartiments, des représentants d'un mouvement ou d'un autre distribuent tracts, journaux ou font signer des pétitions. Littérature syndicale, altermondialiste, féministe, écologique... Si chacun y va de son credo, tous dénoncent les dérives d'un système néolibéral en faillite et la nécessité d'un changement en profondeur. «Pour l'instant, l'entreprise qui m'emploie n'est pas touchée par la crise», affirme Pietro Sorace, 35 ans. Arrivé d'Italie en Suisse en 1995, cet ouvrier du bâtiment estime néanmoins nécessaire de lutter pour «les augmentations de salaire, le 13e et la préservation de l'AVS». «Je suis plutôt optimiste. La manif ne changera peut-être rien, mais il faut tout de même espérer et s'engager.» Sur la banquette voisine, Cristina Pinho, 22 ans, étudiante en lettres, est venue manifester contre «ce capitalisme qui exploite les travailleurs et nuit à l'environnement». Même son de cloche de son ami Timothy Bettosini, 23 ans, se formant en sciences politiques. Pour tous les deux, il est temps de mettre en œuvre «des politiques plus sociales, d'effectuer des placements d'argent responsables et de veiller à une meilleure répartition des richesses». Le couple de Tessinois - étudiant à l'Université de Lausanne - évoque aussi l'injustice relative au renflouement de l'UBS, «alors que certains n'arrivent pas à boucler les fins de mois» et leur refus de cautionner un «système malade». «La manifestation nous donne de la visibilité. Elle montre que nombre d'entre nous ne sommes pas d'accord et nous permet d'exprimer nos idées.»

La peur, ennemi numéro un
Gare de Fribourg. Une cohorte de personnes montent dans le train, casquettes vissées sur la tête et drapeaux syndicaux au poing. Les banquettes étant déjà largement pleines, on se pousse pour leur faire de la place. Le train s'habille de rouge, la couleur des militants d'Unia. «C'est beau de voir ça», s'enthousiasme Raymond Gachet, 75 ans. Le retraité qui a travaillé 20 ans à La Poste avant de se recycler dans les assurances privées continue à lutter contre la «démolition du social et les salaires dérisoires». «Ça fait 55 ans que je suis syndiqué. Je suis toujours resté solidaire à cet engagement malgré mon changement de cap professionnel», affirme cet homme et d'enchaîner que «l'ennemi numéro un des travailleurs est la peur de perdre leur place». «Mais il faudrait peut-être que j'arrête de batailler sinon je ne vais pas devenir vieux... à moins que ça soit le contraire», lance encore le sémillant retraité non sans déplorer que «le monde ouvrier se montre en général trop gentil».

Signal clair
L'arrivée du train à Berne suspend provisoirement des discussions nourries. Sous un ciel hésitant, les manifestants gagnent une rue attenante à la gare. Petit à petit ils sont rejoints par d'autres délégations venues de toute la Suisse. Dans le calme, le cortège s'organise. Certains réclament aux organisateurs des casquettes pour braver la bruine; d'autres se munissent de sifflets et de protections auriculaires, déploient des banderoles, tiennent fièrement bannières et pancartes aux slogans vindicatifs... «Respect! Contre la précarisation; pour nos droits et notre dignité»; «Actifs contre la crise»; «Délocalisons les patrons»... peut-on y lire au gré des formations. Aux sons d'accords entraînants ou galvanisé par des meneurs équipés de mégaphone, le défilé se met en branle et gagne la place du Palais fédéral alors que deux autres interminables rubans de manifestants, partis de différentes places de la ville, convergent aussi vers le lieu du rassemblement. Processions bon enfant qui n'excluent ni les familles, ni les poussettes ni les photos souvenirs prises au gré du parcours par nombre de participants. Au final pas moins de 30000 personnes crieront leur colère devant le siège officiel du Gouvernement. Marée humaine qui applaudira comme un seul homme à l'affirmation introduisant les discours: «Ensemble, seulement, nous pourrons agir.» La force du nombre, ce jour-là, aura en tout cas été au rendez-vous. «C'est super», s'enthousiasme Séverine Glauser, une enseignante de 35 ans, membre d'un groupe féministe actif dans l'égalité des chances. «Mais, pour exister face aux politiciens et aux patrons, on ne pourra limiter la mobilisation à ce seul samedi. Il faudra récidiver...» Foi de militante.

Sonya Mermoud

 

Les photos de la manifestation sont à découvrir dans notre rubrique galerie !


«Les individus doivent primer sur le profit»

Plusieurs orateurs se sont succédé à la tribune. Morceaux choisis

Paul Rechsteiner, président de l'Union syndicale suisse a partagé avec les manifestants son ras-le-bol d'une politique antisociale portant atteinte à l'AVS, les rentes et l'assurance chômage. Sur le leitmotiv «ça suffit», il a énuméré les dysfonctionnements d'un système, allant des salaires excessifs des managers aux réductions d'impôt pour les riches en passant par l'arrogance des grands et petits dirigeants d'entreprises n'ayant aucun égard pour leur personnel en licenciant à tour de bras et l'absence de mesures propres à enrayer le chômage de dizaines de milliers de jeunes laissés sur le carreau. Il a plaidé pour davantage de respect et de dignité. Et pour la mise en œuvre d'une véritable politique économique contre la crise.

Renzo Ambrosetti, coprésident d'Unia a rappelé que plus de 200000 personnes étaient aujourd'hui à la recherche d'un emploi avant de formuler les exigences du syndicat: non aux baisses des rentes, maintien du pouvoir d'achat et pour un programme d'investissement de 10 milliards de francs orienté vers la reconversion écologique. Il a également demandé la prolongation du chômage partiel à 24 mois. Enfin, il a réclamé un changement en profondeur du système. «Il faut qu'après la crise, les choses ne reprennent pas comme avant. (...) Nous devons veiller à ce que les individus priment à nouveau sur le profit...»

Giorgio Tutti, président du SEV, a exigé - déjà dans une prémanifestation - que la Confédération assume ses responsabilités. Et qu'elle injecte dans la caisse de pensions des cheminots les 3,4 milliards de francs manquants ou qu'elle crée pour les anciens rentiers une caisse séparée bénéficiant d'une garantie de l'Etat.

Alain Carrupt, président central du Syndicat de la communication, a fustigé la volonté de La Poste de supprimer 2500 emplois et de geler les salaires quand bien même, en 2008, le géant jaune a réalisé un bénéfice de plus de 800 millions de francs.

Marisa Pralong, vendeuse et présidente d'Unia Genève, s'est prononcée en faveur de l'interdiction des licenciements, notamment dans les entreprises qui bénéficient de l'aide étatique.

SM



Résistance sur les ondes...

«Spontanée, active, dynamique et éphémère»: voilà les termes utilisés par Gladys Bigler pour qualifier Radio Resistencia à laquelle elle a participé comme animatrice au côté de douze autres personnes du métier. Une radio installée sur la place Fédérale qui s'était donné pour mission de couvrir la journée de mobilisation sous un angle résolument syndical. Avec, à la clef, la diffusion d'une partie des discours de la manifestation et un micro ouvert à une palette d'invités réunissant des travailleurs et leurs délégués. Au cœur des débats, le démantèlement des assurances sociales, les mesures contre le chômage, la question du temps partiel, la conciliation vie professionnelle et familiale, etc. «Radio Resitencia a diffusé une information militante d'un jour, sur une fréquence particulière.» Audible à 6 kilomètres à la ronde, cet émetteur a été mis sur pied par le Syndicat suisse des mass media et la Communauté genevoise d'action syndicale. La radio a fonctionné toute la journée du 19 septembre, dans différentes langues. Si Gladys Bigler estime qu'à terme une initiative aussi spécifique ne ferait pas sens, elle juge l'expérience très positive. Enthousiaste, la journaliste retraitée de la TSR a particulièrement apprécié le franc-parler des invités. «Le ton était militant, coloré, varié, rien à voir avec la langue de bois. Nous avons reçu des gens magnifiques.» Dommage que les ondes traditionnelles ne leur tendent pas plus souvent le micro...

SM