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Sur le chemin du réenchantement

Portrait d'Emilie Crittin.
© Thierry Porchet

Dans son élément. Emilie Crittin a noué avec la nature un lien particulier.

La relation au vivant donne le la à toutes les activités d’Emilie Crittin, photographe, socio-anthropologue, «artiviste» et accompagnatrice d’un changement culturel

Dans le microcosme d’Emilie Crittin, pas de limitation des possibles. Esprits de la nature, animaux totems et énergies subtiles sont autant de réalités qui participent de son univers et aiguisent sa perception. Cette approche trouve une résonance dans les différents travaux de la jeune femme de 34 ans, titulaire d’un bachelor en sciences sociales et d’un master en durabilité. Talentueuse photographe, Emilie Crittin consacre une large partie de son art à immortaliser des paysages, cherchant à capter l’âme des lieux. La montagne inspire particulièrement la jeune femme qui, sens en alerte et caméra au poing, passe des heures à l’arpenter, s’imprégnant du milieu. Attentive aux signes et aux symboles qui jalonnent les quêtes. Ancrée dans l’instant présent. «Les photos prises le sont en pleine conscience et matérialisent la relation nouée avec l’environnement», précise Emilie Crittin, qui voue aux «esprits de la nature» tout un pan de sa démarche. Avec, à la clef, des clichés intrigants et poétiques où des êtres de pierre, de neige, de bois... charment le regard et sont décrits comme la résultante du lien noué.

Décoloniser l’imaginaire

«Tout ce qui existe possède une énergie et une vibration particulières avec lesquelles nous pouvons nous mettre en reliance», affirme la trentenaire, qui adopte une posture de contemplation et d’humilité face «à plus grand que soi» et regrette que la culture occidentale sépare l’humain de son environnement, le place le plus souvent dans une position de supériorité. «A travers la photo, je cherche à décoloniser l’imaginaire et à réenchanter le monde naturel, afin que l’on puisse retrouver des attitudes de gratitude, d’émerveillement et de bienveillance à son égard. En nous reconnectant au non-humain et aux mondes subtils, nous nous relions également avec notre soi profond.» Cette vision, Emilie Crittin la partage dans le cadre de ses ateliers photothérapeutiques. La photographie est ainsi utilisée pour «réinvestir le vivant d’affects et d’imaginaires, recréer un dialogue avec lui». Et «l’artiviste» de citer, parmi ses sources d’inspiration, le philosophe et écrivain français Baptiste Morizod. L’homme observe dans ses travaux une «crise de la sensibilité» dans nos liens avec les autres formes de vie, «un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre et tisser à l’égard du vivant». Non sans nous inviter à réinventer notre rapport avec ce qui nous entoure...

Valeurs cultivées au quotidien

Son intérêt pour l’image, Emilie Crittin l’a hérité de ses parents. «Mon père, Gérard Crittin, a remporté la première édition du jeu télévisé “La Course autour du mondeˮ, en 1979, avec ses reportages filmés. Ma maman, elle, a toujours pratiqué la photo en amateur. J’ai rapidement tenu un appareil dans les mains», précise la binationale helvético-canadienne qui, née en Valais, a passé une partie de son enfance à Montréal avant que la famille ne revienne s’installer en terre vaudoise. Aujourd’hui, après avoir voyagé sur tous les continents ou presque, cette fille de la montagne, comme elle se définit elle-même, a posé ses valises au Sépey. En plus de son activité principale de photographe, Emilie Crittin réalise des délicates créations artistiques avec des déchets plastiques ramassés sur les rives du Léman. «Ce projet est né de la souffrance de la Terre que je ressens», note «l’artiviste», qui organise également des ateliers dans des écoles ou pour des particuliers via ce type de supports. Une manière de sensibiliser les intéressés aux enjeux écologiques liés à la consommation. Rien de théorique pour cette actrice du changement culturel qui, vivant de la vente de ses photos et des animations qu’elle propose, a adopté un mode d’existence «peu onéreux», en accord avec sa vision du monde. Et cultive au quotidien ses valeurs et une forme de souveraineté comme elle soigne son jardin-potager où croissent légumes, plantes médicinales et fleurs, non sans laisser un espace pour «ce qui veut pousser». Alors qu’elle privilégie aux achats dans les magasins, des articles échangés sur des marchés gratuits, de seconde main...

La tristesse du hors-sol

Evoluant sur la voie de la «transition intérieure», Emilie Crittin a choisi de ralentir le rythme imposé par le monde moderne. De prendre le temps de la gratitude. De s’ouvrir à cette relation essentielle à la nature. Bien que plutôt pessimiste, elle n’en est pas moins curieuse, déterminée et capable d’une grande résilience. Sociable, croyant aux vertus du collectif et de la transmission, l’artiste et animatrice confie néanmoins ressentir le besoin, pour se ressourcer, de faire de longues marches en solitaire dans la montagne. En phase avec un trait de sa personnalité introvertie et sauvage, à l’image de ces paysages minéraux et de ces lacs d’altitude qui l’attirent comme un aimant. De ces lapiaz – formations calcaires sculptées par l’eau – qui enchantent son regard.

«Ce qui m’irrite le plus? La pléthore de stimuli et le bruit. Je suis particulièrement triste de voir à quel point nous évoluons hors sol, d’assister au surdéveloppement numérique de la société. Et angoissée à l’idée qu’on prenne de plus en plus le virage de la survie plutôt que de la vie. Une crainte encore accentuée avec la pandémie.» Pour cette native du Verseau, émue par le vol d’un milan noir ou la caresse du vent, le bonheur s’associe à une certaine simplicité et à l’harmonie avec son être intérieur. Et comme elle souligne se trouver en chemin, elle affirme être heureuse. Au rang des utopies, Emilie Crittin rêverait que chacun vive de manière «diplomatique» avec ses pairs et le non-humain. Et quand l’espoir s’amenuise, lorsque tout va mal, elle saisit son tambour chamanique. Les sons, méditatifs, l’ancrent alors au présent, à sa nature profonde, aux éléments. Un voyage immobile apaisant aux confins de l’âme...

Travaux et informations sur les ateliers sur: emiliecrittin.com