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«Il faut suspendre le travail partout où il n’est pas essentiel»

Portrait de Vania Alleva.
© Thierry Porchet

L’heure est grave, insiste Vania Alleva, présidente d’Unia et vice-présidente de l’Union syndicale suisse, ici lors d’une conférence de presse tenue au printemps de l’année dernière. Tout doit être entrepris pour contenir l’épidémie, faute de quoi les dommages consécutifs seront beaucoup plus importants pour tout le monde.

Après une intense semaine de changements majeurs dus au coronavirus, entretien avec Vania Alleva, présidente d’Unia, sur les enjeux dans le monde du travail

Tout est allé très vite. Entre la décision du Conseil fédéral de fermer toutes les écoles du pays le vendredi 13 mars, puis celle de déclarer la Suisse en «situation extraordinaire» le lundi 16, avec la fermeture des restaurants, des commerces non alimentaire, des établissements culturels ou de loisirs, et l’appel à l’armée pour aider le système de santé et la sécurité, et enfin la décision de vendredi dernier de renforcer encore les mesures de protection sanitaire et d’assouplir le chômage partiel, il ne se sera écoulé qu’une semaine. Une semaine où toute l’économie du pays a été chamboulée pour faire face à l’épidémie de coronavirus qui s’étend partout en Europe. Une semaine aussi où Unia a été sollicité par beaucoup de salariés confrontés au non-respect des mesures de protection de la santé sur les chantiers, dans les usines ou encore dans les magasins de première nécessité. A l’issue de cette semaine éprouvante, interview avec Vania Alleva, présidente d’Unia.


Toute la semaine, le personnel d’Unia et les secrétaires syndicaux étaient au front pour répondre aux très nombreuses questions venant de salariés touchés par les diverses mesures prises pour contrer l’épidémie de coronavirus ou par le non-respect des directives de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) sur leur lieu de travail. Où en est-on aujourd’hui?

Des centaines de milliers de personnes sont dans une situation d’urgence. On leur dit de rester à la maison autant que possible, et en même temps, ils doivent continuer à travailler dans des conditions sanitaires non adéquates et s'exposer, ainsi que leurs familles, à un risque d'infection. En plus il y a une très grande peur pour leurs moyens d’existence. Le fait que le Conseil fédéral ait pris, vendredi, une série de décisions pour assurer les salaires est un pas dans la bonne direction afin d’atténuer les conséquences économiques et sociales de cette crise. Mais il reste beaucoup à faire.

Est-ce que les 42 milliards promis par le Conseil fédéral seront suffisants pour couvrir les salaires de tous les travailleurs au chômage partiel ou perdant leur emploi?

C’est un premier pas. Mais il est prévisible qu’il faudra davantage d’argent, notamment pour garantir les salaires et pour un redémarrage économique après la crise. Cela dépendra de la manière dont celle-ci se développe. Pour le moment, le Conseil fédéral a honoré les revendications syndicales centrales: je salue le fait que les employés temporaires, à contrat de durée déterminée, à l’heure et les apprentis puissent bénéficier de la réduction d’horaire de travail (RHT). De plus les parents ne pouvant pas travailler car ils doivent garder leurs enfants seront aussi soutenus, par le biais des allocations pour perte de gains (APG). Aujourd’hui, notre préoccupation majeure c’est l’application des mesures de protection de la santé dans les entreprises.

Concrètement, comment le chômage partiel s’appliquera aux temporaires et aux personnes travaillant à l’heure?  

L’employeur devra faire une demande de RHT aussi pour ces catégories de personnel. Dans l’hôtellerie-restauration par exemple, après la fermeture des établissements, de nombreuses entreprises ont demandé le chômage partiel pour les employés fixes mais pas pour le personnel à l’heure. Or dans cette branche, beaucoup travaillent à l’heure avec des taux très élevés. Ils ont été renvoyés à la maison sans salaire garanti. C’est une bonne chose que le Conseil fédéral ait décidé que ces travailleuses et travailleurs puissent bénéficier du chômage partiel.

Par ailleurs, pour un très grand nombre de petites et moyennes entreprises, il reste le problème des liquidités. Les décisions prises hier (vendredi, ndlr) sont un soutien et nous verrons si cela permettra vraiment de répondre au problème du paiement des salaires.

Ne faudrait-il pas aussi exiger dès maintenant l’interdiction de tout licenciement?

Nous revendiquons la sauvegarde de tous les emplois. Il est primordial qu’après cette crise, les salariés puissent tous continuer à travailler. Licencier maintenant, c’est aggraver encore plus la situation.

Pour revenir à la priorité actuelle de faire appliquer les mesures de protection de la santé sur les lieux de travail, on peut s’étonner que le Conseil fédéral n’ait pas pris de mesures plus fortes en décidant - comme ça a été le cas à Genève pour les chantiers qui ont dû fermer le vendredi 20 mars à midi - d’arrêter le travail dans les entreprises non essentielles, ce que beaucoup de travailleurs et de syndicalistes espéraient. Pourquoi le gouvernement n’est-il pas allé plus loin?

Parce que le Conseil fédéral ne voit pas l'urgence aiguë de l'application de ses propres mesures contre la pandémie dans le monde du travail. L’expérience vécue cette semaine sur le terrain, dans les différentes branches, montre que les mesures de protection des travailleuses et des travailleurs ne sont pas appliquées partout et que les autorités cantonales ont arrêté de contrôler... Mais nous ne pouvons pas attendre. La pandémie, c’est maintenant. Et si toutes les mesures raisonnables ne sont pas prises immédiatement pour la contenir, les dommages consécutifs seront beaucoup plus importants pour tout le monde par la suite.

La Suva a été appelée en renfort par le Conseil fédéral pour ce contrôle, or nous savons qu’il y a très peu d’inspecteurs et de moyens…

C’est très bien que la Suva s’implique sur le terrain, mais vu la dimension du problème, son action sera très limitée. Le non-respect des mesures d’hygiène et de distance sociale est énorme dans de très nombreuses entreprises. Il faut suspendre le travail partout où il n’est pas essentiel et se focaliser sur la protection là où il doit être maintenu.

Y a-t-il eu, en Suisse alémanique, des mesures allant plus loin que ce qu’a décidé le Conseil fédéral, comme à Genève ou sur Vaud?

Non, il n’y a pas eu de décisions de ce type. Par contre, à Zurich, les salariés de la construction se sont aussi mobilisés. Une pétition en ligne signalant que les mesures de protection n’étaient pas respectées sur les lieux de travail a reçu 25000 signatures en une journée.

La Société suisse des entrepreneurs (SSE) a attaqué Unia la semaine passée, puis applaudi la décision du Conseil fédéral de poursuivre le travail sur les chantiers… Dans sa lettre ouverte du jeudi 19 mars qui vous était personnellement adressée, elle demandait que le syndicat cesse immédiatement ses actions pour les fermetures de chantiers en disant que «c’est le plus mauvais moment pour la lutte syndicale»! Que dire face à cette arrogance?

Ma réponse à la SSE a été simple: Dans la plupart des chantiers les mesures édictées par l’OFSP ne sont pas respectées. Les ouvriers bossent en équipe, l’un contre l’autre. Maintenant, un arrêt technique est nécessaire avant que les entreprises puissent mettre en œuvre les dispositions de l’Office fédéral. Le travail peut ensuite reprendre. De plus, plusieurs associations patronales, comme dans les cantons de Vaud, Genève et du Tessin, demandent aussi l’arrêt des chantiers, ce qui a abouti aux décisions prises par leurs Conseils d’Etat. En Italie également, l’association faîtière des entrepreneurs a dit qu’il n’était pas possible de continuer à travailler. Contenir le virus doit passer avant tout le reste – cela n’est possible que si les mesures de sécurité et de protection de la santé des salariés sont garanties.

Le personnel de vente et de soins est en première ligne et fait preuve d’un dévouement exceptionnel. Or le Conseil fédéral vient de lever les protections légales pour le personnel hospitalier, et les horaires des magasins ont été élargis dans certains cantons…

Il y a en effet un risque de déréglementation avec cette crise, touchant également le personnel de la logistique et des transports, alors qu’il faudrait plutôt réglementer pour mieux protéger les salariés. L’«assouplissement d’urgence» du droit du travail doit être bien fondé, limité dans le temps et convenu avec les partenaires sociaux. En outre, la charge pesant sur l'entrepreneur individuel ne doit pas augmenter et doit être compensée. La plupart des «libéralisations» n'ont tout simplement aucun sens dans la situation actuelle et sont même contre-productives: l’extension des ouvertures des magasins jusqu’à 20h sur Vaud et Fribourg incite les gens à aller faire des courses pour sortir un peu. C’est un signal négatif, dangereux.

Quelles sont les mesures prises par Unia au niveau des secrétariats pour faire face aux demandes des travailleurs?

Mis à part dans les cantons de Vaud et du Jura où les guichets ont dû fermer à la suite de décisions des autorités, les secrétariats restent accessibles, mais à des horaires qui peuvent varier en raison du travail à accomplir sur le terrain. Il est préférable de joindre le syndicat par téléphone. Pour l’instant, les demandes relatives au coronavirus sont prioritaires. Les caisses de chômage sont joignables uniquement par mail et par téléphone. Une hotline d’Unia devrait aussi voir le jour rapidement.

Impact économique et social

Le conseiller fédéral Guy Parmelin a dit lors de la conférence de presse de vendredi que 80% de l’économie continuait de fonctionner. C’est énorme pour un pays étant pratiquement confiné…

Vania Alleva: Beaucoup de personnes font du télétravail, ce qui n’est pas sans problème avec des enfants qui ne vont pas à l’école. On ne peut pas continuer à penser que l’on peut travailler au même rythme avec tous les autres problèmes qui se posent aujourd’hui. Il existe également un véritable risque lié au télétravail, à l’isolement, au stress, etc. Le télétravail n’est pas une solution à tout.

Les bourses se sont effondrées dernièrement. Une crise économique majeure était annoncée depuis longtemps. Y a-t-il une corrélation entre ces deux éléments?

Oui, il y a une corrélation très claire avec la réalité du marché économique et du monde du travail. Il y a bien sûr l’incertitude liée à la crise sanitaire dont on ne connaît pas la durée. L’effet sur les marchés financiers est très préoccupant. Personne ne sait comment cela va se développer. Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra un grand paquet conjoncturel après la crise pour sauvegarder les postes de travail.

L’ampleur de cette crise ne découle-t-elle pas aussi de toute la politique de libéralisation de l’économie et de privatisation des services publics: manques d’effectifs, d’infrastructures et de matériel dans les soins, industries et savoir-faire démantelés avec les délocalisations et les licenciements massifs, etc.

Cette crise montre une chose: faire des économies dans des secteurs essentiels pour l’ensemble de la société est de l’inconscience. Il faut au contraire davantage d’investissements dans les soins, le soutien aux personnes, le service public. Et de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires dans ces domaines et dans d'autres comme le commerce de détail. Ce sont toutes des branches de professions féminines, avec des bas salaires. Et ces travailleuses sont les plus sollicitées et exposées aujourd’hui. Elles subissent des pressions énormes, ce qui était déjà le cas avant. On voit que tout le système repose sur ces personnes. J’espère qu’après la crise, la société réalisera cela et qu’il y aura un renforcement de ces domaines et une revalorisation de ces professions. Ce sera une préoccupation centrale pour Unia.

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