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«Il faut que la Suisse envoie des signaux forts à l’Europe»

Un drapeau suisse et un drapeau européen se font face.
© Olivier Vogelsang

Les syndicats proposent de construire une relation stable avec l’UE fondée sur un renforcement de la coopération, en particulier dans le domaine social.

Après l’abandon de l’accord-cadre, les syndicats proposent de construire une nouvelle relation avec l’Union européenne basée sur une coopération accrue dans le domaine social

Fin mai, le Conseil fédéral a mis un terme aux négociations en vue de la signature d’un accord institutionnel entre la Suisse et l'Union européenne (UE). Les désaccords entre les deux parties se sont surtout cristallisés autour de deux points liés à la libre circulation des personnes: la protection des salaires et la directive relative aux droits des citoyens européens. La gauche et les syndicats refusaient un affaiblissement des mesures d’accompagnement et en avaient fait une ligne rouge à ne pas franchir sous peine de perdre leur soutien. Tandis que Berne et la droite ne voulaient pas d’une reprise intégrale de la directive sur la citoyenneté qui aurait modifié la politique helvétique en matière d’immigration. A la suite de cet échec, l’Union syndicale suisse, Travail.Suisse, Unia et Syna ont élaboré une position commune sur la poursuite de nos relations avec l’UE. Les syndicats plaident pour une nouvelle approche. Ils proposent de construire une relation stable avec l’UE fondée sur une coopération accrue, en particulier dans le domaine social. Les explications de Martine Docourt, responsable du département politique d’Unia.


Les syndicats appellent les autorités à adopter une nouvelle approche vis-à-vis de l’UE, pouvez-vous nous la résumer?

Nous avons défendu avec succès la ligne rouge sur la protection des salaires, soit le système existant de contrôle du marché du travail, et nous continuerons à le faire. Mais cela ne signifie pas, bien sûr, que nous recherchons l’isolement. Nous, syndicalistes, pensons au niveau international et ce pour de bonnes raisons. Premièrement, nous organisons toutes les travailleuses et tous les travailleurs, quels que soient leur passeport et leur origine. Deuxièmement, les grands enjeux actuels, tels que les inégalités sociales, la précarisation ou la dégradation de l'environnement, ne peuvent être résolus qu’au niveau international. Et c’est là que l’UE est le partenaire le plus important de la Suisse. Cela devra se faire en développant le pilier social de la coopération, les contributions de solidarité de la Suisse avec les pays européens et en renforçant l’égalité des droits sociaux pour les citoyens de l'UE travaillant et vivant en Suisse.

Pourquoi renforcer la coopération en particulier dans le domaine social?

Plusieurs lois-cadres prospectives ont été élaborées par l’Union européenne sur les principes d’un pilier européen des droits sociaux décidé en 2017. Si les Etats membres mettent en œuvre ces différentes directives et qu’elles les reconnaissent comme références d’un point de vue juridique, elles vont dans le sens du projet européen soutenu par les syndicats. Nous demandons ainsi que la Suisse adopte les dispositions importantes de ces directives: mise en œuvre de l’égalité salariale, introduction d’un congé parental ou obligation de respecter les CCT notamment. La Suisse doit ainsi adhérer aux mêmes normes de droit au travail et ainsi améliorer les droits des salariés et leurs conditions de travail.

La directive sur la citoyenneté était l’un des points de divergence de l’accord-cadre. En proposant de faciliter le regroupement familial, ainsi que l’accès des travailleurs européens aux assurances sociales et à l’aide sociale, vous donnez finalement raison à l’UE?

Cette directive apporte une amélioration du droit de séjour après un chômage involontaire, le regroupement familial pour les partenaires civils dans le cadre d’un partenariat enregistré et le maintien du droit de résidence des membres de la famille en cas de divorce. Il s’agit d'un approfondissement de la libre circulation des personnes, que nous soutenons avec conviction. Complété, le cas échéant, par des mesures d'accompagnement supplémentaires visant à combler les lacunes des faux indépendants.

Par contre, vous maintenez la ligne rouge: chaque Etat doit pouvoir conserver sa liberté de fixer des normes plus exigeantes en matière de travail et de salaires. Là, ça risque de ne pas trop plaire à l’UE…

Les forces sociales de l'UE, en particulier les syndicats, s’en réjouissent, car c’est le seul moyen pour éviter le nivellement par le bas de la protection des salaires. Il est important que chaque Etat conserve le droit, d’une part, de fixer des normes minimales plus exigeantes en matière de conditions de travail et de salaires applicables à tous les travailleurs, quelle que soit leur origine. D’autre part, des dispositifs de contrôle efficaces doivent être mis en place. Et dans le futur, il doit rester possible de prendre d’autres mesures de protection salariale sans l’intervention de la cour de justice de l’UE.

Vous proposez aussi d’augmenter les contributions de solidarité avec les pays de l’UE. Pourquoi devrions-nous payer pour d’autres ailleurs en Europe alors que nous dénombrons des centaines de milliers de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en Suisse?

Il est nécessaire que la Suisse envoie des signaux forts de coopération à l’UE. Mais une considération fondamentale est encore plus importante: plus les fractures sociales sont profondes au niveau international, plus il sera difficile de parvenir à l'égalité sociale ici en Suisse. Un énorme nombre de travailleurs précaires et bon marché provenant de l’UE n’est que dans l'intérêt du capital. En tant que syndicats suisses, nous avons un grand intérêt pour le développement social de l'Europe, notamment en ce qui concerne le contrôle du marché du travail.