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La face obscure des 13 étoiles

Talentueux écrivain Jérôme Meizoz vient de publier Haut Val des loups inspiré d'un Valais ayant largement forgé son identité

La semaine, Jérôme Meizoz enseigne la littérature contemporaine à l'Université de Lausanne. Une ville qu'il a apprivoisée, aussi à vélo, et qu'il apprécie pour sa diversité culturelle et son lac où il se baigne volontiers. Mais le week-end le ramène inlassablement à son Valais natal. Auprès des siens. Et sur les chemins de haute montagne qu'il affectionne. Au cœur d'une nature muette. Sauvage. Apaisante. «Où tout devient relatif», précise cet homme amical et sensible à la préservation de l'environnement, matériau de sa dernière publication, «Haut Val des loups», paru aux éditions Zoé. Un ouvrage qui relate l'histoire dans les années 90 d'un jeune écologiste valaisan passé à tabac par des inconnus sans que l'enquête aboutisse. Une injustice faite à un de ses amis au côté duquel il milite à cette époque. «On ne voulait pas trouver les coupables. Ce livre est une manière de redire ce scandale, de réveiller la mémoire. Une réparation symbolique. Pour ne pas laisser la victoire au silence, principale arme des sociétés claniques», explique Jérôme Meizoz qui prend néanmoins le parti de ne pas nommer les protagonistes dans son récit, les qualifiant de «personnages emblématiques».

Travail d'orfèvre
Dans ce roman politique, l'écrivain de 48 ans présente deux visions du monde qui s'affrontent. Celle des entrepreneurs et d'une génération de militants, dont il fait partie, avec «ses idéaux qui se heurtent aux murs de la réalité, du profit». «Je croyais alors encore au pouvoir des mots. Un peu moins aujourd'hui» sourit l'auteur qui adopte dans «Haut Val des loups» un ton satirique et mélancolique à la fois, ressuscitant ses années de jeunesse. Années de naïveté, de générosité, d'inconscience des risques. Avec, à la clef, une œuvre ciselée comme un diamant. Un livre à l'écriture aussi épurée qu'efficace, rythmée, révélant la quintessence des mots, véhicule à l'émotion poétique constellant l'histoire. Un véritable travail d'orfèvre effectué par un auteur qui nourrit constamment sa plume au terreau valaisan, sa source d'inspiration. «Mes récits relèvent le plus souvent de l'autobiographie ou du document. Je recours à la fiction, mais assez peu, au fond», poursuit ce natif de Vernayaz, ancien élève du sociologue français Pierre Bourdieu, relatant dans ses livres, avec l'âme d'un observateur ethnographique, le monde de ses racines. Un univers pétri de religion, de traditions, d'exclusion dans lequel il a grandi. Où s'est forgée son identité. Un «cosmos particulier», catholique, clanique, familialiste, le plus souvent en porte-à-faux avec les choix politiques de son père et de son grand-père, tous deux socialistes. Sensibilité dont il a hérité et qu'il revendique.

Le Valais des non-dits
«J'ai fait tôt l'expérience du minoritaire», note l'homme de gauche se remémorant certains cafés où n'entraient pas les siens, car ils n'étaient pas du bon parti. «Invisibles et fascinantes frontières...» Se souvenant de rapports tacites de hiérarchie qui s'instauraient lors de la venue, par exemple, d'un personnage jugé «important» comme le médecin. «Je me rappelle de la réaction de ma tante lors de ses visites. Soumise. Impressionnée, presque honteuse. Et trouvant cela naturel... Les dominés consentent à la domination. Ça a toujours été une énigme pour moi.» C'est ce Valais que Jérôme Meizoz se plaît à raconter. Ce Valais des non-dits. D'une culture non explicite. Dans les rapports sociaux, amoureux, politiques, à la nature... «L'envers de la médaille d'une vaste fresque, sa réalité cachée» précise l'auteur explorant ce monde avec méthode, animé du sentiment qu'il a, de ses observations, quelque chose à transmettre. «Ecrire est une habitude. Une manière de vivre. De digérer les expériences. De les métaboliser.»

L'attrait de l'étrangeté
Constant et obstiné, «raisonnablement pessimiste», croyant aux rapports politiques comme à la nécessité des luttes syndicales qu'il soutient, Jérôme Meizoz s'estime à ce jour heureux de son parcours. «Quand je regarde dans le rétroviseur, je suis plutôt content», affirme-t-il. Pour se ressourcer, le Valaisan privilégie les balades en nature. Mais si cet homme, corps et mental de sportif, vibre devant un paysage montagneux, les bords de mer sauvages savent aussi l'émouvoir. Sa définition du bonheur? «C'est quand le malheur prend des vacances», illustre l'écrivain qui n'a pas été épargné par la perte de plusieurs proches, dont, enfant, sa mère. «On a alors conscience que le malheur peut s'immiscer souvent dans l'existence, sans pour autant la gâcher» commente Jérôme Meizoz qui conjugue la mort avec le néant. «Après la vie, pour moi, il n'y a rien. Tout ce que je peux laisser, ce sont ces livres. Mais je ne me fais aucune illusion sur la postérité. Et j'écris d'abord pour le présent.» Une autre voie aurait-elle pu l'intéresser? «Je serais volontiers devenu ethnologue. En particulier à l'époque des grandes explorations. J'aurais aimé découvrir l'étrangeté d'une autre civilisation.» A défaut, il nous dévoile un Valais parfois pas moins bizarre et étonnant. La face obscure des 13 étoiles emblématiques du canton figurant sur son drapeau. Un Vieux-Pays décrit sans concession, mais pas sans âme...


Sonya Mermoud