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L’art gravé au cœur

Portrait d'Eliane Gervasoni
© Thierry Porchet

La dynamique attachée de presse est aussi une grande contemplative.

Eliane Gervasoni réalise des estampes contemporaines largement inspirées de l’architecture. Un langage géométrique que cette polyglotte rend poétique

Eliane Gervasoni partage son quotidien entre deux mondes qui se font écho et se nourrissent. Côté cour, cette Lausannoise d’adoption, née dans un village près de Bâle, travaille comme attachée de presse indépendante dans le domaine de la culture. Une activité qu’elle mène tambour battant, avec un enthousiasme constamment renouvelé, ravie des rencontres et des découvertes artistiques qu’elle lui permet. Côté jardin, la pétillante noiraude aux yeux d’un bleu perçant se retire dans la paix de son atelier où elle réalise des estampes contemporaines et des dessins à l’encre blanche largement inspirés de l’architecture. Des formes élémentaires qu’elle décline dans des séries qui dialoguent entre elles, recourant à un langage géométrique monochrome et poétique. Privilégiant les couleurs primaires et les lignées épurées, les rapports entre le vide et le plein, le rythme et le silence. Des œuvres dépouillées qui se répètent dans des versions minimalistes, évoluant dans l’espace, parce qu’Eliane Gervasoni aime ce qui n’a pas de fin. Parce que cette femme joyeuse, dynamique, parfois un rien survoltée, est aussi une grande contemplative, en quête de sérénité. Une artiste minutieuse qui, toute à ses dessins ou gravures, relègue sa nature extravertie aux vestiaires pour entrer dans une autre énergie. Donnant vie à des tableaux qu’elle qualifie malicieusement «d’autre extravagance», concrétisée par une forme, une couleur unique.

En se défaisant du monde...

«J’ai deux moi. Dans mon atelier, je me défais du monde. J’entre dans un espace de création, de réflexion. C’est ici que je suis la plus heureuse», affirme-t-elle dans un éclat de rire qui ponctuera souvent l’entretien, tout en caressant la belle presse servant à ses créations. Mais si, pour Eliane Gervasoni, l’art relève de la «passion et de la nécessité, de l’équilibre et du bien-être», elle n’a pas opté d’emblée pour cette voie. A 19 ans, au terme d’une formation commerciale, la jeune Bâloise d’alors – née d’un père alémanique et d’une mère d’origine romande – part pour Cambridge dans le but d’apprendre l’anglais. Ce séjour la met en contact avec des étudiants du monde entier et lui donne l’envie de découvrir de nouveaux horizons. Pas question, au terme de ses études, de rentrer sagement dans son village natal. Amoureuse des langues, Eliane Gervasoni boucle ses valises pour Lausanne où elle effectue un stage à l’Office du tourisme avant de décrocher un job comme attachée de presse pour une maison de distribution de films. Un poste qui lui permet de valoriser ses aptitudes de polyglotte – elle parle encore italien et espagnol. En 1989, nouveau départ: Eliane Gervasoni s’envole pour les Seychelles avec celui qui deviendra son futur époux et père de ses deux enfants, gagnant l’archipel pour des raisons professionnelles. «Une expérience extraordinaire. Un bonheur sans effervescence. Une vie simple, dans la nature, avec du temps pour les relations humaines», relate la voyageuse qui, deux ans plus tard, s’installe avec la famille à Londres où elle restera une année.

Tournant réussi

De retour dans la capitale vaudoise, Eliane Gervasoni – qui réalisait déjà des collages – entreprend de se former dans la gravure, après une période de remise en question sur l’orientation qu’elle entend donner à sa vie. Choix pertinent et tournant réussi. En 1999, elle décroche un prix international dans sa discipline qui lance sa carrière artistique. «J’avais enfin trouvé le chemin qui me correspondait vraiment», note la passionnée qui, séparée dans l’intervalle de son mari, continuera à se perfectionner dans son domaine, effectuant notamment plusieurs séjours à Manchester où elle participe à des ateliers. A cette époque, elle découvre l’œuvre de John Cage et, en particulier, son livre Silence qui lui inspirera aussi de nouvelles séries d’estampes. Comme le travail de l’architecte américain Louis I. Kahn. «J’ai acquis, au fur et à mesure de mon parcours, l’ensemble des outils techniques nécessaires à mon travail artistique. M’offrant la liberté indispensable à ma démarche.» Une voie empruntée par Eliane Gervasoni pour pouvoir «s’exprimer de manière poétique». Une manière aussi de prendre le temps de regarder. De sentir et de ressentir. De s’arrêter sur les jeux d’ombres et de lumières, d’en jouer. Et de créer, nourrie par son vécu, son travail stimulant dans le milieu culturel et son amour des mots et des langues étrangères. Avec, à la clef, des œuvres régulièrement exposées en Suisse et à l’étranger.

Attirance zen

L’art permet aussi à Eliane Gervasoni, la sensibilité à fleur de peau, d’échapper à un monde «basé sur la performance, où l’on ne cesse de courir» qui l’irrite et auquel elle ne s’identifie pas. Pas de quoi toutefois entacher le bonheur de cette éternelle optimiste qui associe sa félicité à la joie de faire ce qu’elle aime, à l’épanouissement et l’harmonie qu’elle y trouve, comme aux liens tissés avec ses enfants «tellement précieux». «J’ai une vie riche. Des amis. Des projets artistiques. Je suis heureuse. Oui. Bon, pas tous les jours quand même», nuance-t-elle, songeuse. Son équilibre, la Lausannoise de cœur – qui adore lac et mer – le trouve aussi dans ses loisirs. Un peu de sport – entre marche, yoga et Pilates – la photo, l’écriture et les voyages. Elle rêve d’ailleurs de partir travailler au Japon, un pays qu’elle a déjà eu l’occasion de visiter. «J’adore l’architecture des maisons traditionnelles. L’attention portée aux détails. Le côté zen de ces espaces.» Une approche en résonance avec ses œuvres apaisantes, dépouillées. Une épure pour aller à l’essentiel, non sans ouvrir le regard et débrider l’imaginaire.

Eliane Gervasoni participe à Aperti XIII – ouverture des ateliers d’artistes à Lausanne et environs – les 18 et 19 mai, de 12h à 18h (aperti.ch). Elle expose par ailleurs ses œuvres jusqu’au 23 juin dans le restaurant galerie Abordage, à Saint-Sulpice.

elianegervasoni.net