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«Plus jamais ça!»

Gravure de la fusillade.
© Clément Moreau Stiftung

Genève, 1932. Une gravure de Clément Moreau.

Le 9 novembre prochain sera marqué par le 90e anniversaire de la fusillade contre des travailleurs opposés à un meeting fasciste à Genève. Une exposition en plein air retracera ces événements tragiques

Novembre 1932. La crise de 1929 a submergé le monde. Les chômeurs se comptent par millions. A Genève, ils sont 10000 sur les quelque 68000 recensés en Suisse. Le niveau de vie de la classe ouvrière du canton a chuté de 30%. Et ce n’est pas encore l’apogée de la crise. Partout en Europe, le fascisme prend de l’ampleur. En Italie, Mussolini est au pouvoir depuis 1922. En 1932, un gouvernement ultraconservateur est constitué en Autriche. En Allemagne, les nazis progressent aux élections et Hitler accédera à la Chancellerie le 30 janvier 1933.

Genève n’est pas en reste. Des milices d’extrême droite s’affrontent aux militants de gauche, une gauche composée du Parti socialiste, du Parti communiste et des libertaires. L’Union nationale est dirigée par Géo Oltramare, fasciste, antisémite et admirateur de Mussolini. La nuit du 5 au 6 novembre 1932, l’Union nationale colle des affiches sur les murs invitant à une «Mise en accusation publique des sieurs Nicole et Dicker», prévue le soir du 9 novembre à la salle communale de Plainpalais. Léon Nicole est un tribun et élu socialiste qui n’a cessé de fustiger les affairistes et l’extrême droite. L’avocat Jacques Dicker est l’un des dirigeants du PS genevois. Des tracts les accusent de préparer la guerre civile et appellent au meurtre: «Ils sont les valets des soviets. Abattons-les!»

Dans ce climat de violence, le PS s’adresse au Conseil d’Etat pour qu’il prenne ses responsabilités. Ce dernier refuse d’interdire le meeting d’Oltramare, au nom de la liberté d’expression. Les 7 et 8 novembre, la gauche appelle à une contre-manifestation. Craignant des troubles, le président du gouvernement démarche le Conseil fédéral pour l’envoi de troupes. C’est une école de recrues, en service à Lausanne, qui est désignée pour se rendre à Genève. Les jeunes soldats sont avisés qu’ils auront peut-être à tirer par balles. Certains refusent*.

Appel à la grève générale.
Face à la crise et à la volonté du patronat de baisser les salaires, la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment avait appelé à une grève générale d'un jour le 3 septembre 1932. © Collège du travail

 

Le soir du 9 novembre, la police bloque l’accès aux contre-manifestants à la salle de Plainpalais où se tient le meeting fasciste. Une foule de 5000 à 8000 personnes est présente, «résolue mais sans armes», précise l’historien Pierre Jeanneret**. Léon Nicole prononce deux discours. A 21h, tout bascule. Le président du Conseil d’Etat appelle la troupe. Le colonel Léderrey demande aux recrues de se faufiler parmi les manifestants. Ce qui leur vaut insultes et bousculades. Quelques fusils leur sont arrachés et brisés à terre. Les soldats se replient, suivis d’une cinquantaine de militants et de travailleurs qui les houspillent ou les invitent à fraterniser. Des passants et des curieux sont là aussi. Positionnés en arc de cercle devant le Palais des expositions, les recrues reçoivent l’ordre de tirer. La fusillade dure entre dix et quinze secondes. C’est un carnage. Treize personnes sont tuées, 65 autres, probablement plus, sont blessées. Des militants sont tombés, mais également de nombreux badauds.

Cinquante ans plus tard, en mémoire des victimes, et pour ne pas oublier, une pierre a été érigée sur la plaine de Plainpalais (voir ci-dessous). Cette année, à l’occasion du 90e anniversaire de cette répression meurtrière, une grande commémoration est organisée par le Comité du 9 novembre 1932 et le Collège du travail. Une exposition en plein air de photographies, affiches et documents se tiendra sur la plaine de Plainpalais du 1er au 20 novembre. D’autres événements sont prévus (voir ci-dessous), dont une manifestation le samedi 12 novembre.


* Ecouter le témoignage de Maxime Chalut sur le podcast Voix d’en bas.

** Pierre Jeanneret, historien, sur: notrehistoire.ch


Voir également: La Pierre, un hommage de la gauche genevoise

Les 13 victimes

•          Henri Fürst, 38 ans, mécanicien, président du Parti communiste genevois. Le premier à être tombé, tué de deux balles dans la tête, alors qu’il appelait les soldats à ne pas tirer sur leurs frères.

•          Melchior Allemann, 31 ans, employé d’hôtel, militant socialiste.

•          Hans Brugger, 28 ans.

•          Albert Clerc, 54 ans, syndicaliste et fraiseur à l’usine Gardy. Son fils faisait partie des recrues qui ont tiré.

•          Emile Guignet, 27 ans, employé à la Société industrielle mécanique.

•          Emile Henry, 55 ans, batelier au quai Wilson.

•          Edmond Junod, 29 ans, mécanicien à l’usine Motosacoche.

•          Alphonse Kolly, 41 ans, colporteur.

•          Jean-Pierre Larderaz, 23 ans, employé de commerce.

•          Gabriel Loup, 57 ans, maître boulanger-pâtissier.

•          Oscar Maurer, 25 ans, employé de banque, tué alors qu’il sortait d’un cours du soir.

•          Edouard Quillet, 34 ans, manœuvre et employé à l’Armée du salut.

•          Marius Rattaz, 36 ans, régent principal à Chêne-Bourg, mort le 14 novembre des suites de ses blessures.

Au programme du 90e anniversaire

Mardi 1er novembre, 18h: vernissage public de l’exposition, plaine de Plainpalais près du skatepark.

Jeudi 3 novembre, 12h15: conférence «le 9 novembre 1932 en affiches».

Samedi 5 novembre, 11h: balade historique.

Mercredi 9 novembre, 18h30: commémoration et débats (à 17h, visite guidée de l’expo).

Samedi 12 novembre, 14h: visite guidée pour les Amis du Collège du travail.

Samedi 12 novembre, 16h: manifestation, départ place Lise-Girardin.

Samedi 19 novembre, 11h: visite guidée.

Dimanche 20 novembre, 14h30: balade historique.

Lieux de rendez-vous et autres informations sur: collegedutravail.ch

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