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Grève Boillat: les enseignements d'une lutte très dure

Le coprésident d'Unia Renzo Ambrosetti et le leader de la grève Nicolas Wuillemin en ont débattu la semaine dernière à St-Imier.

«La lutte pour sauver la Boillat des griffes des spéculateurs a laissé de profondes blessures et d'importantes interrogations dans la population et surtout parmi les ouvriers et les militants. Il nous paraissait essentiel de tirer les conclusions de cette expérience et d'instaurer un dialogue permettant de mettre les choses au point.» C'est ainsi que Michel Némitz a ouvert le débat qu'il a organisé, chez lui, à l'Espace Noir de Saint-Imier le lundi 26 février, juste trop tard pour que notre journal puisse rendre compte, la même semaine, de ces discussions passionnantes.  

Face à une centaine de personnes, Renzo Ambrosetti, coprésident d'Unia et Nicolas Wuillemin, figure de proue du mouvement de grève. C'est lui qui ouvre les feux: «Pour l'instant, le bilan est négatif. Nos objectifs n'ont pas été atteints. L'entreprise continue d'être détruite par sa direction.» Renzo Ambrosetti nuance: «C'était un conflit très difficile dans lequel la partie patronale a tout fait pour empêcher une véritable négociation. Même l'association patronale n'a pas réussi à imposer à Swissmetal les règles du jeu de la convention collective.» Raison pour laquelle le syndicat a jugé que l'ouverture d'une médiation restait la seule voie possible. Le co-président d'Unia estime donc qu'à défaut d'avoir résolu le problème, la médiation a au moins débouché sur les recommandations de l'expert Jürg Müller, pour assurer l'avenir de la Boillat. «Ses conclusions rejoignent les constats qui avaient été faits par les travailleurs et les commissions d'entreprise. Et c'est sur cette base-là que nous devons travailler, même si c'est difficile. Pour essayer de sauvegarder cette entreprise et ses emplois, le plus possible d'emplois.»

Cette grève pouvait-elle être gagnée?

Nicolas Wuillemin: Nous nous sommes lancés dans notre mouvement avec la ferme conviction que nous pouvions gagner. La politique de Swissmetal ne suivait aucune logique industrielle, ce site était rentable, il dégageait du bénéfice, avait une perspective de développement aussi bien en personnel qu'en valeur ajoutée, tous les spécialistes le reconnaissaient. Mais nous nous sommes retrouvés en face d'une direction qui n'acceptait aucun compromis, aucune discussion. Qui a renié le protocole d'accord qu'elle avait signé.
Entre cette direction et les ouvriers, il y avait le syndicat que nous avons appelé pour nous soutenir. Le syndicat se trouvait dans une situation inédite en Suisse. C'était difficile pour lui. Sa culture de négociation lui laissait penser qu'en entrant en médiation, nous obtiendrions quelque chose. Cela n'a pas été le cas. Fallait-il aller plus loin? Je rappelle que c'est démocratiquement, dans une assemblée du personnel, que nous avons décidé de suspendre la grève. Nous ne savons donc pas ce qui se serait passé autrement.

Renzo Ambrosetti: J'avoue que nous avons sous-estimé la situation. J'ai vécu quatre grèves et chaque fois, le patron voulait tout de suite trouver des solutions. A la Boillat, c'était complètement différent. Nous avons assisté à quelque chose de jamais vu jusqu'à ce jour. Plus la grève durait, plus l'action montait. C'est le résultat d'une nouvelle espèce de management qui repose sur des stratégies uniquement financières, à l'opposé de la logique industrielle. C'est une situation pour laquelle nous n'avons pas encore de réponse claire. Nous devons y réfléchir, y travailler. Le milieu politique aussi. Faut-il attendre que le tissu industriel de ce pays soit détruit pour que le politique intervienne? Face à cette spéculation, il faut une réponse plus générale que celle du syndicat.
(A cet égard, Renzo Ambrosetti souligne que le canton de Berne a «disparu de ce conflit alors que dans d'autres affaires similaires, d'autres cantons se sont mobilisés.»)

La paix du travail doit-elle être remise en question?

Nicolas Wuillemin: Aussi longtemps qu'on pourra s'entendre pour trouver des compromis qui satisfassent les deux parties, nous pourrons résoudre pas mal de problèmes. La paix du travail est faite pour cela. Mais quand cela ne fonctionne pas, nous devrons nous essayer à des politiques de rupture, sans forcément dénoncer, dès le départ, la paix du travail. Dans les discussions avec le patronat actuellement, on a beau hurler, dénoncer sans relâche, c'est comme si nous parlions à un mur. C'est un rapport de force. Pour modifier les choses en profondeur, il faut donc un changement de majorité. En Suisse, cette majorité est à droite, pas du côté des ouvriers. En aucun cas, avec les moyens que nous avions, l'opinion majoritaire en Suisse pouvait accepter que l'on puisse gagner. Le syndicat et les ouvriers doivent donc faire front commun pour gagner l'opinion publique et pour créer des majorités. C'est dommage, je n'ai pas suffisamment entendu Unia tenter de faire comprendre à la population, surtout au-delà de nos frontières régionales, que les ouvriers avaient raison et que le syndicat se battrait, avec eux, jusqu'au bout.

Renzo Ambrosetti: Nous avons tenté de faire passer le message à toute la Suisse. Mais c'est vrai qu'en Suisse alémanique, ce mouvement était regardé avec une certaine distance. Nous avons organisé des conférences de presse pour tenter de faire comprendre ce qui se passait à Reconvilier. Apparemment, ce n'était pas suffisant. Les associations patronales ont suivi ce conflit avec beaucoup d'angoisse. Elles ont constamment attaqué Unia, surtout dans la presse alémanique.
La paix du travail, il faut s'y tenir, sauf si une partie la viole gravement. (...) Elle implique que les deux parties se comportent selon les critères prévus. Dans le cas de Swissmetal, les accords n'ont pas été respectés par la direction, raison pour laquelle les gens se sont mis en grève. Notre seule possibilité était donc de soutenir les travailleurs afin de trouver un moyen de se mettre à table pour trouver des solutions.
Ce que je ressens personnellement, connaissant Hellweg, c'est que si la grève s'était poursuivie, il aurait fermé la boîte. Des gens avec un tel cynisme sont capables de faire ça. Cela aurait été un drame. En tant que syndicaliste, ma responsabilité est de tenter de sauver le plus possible de places de travail.
Quant à l'expert, il était important qu'une personnalité de l'extérieur vienne confirmer ce que nous prétendions tous et que la direction ne voulait pas entendre. D'ailleurs, la direction de Swissmetal est sortie de la médiation parce qu'elle n'était pas d'accord avec les conclusions de l'expert.

Dans la salle, plusieurs intervenants parmi lesquels des ouvriers Boillat fustigent la paix du travail jugée trop favorable au patron et critiquent le syndicat, l'accusant d'avoir «baissé les bras» et «cédé aux pressions».

Renzo Ambrosetti: Nous n'avons pas cédé aux pressions, mais je peux comprendre cette frustration, que certains ne soient pas contents avec ce qu'a fait le syndicat. J'ai aussi une certaine frustration. Unia s'est beaucoup investi dans cette lutte. Pour à la fin, ne récolter que des avis négatifs. Mais, c'est aussi notre rôle de recevoir ces critiques qui nous aident à améliorer les choses. Mais, il ne faut pas que nous nous divisions.
Il y a aujourd'hui un nouveau type de capitalisme financier qui se moque des ressources de l'entreprise et dont le seul but est de faire de l'argent. Nous devons réfléchir aux moyens de le combattre. Je ne serais pas correct si je vous disais avoir une recette magique. Le débat doit continuer dans le syndicat, parmi les militants, pour voir quelles sont les solutions.
Comment faire mieux, la prochaine fois? Le débat reste ouvert. Je suis d'accord avec Nicolas: la solution repose sur des rapports de force. Une partie du patronat montre une attitude toujours plus arrogante et ne respecte plus le partenariat social. Les nouveaux managers extérieurs se foutent des règles du jeu. Dans ces cas-là, je suis d'accord d'arriver à une situation de rupture pour leur faire comprendre qu'ils doivent respecter le partenariat social.

Nicolas Wuillemin plaide pour un syndicat renforcé par sa base: «Il ne s'agit pas de démissionner du syndicat mais d'y rester et de se battre. C'est à nous de faire comprendre à nos dirigeants ce qu'on veut. Ils ont besoin de nous pour prendre les bonnes décisions dans les entreprises. Commençons par là et peut-être que leur attitude changera, car ils seront mieux habilités à nous comprendre.
Il faut revoir les rapports que nous entretenons avec ce patronat, arrogant, dur, qui ne veut rien entendre et qui utilise la force pour nous mettre genoux à terre. Aujourd'hui, le compromis est toujours en défaveur des ouvriers. Il faut absolument changer cela. Et si nos dirigeants ont encore des hésitations à le faire, c'est à nous d'être derrière eux pour les convaincre de le faire.
Il faut absolument trouver les moyens de se défendre. Mais tous ensemble. Si nous ne parvenons pas à une unité de lutte entre nous, alors c'est clair, nous sommes cuits, nous n'aurons même plus les yeux pour pleurer.

Propos résumés par Pierre Noverraz



Les pistes pour le proche avenir

Où en est-on aujourd'hui à la Boillat? S'agissant des personnes licenciées, Swissmetal a refusé tout plan social. Unia a donc engagé, il y a plusieurs mois, une procédure devant le Tribunal arbitral. Mais l'association patronale Swissmem fait de l'obstruction en temporisant sur la composition du tribunal. «Nous suivons aussi une piste pour des programmes de requalification professionnelle en collaboration avec le canton» a précisé André Daguet, de la direction d'Unia. Le syndicat et les commissions d'entreprise attendent de la direction de Swissmetal qu'elle applique les recommandations de l'expert. «Mais les réponses qu'elle nous donne ne sont pas encore satisfaisantes. Une assemblée du personnel sera prochainement organisée pour définir la suite des opérations.»

PN