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Plongée dans l'affaire de la décharge contaminée de Bonfol

Le journaliste José Ribeaud signe un livre sur l'histoire tumultueuse de cette décharge contaminée en cours d'assainissement

Sous le titre «Maudite décharge», le journaliste José Ribeaud publie une enquête fouillée sur l'histoire de la décharge de Bonfol. L'assainissement de ce site pollué par environ 140000 tonnes de déchets de la chimie bâloise se terminera l'année prochaine. Unia y a joué son rôle en obtenant des mesures de sécurité et des compensations pour les travailleurs exposés aux dangers durant les travaux.

«Maudite décharge»: le titre du livre de 330 pages que le journaliste José Ribeaud vient de publier aux Editions Alphil n'a rien de tapageur. Il est à la mesure de l'histoire sulfureuse de la décharge industrielle de Bonfol dont d'aucuns ont trop longtemps caché ou minimisé les effets avant de se résoudre à un assainissement qui, lorsqu'il sera terminé, en 2016, aura coûté près d'un demi-milliard de francs.

140000 tonnes de déchets contaminés
Tout commence en 1961. Les géants de l'industrie pharmaceutique suisse commencent à déposer leurs déchets dans une ancienne glaisière de ce village jurassien adossé à la frontière française. En l'espace de quinze ans, avec l'aval des autorités communales qui encaissent des compensations, ils y entassent 140000 tonnes de résidus chimiques en fûts et en vrac, sans véritable contrôle ni inventaire. Au terme de son exploitation, la fosse fut recouverte de terre et arborée. «Les chimistes croyaient que la nature encaisserait le choc et qu'une chape de discrétion ferait oublier leur méfait», note l'auteur. «Ils se sont trompés. Pendant 25 ans, la polémique rebondit périodiquement. Odeurs nauséabondes et pollutions suscitèrent protestations et pétitions. Les tentatives de colmater les brèches furent vouées à l'échec.» Et ce n'est qu'en 2000 que le gouvernement jurassien obtint que la chimie bâloise élimine «cette bombe à retardement» en consentant à ouvrir un vaste chantier d'assainissement nécessitant plus de quinze ans de travaux et qui deviendra un modèle du genre.
José Ribeaud a mené une enquête de quatre ans, fouillant dans les archives et recueillant des témoignages éclairants parmi les acteurs majeurs de cette histoire dont il révèle un certain nombre d'épisodes tenus secrets jusqu'ici.

Vigilance syndicale
Le syndicat a très tôt joué un rôle important dans l'histoire de la décharge de Bonfol. A commencer par le 10 juin 1987, une délégation de la FOBB (Unia aujourd'hui), emmenée par son secrétaire Raoul Challet, débarque inopinément sur le site. Une dizaine d'ouvriers y travaillent dans la boue, affrontant les odeurs nauséabondes dégagées par l'argile contaminée par les solvants, métaux lourds, déchets agrochimiques et pharmaceutiques entreposés là entre 1961 et 1976. Constat: il n'y a pas assez de masques à gaz et certains travailleurs souffrent de violents maux de tête. L'affaire défraye la chronique. «L'Office jurassien des eaux et de la protection de la nature confirme l'échappement de gaz contenant du phénol et des solvants mais assure que la santé des ouvriers n'est pas en danger», indique José Ribeaud. Le syndicat ne se satisfait pas de cette déclaration. Il exige l'accès aux résultats des analyses de l'eau et des gaz prélevés sur la décharge ainsi qu'une indemnisation des travailleurs exposés aux risques. Ce qui lui est refusé. Mais le vent tourne.
En décembre de la même année, la FOBB obtient gain de cause sur toute la ligne. Accédant à ses revendications, Ciba-Geigy accepte qu'un chimiste choisi par le syndicat vienne procéder sur les lieux à différentes analyses dans le but d'arrêter les mesures de sécurité nécessaires. La chimie bâloise (BCI) accepte en outre de verser des indemnités de 200 francs par mois aux travailleurs œuvrant dans les fouilles de la décharge et 100 francs à ceux travaillant à proximité. «La preuve, selon le syndicat des ouvriers du bois et du bâtiment, que la décharge n'est pas sûre est apportée le 2 mars 1988 lorsque des gaz s'enflamment pendant que les ouvriers découpent des palplanches au chalumeau. L'incendie qui suit ne fait pas de blessés mais, comme il s'agit du deuxième incident de ce genre en moins de six mois, le syndicat saisit cette occasion pour demander le renforcement des mesures de sécurité sur le chantier et une meilleure information sur ce qui s'y passe.»

Priorité à la sécurité des ouvriers
Le 13 mai 2000 l'organisation écologiste Greenpeace occupe le site et bloque tous ses accès. Cinq mois plus tard, les entreprises chimiques bâloises concernées signent avec le gouvernement jurassien un accord-cadre dans lequel elles s'engagent à réaliser un assainissement total et définitif de la décharge. L'année suivante naît la Commission d'information et de suivi (CIS) dont l'objectif est d'assurer la transparence de toute l'opération. Cette commission regroupe non seulement le canton et la chimie bâloise mais également la commune de Bonfol, les collectivités locales de France voisine ainsi qu'un collectif réunissant les organisations écologistes et Unia notamment. Le syndicat ne cessera de veiller à ce que la priorité soit accordée à la sécurité et à la santé des travailleurs à chaque étape des travaux, y compris lors de l'examen des projets et de leur planification. Dans L'Evénement syndical en 2003, l'ex-secrétaire syndical Jean-Claude Probst, chargé de ce lourd dossier au SIB puis à Unia Transjurane, souligne qu'«assurer la sécurité et la santé des gens qui travaillent à l'assainissement de la décharge, c'est aussi garantir que la population du voisinage et l'environnement seront également préservés». Pour ce syndicaliste très engagé, cette bataille est «également importante pour tous les autres sites de ce genre en Suisse et à l'étranger car les normes syndicales que nous exigeons pourront servir de référence partout ailleurs». Avec les organisations écologistes, le syndicat obtiendra l'engagement d'un expert indépendant capable d'évaluer les risques de manière scientifique et pluridisciplinaire.
Les travaux d'excavation et d'incinération commencent au printemps 2010. Ils sont devisés à 380 millions de francs. Le Collectif Bonfol obtient que les mesures de sécurité et de protection des travailleurs soient renforcées après une explosion blessant un machiniste, survenue en juin 2011. Si tout se passe normalement, le site devrait être totalement assaini à la fin de l'année prochaine.

Cupidité, ignorance, complicités
Dans sa conclusion, José Ribeaud souligne que les nombreuses affaires de déchets toxiques ou radioactifs en Suisse sont «la conséquence de l'euphorique et irrépressible croissance économique de l'après Seconde Guerre mondiale. Ce phénomène a été rendu possible par le laxisme et sans doute l'ignorance coupable ou la naïveté feinte des autorités politiques. Cette évolution est aussi la conséquence d'une complicité inavouable des gouvernants à tous les échelons du pouvoir avec les puissants et cupides généraux de la grande industrie. Elle est également le résultat de la désinvolte attitude des scientifiques obsédés par la compétitivité et la création de nouveaux produits sans se soucier des conséquences à long terme de leurs inventions sur la santé des humains et la vie de la planète.»
L'auteur termine son remarquable ouvrage par une conclusion optimiste. «Quand les travaux de remblaiement seront terminés, que les arbres plantés sur le site pousseront, que les projets d'embellissement de la localité auront été réalisés, la décharge maudite deviendra un modèle d'assainissement et Bonfol une référence internationale de décontamination réussie.»

Pierre Noverraz


«Bonfol est partout»
«Bonfol est partout», note l'auteur, évoquant les effets catastrophiques mondiaux des terres contaminées, des océans empoisonnés et des décharges polluantes dont la plupart ne bénéficient d'aucun assainissement comparable à Bonfol. «L'Organisation mondiale de la santé estime que 20% de la mortalité dans les pays en développement sont directement liés aux polluants. C'est plus que les décès dus à la malaria et à la tuberculose.» Pourtant les responsables de cette situation sont rarement poursuivis. «Pour un cas révélé et sanctionné par la justice, combien d'autres scandales ignorés ou traités par les juges avec une mansuétude révoltante.» José Ribeaud cite par exemple le cas de l'explosion, en 1984, dans la ville indienne de Bhopal d'une usine de pesticides américaine qui provoqua la mort de plusieurs milliers de personnes alors que les responsables de cette catastrophe n'ont écopé que de deux ans de prison.
PN


Journaliste confirmé et ancien syndicaliste
José Ribeaud est notamment connu pour avoir été pendant un quart de siècle journaliste à la TV romande, au Téléjournal, puis six ans rédacteur en chef du quotidien La Liberté. Avant sa carrière journalistique, ce Jurassien fut secrétaire syndical puis enseignant dans le Sahara algérien, en Italie, en Allemagne et en Suisse. Il consacre aujourd'hui sa retraite à l'écriture et la participation bénévole à des projets éducatifs et humanitaires à Madagascar.
PN