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Silke Pan soulève des montagnes

Silke Pan repousse les limites de l’impossible.
© Thierry Porchet

Silke Pan repousse les limites de l’impossible. 

A la force de ses bras et de son mental, la championne de paracyclisme gravit les cols d’ici et d’ailleurs. Le parcours d’une combattante

Elle a un visage d’ange, des bras d’homme et des jambes de sirène. Un être à part qui a vécu plusieurs vies en une. 

Le 24 septembre 2007, le ciel lui est tombé sur la tête. L’acrobate et contorsionniste Silke Pan a perdu l’usage de ses jambes et avec elles sa passion, ses rêves, son identité. Un accident de trapèze lors d’un entraînement avec son futur époux la cloue au sol.

Elle survit pendant de longs mois dans un lit d’hôpital où, pour ne pas sombrer, elle va chercher le bonheur dans ses tréfonds et trouver l’émerveillement dans un brin d’herbe. «Je me souviens du vert du pré que je voyais à travers la fenêtre. A quel point il était beau. Si plein d’énergie», raconte-t-elle dans son atelier de la zone industrielle d’Aigle où ses handbikes (vélos à bras) côtoient les bonbonnes d’hélium de l’entreprise Canniballoon Team cofondée avec son mari, Didier Dvorak. «En ce moment en Chine, il crée un décor de 160000 ballons sur 2500 m2. Il va battre notre propre record du plus grand labyrinthe au monde en ballons», sourit-elle, tout en précisant que le matériel est entièrement recyclable. «C’est du 100% latex, mais on refuse toutefois les lâchers de ballons en nature pour éviter qu’un animal ne les mange», souligne la végétarienne.

Une âme nomade

Son sac de voyage est toujours prêt. Entre conférences, événements caritatifs et surtout courses de paracyclisme, Silke Pan sillonne les routes. En ce mois d’octobre, elle est en passe de gagner le Tour d’Italie. Une médaille de plus à son palmarès époustouflant, entre coupes d’Europe, championnats du monde, marathons…

Mais, au-delà de la compétition, Silke Pan cherche avant tout à dépasser ses propres limites. Elle a ainsi gravi treize cols suisses en 2017 (une aventure racontée dans un livre*) et traversé les Pyrénées cette année. Vingt-huit cols en dix jours, 800 kilomètres, à la seule force de ses bras et de son mental à toute épreuve. «Je m’unis aux montagnes, aux arbres, au ciel…» explique l’hyperactive contemplative. 

Petite déjà, elle aimait escalader des falaises, marcher dans la neige pieds nus, éprouver ce corps qu’elle ressentait comme une prison. La séparation de ses parents, les troubles psychiques de sa sœur aînée et une sensibilité à fleur de peau l’emportent sur des rivages dangereux. A 9 ans, Silke ne mange plus. Hospitalisée, elle sort de son corps. «A ce moment-là, malgré le bien-être que j’éprouvais, j’ai vraiment fait le choix de revenir et de vivre», se souvient-elle. Placée dans un foyer, elle affronte une solitude extrême et des conditions de vie difficiles. Jamais épargnée ni par les circonstances ni par les hommes, Silke continue de croire en la bonté de l’être humain, en la beauté de la vie. «Si on est là, c’est qu’il y a une raison», lance-t-elle. Adolescente, elle défie les lois de la gravité. Gymnastique, plongeon et acrobatie, elle voltige d’une discipline à l’autre. A sa sortie de l’école Steiner à Crissier, elle entreprend des études de cirque à Berlin. Et est propulséedirectement en troisième année, tant son niveau est élevé. Elle endure la jalousie de ses camarades, pâle reflet de la concurrence professionnelle qui l’attend. Derrière les paillettes, les relations ne sont pas tendres. «C’était dur. Je créais mes propres spectacles, mes costumes, ma musique, mes accessoires. Derrière le rideau, j’étais très seule, je devais faire ma place. Mais sur la piste, je vivais un rêve», raconte celle qui porte aujourd’hui des étoiles en guise de boucles d’oreilles.

La chute

Didier Dvorak, circassien lui aussi, devient son compagnon de scène, puis de vie. Ensemble, ils créent leurs spectacles, jouent dans des parcs de loisirs, sous des chapiteaux, dans un paquebot. Une vie de bohème jusqu’au jour du drame.

«J’ai eu de la chance dans mon malheur, relève Silke Pan avec le recul. J’ai tout perdu, jusqu’à ma dignité, mais j’ai fait le choix d’être heureuse, malgré tout, de me tourner vers la lumière. Dans chaque difficulté se cache un enrichissement. Malgré la peur, il faut se lancer, faire le premier pas pour réaliser ses rêves. Même handicapé, une part de libre-arbitre subsiste.» 

A 45 ans, Silke Pan ne cesse de vouloir se dépasser, malgré les douleurs neurogènes permanentes – qu’elle compare à des décharges électriques et des entailles au couteau –, en dépit des spasmes de son ventre et de ses jambes, et de ses problèmes d’intestins. «Je gère, mais cela me demande un effort de concentration extrême et beaucoup de soins.» 

En septembre, elle a accompli son premier paratriathlon en Belgique. «Au début, cela me semblait trop compliqué, surtout de me mettre à l’eau et de trouver une bonne flottabilité. Mais j’y suis arrivée», sourit l’athlète. Silke Pan espère participer aux Jeux paralympiques 2020 à Tokyo sous les couleurs de la Suisse, elle qui vient d’acquérir la nationalité. D’origine allemande, elle est arrivée dans le canton de Vaud avec sa famille à l’âge de 3 ans, son père, physicien, ayant été engagé par l’EPFL. Ce lieu, elle le fréquente elle aussi, depuis 2016, en tant que pilote d’essai de l’exosquelette Twiice (une technologie qui lui permet de se tenir debout et d’avancer). «La première fois, c’était magique de me retrouver à la verticale et de voir marcher mes jambes. Beau et dur en même temps, car rien n’est guérit. Mais j’aime tracer de nouvelles voies, ouvrir des brèches.» 


* A la conquête de nouveaux sommets, Silke Pan et Didier Dvorak, Editions Favre, 2018

www.silkepan.com