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La face obscure du «self-scanning»

Les deux plus grandes enseignes en Suisse possèdent ensemble déjà plus de 4000 caisses self-scanning
@ Thierry Porchet

Les deux plus grandes enseignes en Suisse possèdent ensemble déjà plus de 4000 caisses self-scanning, qui génèrent entre 20 et 40% du chiffre d’affaires selon les endroits. 

Une étude mandatée par Unia met en lumière l’augmentation du stress chez le personnel de vente, dû notamment aux nouvelles technologies

A l’heure de la numérisation, le personnel de vente fait face à de nouveaux défis. Pour la première fois, des chercheurs de l’Université de Berne se sont penchés sur les effets des caisses en self-service sur les employés. Ce résultat fait écho à ce que les secrétaires syndicaux entendent au quotidien: accroissement du stress, multiplication des tâches (multi-tasking), fatigue, changement de l’identité professionnelle, détérioration du contact avec la clientèle, crainte pour l’avenir…

Intitulée «Les effets du self-checkout (SCO) et du self-scanning sur les conditions de travail, sur la santé et sur l’identité professionnelle du personnel de vente dans le commerce de détail»*, l’étude qualitative du centre interdisciplinaire pour la recherche sur le genre de l’Université de Berne montre que le personnel doit accomplir toujours plus de tâches en moins de temps. «Il doit notamment assurer le contrôle et la surveillance. Le stress augmente et le contact avec les clients devient plus difficile, souligne Unia dans un communiqué. Les employés, surtout les femmes, sont davantage exposés à des comportements agressifs et inadéquats.» Les témoignages réunis dans l’étude font état de remarques dévalorisantes et insultantes et même d’une agression physique. «Les gens ont de la peine à accepter les contrôles aléatoires. La relation au client change. D’où l’importance de définir les rôles, car les vendeuses ne doivent pas assumer celui du personnel de sécurité», relève Anne Rubin, responsable du commerce de détail à Unia, qui insiste sur l’importance de former les employés. «Jusqu’à présent, la formation est transmise à la va-vite par les chefs d’équipe. Alors que les témoignages montrent qu’en plus d’une formation technique, la gestion de potentiels conflits doit aussi être enseignée.» Le syndicat préconise aussi l’accès à un service de médiation et la mise en place de campagnes de sensibilisation auprès de la clientèle. 

Le stress du «multi-tasking»

Des rotations plus fréquentes aux caisses self-checkout, soit des équipes de maximum trois heures aux caisses en alternance avec d’autres activités, devraient être proposées afin de lutter contre les douleurs physiques. «Actuellement, cela dépend des filiales. Cela peut aller jusqu’à 8h. Parfois, par solidarité, le personnel s’organise», relève Anne Rubin. Pour Unia, des possibilités de s’asseoir et des chaussures de santé sont également nécessaires. Les employés ne devraient pas devoir surveiller plus de trois à quatre caisses, et les doubles fonctions être interdites, comme s’occuper à la fois d’une caisse normale et d’une caisse SCO. «Ce qui est frappant, c’est cette notion demulti-tasking qui est extrêmement stressante, note Anne Rubin. Surveiller tant de caisses, tout en aidant un client, par exemple, c’est intenable.» Et d’ajouter: «Ces innovations techniques créent des profils de tâches bien plus larges qu’auparavant. Elles doivent donc aussi se traduire par une revalorisation des conditions de travail et des salaires. D’autant plus que les entreprises réalisent des économies notamment en termes de place, car pour une caisse traditionnelle on peut installer deux à trois SCO. La réduction des effectifs reste difficile à chiffrer, car les secrets sont bien gardés. Mais nos membres, tout comme dans l’étude, témoignent que ceux sous contrat “8 heures – 20 heures” voient leurs heures diminuer. Et des personnes ne sont pas remplacées lorsqu’elles sont malades ou partent à la retraite.»

Depuis les années 1990, le nombre d’emplois a constamment diminué dans le secteur, notent quant à eux les chercheurs, qui relèvent également la précarité du travail, les contrats à l’heure, le sous-emploi, la flexibilité extrême demandée et le manque de perspectives professionnelles. 

Unia rappelle que la règle des 14 jours de planification devrait être respectée, les contrats fixes et un taux d’occupation permettant de couvrir le minimum vital garantis. Le syndicat pointe aussi du doigt le fait que «les fonctions dirigeantes sont majoritairement réservées aux hommes». A noter encore que cette branche à bas salaire est occupée par deux tiers de femmes dont la moitié est à temps partiel. Elle compte environ 323000 employés (240000 équivalents plein temps), dont 150000 sont à temps partiels. Les deux plus grandes enseignes en Suisse – Migros et Coop – possèdent ensemble déjà plus de 4000 caisses self-scanning qui génèrent entre 20 et 40% du chiffre d’affaires, et jusqu’à 50% aux heures de pointe selon l’étude. Quelque 60% de la clientèle utiliserait déjà ces outils.


* Sebastian Funke, Tina Büchler, Gwendolin Mäder, Michèle Amacker, étude du centre interdisciplinaire pour la recherche sur le genre IZFG de l’Université de Berne.

Morceaux choisis des témoignages recueillis

«C’est bien plus stressant qu’à une caisse traditionnelle, très clairement. Car à la caisse, on voit la file d’attente s’allonger, mais on ne peut pas faire autrement que faire son travail. Alors que là, on est dans le pire des cas, une personne contre douze.»

«Tu dois juste rester là, tu ne peux pas t’appuyer ni t’asseoir. Il faut que les gens voient qu’il y a toujours quelqu’un pour contrôler.»

«Nous nous entraidons. Mais la pression d’en haut est inhumaine.»

«Ils compressent les heures chaque mois, parce que nous avons trop d’heures. Et nous les femmes, nous disons que nous devons aussi payer nos factures. Ce sont principalement les caissières qui ont un salaire horaire.»

«Ce que je constate, c’est que les caissières préfèrent être à la caisse que dans le domaine self-checkout. A la caisse, tu es encore quelqu’un. La personne dont on a besoin pour sortir. Au self-checkout, tu es une personne quelconque qui tourne en rond et dont on n’a pas besoin.»

«Cela nous a peut-être fait davantage prendre conscience que nous sommes remplaçable et que le travail que nous faisons peut être réalisé par un ordinateur.»

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