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Le théâtre, miroir de soi

Portrait de Sanshiro.
© Thierry Porchet

Sanshiro, modelé par les cultures suisse et japonaise, a gardé des liens avec sa patrie d’origine.

Auteur-compositeur, metteur en scène et enseignant, Sanshiro donne des cours au Théâtre En Chantier, à Lausanne. Une passion qui l’habite depuis l’enfance

Il aime l’astronomie, l’unihockey, les fondues au fromage dégustées dans des endroits insolites, les trains et les bâtiments abandonnés chargés d’un vécu. Il n’aime pas l’injustice, les personnes incapables d’écouter ou encore les odeurs des réfrigérateurs... Dans cette interview un rien décalée, Sanshiro, d’origine suisse et japonaise, exprimera toutefois surtout sa passion pour les arts de la scène et son plaisir de l’enseignement au Théâtre En Chantier à Lausanne*. Comptant quelque 200 élèves âgés de 5 à 20 ans, le metteur en scène et auteur-compositeur de 44 ans, crée des pièces avec et pour ses classes. «Je demande aux jeunes ce qui les intéresse. La thématique arrêtée, le texte est adapté au fil de nos échanges.» Etapes durant lesquelles Sanshiro recourt à l’écriture de plateau, une technique où la rédaction de l’histoire prend en compte le jeu des comédiens. «C’est une démarche très interactive qui passe par des phases d’improvisation avant d’aboutir à la version finale. Les jeunes sont sans filtre, plein d’idées, indifférents au besoin de paraître. Le théâtre offre un espace non jugeant», souligne le quadragénaire à l’allure juvénile, signalant que la dernière création a porté sur la question climatique. Alors qu’une prochaine œuvre tournera autour du sujet de la mort. Expression corporelle et musique viennent enrichir les pièces de Sanshiro qui a réalisé quatre disques de rock pour enfants. «Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie de me produire sur scène. J’ai fait le tour de la question. Et je ne suis pas bon comédien», affirme le guitariste qui considère néanmoins son instrument comme un atout dans son travail, mais aussi dans sa vie privée.

Mangas et peluches

«Il m’aide à passer les caps difficiles, à extérioriser mes émotions. Amour, pertes d’êtres chers... je peux transposer mes sentiments dans mes compositions», affirme cet homme d’une grande sensibilité et tout en retenue quand il s’agit de se dévoiler. Une certaine timidité qui explique aussi les raisons qui l’ont poussé dans la voie artistique pour s’exprimer, terreau fertile... En couple et père de deux enfants, le créatif cumule les projets car sinon, affirme-t-il, il s’ennuie. «J’ai tout le temps besoin d’avoir quelque chose sur le feu. J’ai peur des vacances», sourit Sanshiro qui profite néanmoins des relâches pour se rendre – une année sur deux en moyenne – au Japon. Une terre que ses parents ont quittée quand il avait 2 ans, mais avec laquelle il conserve de fortes attaches; et familiales et linguistiques, le Vaudois parlant couramment japonais. Le Pays du Soleil levant séduit aussi le voyageur en raison de ses sons et de ses odeurs. «C’est une destination très sensorielle», note Sanshiro qui se considère toutefois plus proche de la mentalité occidentale qu’asiatique. Il évoque d’ailleurs volontiers la «face sombre de l’île», se montrant notamment critique sur son système judiciaire où perdure la peine de mort. «Les Japonais sont aussi moins spontanés. Ils ont d’autres codes. Craignent de perdre la face. Le côté insulaire renforce également un certain esprit de fermeture, de repli sur soi», précise-t-il tout en confiant encore sa fascination pour les mangas qui, loin d’être réservés aux plus jeunes, «décrivent les maux de la société, dévoilent des non-dits». La nourriture du cru comme les rituels du bain intégrés à la culture nippone et facteurs de liens sociaux concourent également au plaisir de ses visites.

Racines dans l’enfance

La vocation de Sanshiro pour le théâtre plante ses racines dans son enfance. «Je suis fils unique. Comme je me sentais un peu seul, petit, je m’amusais à inventer des histoires et à mettre en scène mes peluches pour m’occuper. Je choisissais des chansons existantes, changeais les paroles et enregistrais des cassettes», se remémore l’artiste autodidacte qui a commencé à effectuer des études de physique avant de décrocher un master en pédagogie et psychologie accompli à l’Université de Fribourg. Parallèlement alors à son cursus, le guitariste qui joue avec un groupe de copains découvre, en 1997, le monde du théâtre et rejoint une troupe.

Aujourd’hui et depuis une dizaine d’années, l’indépendant consacre 80% de son temps au Théâtre En Chantier et complète ses revenus par un travail d’enseignant à l’école primaire à Lausanne. Plus qu’un 100% pour cet hyperactif qui peine à baisser son rythme, écrit le plus souvent la nuit et mentionne, au chapitre des rêves, son souhait de disposer d’un mois de retraite et de liberté totale.

Arrêter le temps

«J’aimerais avoir le pouvoir d’arrêter le temps, de le dilater», confie ce passionné qui s’inquiète également de voir ses proches disparaître. «J’y pense souvent. Je me fais aussi du souci pour l’état du monde et l’avenir de mes enfants.» Ce natif du Scorpion ne s’en estime pas moins heureux et se définit comme un être plutôt optimiste, impatient et observateur. Pas question de donner son avis tout de suite, de manière tranchée, pour cet homme qui se ressource en montagne... et dans les bains japonais mais également suédois. Il consacre aussi ses loisirs à la cuisine – qui le relie à des souvenirs maternels rassurants – et écoute volontiers de la musique électronique d’ambiance planante. Questionné sur l’animal qui le symboliserait le plus, l’artiste mentionne, après une hésitation, un écureuil, «car il amasse les choses». «Je garde tout, dans l’idée que ça pourrait un jour être utile.» Quant à la couleur préférée de l’artiste, elle évoque l’espoir et la nature. «J’adore le vert. A 20 ans, j’avais souvent les cheveux de cette teinte», sourit Sanshiro qui a notamment canalisé sa fantaisie dans le théâtre, «cet espace où l’on peut être soi-même».

*Représentations et cours suspendus en raison de la pandémie de coronavirus.

Informations sur: le-tec.ch