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«La planète continuera à exister, avec ou sans nous»

Portrait de Loukina Tille.
© Thierry Porchet

Coorganisatrice du sommet Smile for Future cet été, membre du collectif vaudois et national de la grève du climat, Loukina Tille invite à de nouveaux récits collectifs.

Militante pour le climat, Loukina Tille s’engage pour l’environnement avec l’énergie de la jeunesse et une intelligence éclairée

Vendredi, vous pourriez avoir la chance de la croiser lors de la grève du climat à Lausanne. Ou, samedi, à Berne lors de la manifestation nationale organisée par l’Alliance climatique suisse*. A tout juste 18 ans, Loukina Tille est de tous les rassemblements et en impose par sa détermination et son engagement pour la planète.

A la source de sa première prise de conscience: le film Demain. Deux ans plus tard, en décembre 2018, la graine germe. L’effet «Greta Thunberg» commence à résonner dans le monde. Le GIEC sort des rapports de plus en plus médiatisés. Une première réunion à Berne est organisée par des jeunes qui en appellent à l’urgence climatique. «J’ai reçu un whatsapp. Et j’y suis allée, par curiosité surtout», se souvient Loukina Tille, alors gymnasienne à Renens en philo-psycho. Elle s’inscrit dans la coordination nationale avec le sentiment qu’elle s’embarque dans quelque chose qui la dépasse… «J’ai toujours beaucoup réfléchi sur la politique, le fonctionnement du monde, mais chez moi. A Lausanne, lors de la première grève du climat le 18 janvier, j’ai manifesté pour la première fois. On avait prévu environ 1000 personnes, on était huit fois plus!»

De nouveaux récits

Elle ne s’arrête plus: manifestation au WEF à Davos, rencontre avec la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, participation au Plan climat vaudois avec des conseillères d’Etat, grèves, coorganisation d’une assemblée citoyenne et du Sommet européen pour le climat à Lausanne cet été (Smile for Future). Un activisme qui ne l’empêche pas de se poser et de proposer, avec ses camarades de lutte, des moments de visualisations positives en invitant les gens à fermer les yeux, se recentrer et imaginer un autre monde, aux nuances infinies de vert… «Je ne sais pas d’où ça me vient. Petite, je lisais beaucoup de romans fantastiques. Et en Angleterre, où j’ai passé ma deuxième année de gymnase, j’ai fait un peu de yoga et de la méditation. Je crois que de nouveaux récits collectifs – qui ne soient pas autour de l’argent comme c’est le cas aujourd’hui – sont à inventer. Plus il y aura de monde pour se projeter dans un autre futur, plus il y aura de chances qu’il se réalise. La spiritualité, pour moi, c’est une reconnexion avec son for intérieur et avec la nature. La perception du monde et la manière de vivre forment un tout.»

Son livre du moment parle des peuples racines. «Leurs liens à la nature me touchent. Car je me questionne beaucoup sur la manière d’avoir le moins d’impact possible sur l’environnement», explique celle qui, enfant, passait beaucoup de temps en forêt, et spécialement sous un sapin de son village de Bretigny-sur-Morrens. Et aujourd’hui? «Cette dernière semaine, je me suis beaucoup baignée dans la Limmat, après mes cours d’allemand», raconte l’étudiante surchargée, en vue de sa rentrée universitaire à l’EPFZ, à la Faculté des sciences de l’environnement. «A priori, je suis plutôt littéraire. Mais il me manque des connaissances scientifiques pour mieux appréhender les écosystèmes. Et j’avais envie d’apprendre l’allemand. Je cherche un travail qui ait du sens. Quand je vois les gens dans le métro qui vont travailler le matin avec leurs regards perdus, j’ai envie de leur dire: “Vous allez où? Pour faire quoi?ˮ»

Critique politique

Avec une mère enseignante et un père avocat libéral, les débats sont vifs à la maison. Loukina Tille pose un regard sur la politique sans concession. «J’ai participé à deux réunions sur la mobilité, la santé humaine et le territoire dans le canton de Vaud. Avec mon camarade de la grève du climat, nous avons planché sur le sujet avec des scientifiques. Pour ensuite mener la discussion devant une douzaine de représentants de l’Etat tellement cloîtrés dans leur discipline. Il leur manque l’énergie de la jeunesse! Les politiciens en général, les bureaucrates pensent que, si l’on remet en cause le système, c’est pour un totalitarisme Vert ou du communisme. C’est une vision étroite de la politique! Il faut ouvrir les horizons. J’aimerais un jour me rendre au Grand Conseil et proposer aux députés une visualisation pour apporter un autre récit, loin de leurs débats rhétoriques, leurs disputes, leur dilemme d’ego et leurs excuses pour ne rien faire… On leur demande du courage!»

Rien de naïf chez la coorganisatrice du Smile qui a réuni quelque 450 grévistes du climat issus de 38 pays. «En fait, on a incarné la phrase: “Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait”, résume Loukina Tille. On s’est lancé dans l’organisation de cet événement, sans expérience. On a vécu des débats enflammés, mais à la fin, nous sommes arrivés à une convergence. C’est une nouvelle manière de faire de la politique: réfléchir à ce qu’on a en commun et construire ensemble malgré nos différences.» Cette semaine-là, elle fêtait ses 18 ans. A cette occasion, ses parents avaient organisé, de longue date, trois semaines de vacances aux Etats-Unis avec leurs quatre enfants. Mais Loukina, l’aînée, leur a signifié ce printemps qu’elle ne pouvait se résigner à prendre l’avion. «Je ne peux pas tenir un double discours: vouloir réduire les émissions de CO2 et prendre l’avion… J’étais désolée de casser le projet familial», confie-t-elle.

Cohérente et déterminée, elle avoue ne pas échapper à quelques moments de déprime en pensant à l’avenir: «On a réussi à faire que le sujet environnemental soit discuté partout. Mais il reste tellement à accomplir. D’un côté, j’ai l’espoir en l’humain; de l’autre, je vois tant de gens qui ne veulent pas se rendre compte à quel point on est dans la m… Parfois, je me dis que peu importe: la planète continuera à exister avec ou sans nous. Je trouve l’humanité belle. Mais, si elle disparaît, cela signifie qu’elle ne méritait pas d’habiter la Terre qu’elle aura détruite.»


*Vendredi 27 septembre, grèves du climat partout en Suisse. Manifestations à Lausanne, place de la Gare, 10h. Fribourg, place George-Python, 10h. Genève, place des 22-Cantons, 14h. Porrentruy, place de la Gare, 15h30. Neuchâtel, Jeunes-Rives, 12h00. Plus d’infos: climatestrike.ch

Samedi 28 septembre, manifestation nationale à Berne à 13h30 organisée par l’Alliance climatique suisse. Plus d’infos: klimademo.ch