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Formation des maçons menacée

Sans convention, les travailleurs et syndicats seraient exclus de la gestion paritaire de la formation professionnelle

L'organisation et le financement de la formation professionnelle du secteur principal de la construction sont aujourd'hui gérés paritairement par le patronat et les syndicats, à la satisfaction générale. Mais en remettant en cause la convention, la Société suisse des entrepreneurs met ce partenariat en péril. Faire cavalier seul en écartant les travailleurs, c'est se priver de compétences majeures, c'est affaiblir la formation, la compétitivité du métier et son attractivité.

On l'a dit et répété: le vide conventionnel remet en cause les droits fondamentaux acquis par les travailleurs tels les salaires minimaux, le 13e mois, les vacances. Il ouvre la porte au dumping salarial, à la dérégulation, à la concurrence déloyale, à tous les abus, toutes les dérives. Mais il est un autre domaine dans lequel une rupture de la Convention nationale du secteur principal de la construction aurait des conséquences très dommageables: celui de la formation professionnelle. En effet, l'organisation de la formation professionnelle est gérée paritairement, depuis des lustres, par le patronat et les syndicats. Porté par sa volonté affichée de casser du syndicat, le président central de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) Werner Messmer menace, dans la foulée, de faire cavalier seul sur le terrain de la formation.

L'exemple interjurassien
Quels en sont les tenants et les aboutissants? Pour le comprendre concrètement, nous avons pris l'exemple de la région jurassienne. Réunis dans une seule entité pour cet objet, le Jura et le Jura bernois sont dotés de deux commissions paritaires, l'une exécutive, l'autre portant sur la surveillance. Le financement de la formation professionnelle est assuré par des prélèvements sur les salaires à hauteur de 0,4% environ, dans le cadre des cotisations au «Parifonds» et au «Jurafonds», qui gèrent l'ensemble des tâches paritaires.
«C'est un système pour lequel tout le monde s'est investi à fond, y compris la partie patronale», explique Jean-Claude Probst, responsable de ce dossier pour Unia Transjurane. «Il a débouché sur une amélioration des structures et des prestations. Il y a eu notamment la construction d'une nouvelle halle des maçons (centre de formation des apprentis) et le rapatriement dans la région des apprentis constructeurs de route qui ne sont désormais plus obligés de faire des trajets dépassant parfois 100 km pour aller se former à Colombier dans le canton de Neuchâtel». Résultat? «Nous sommes aujourd'hui, en proportion, la région de Suisse romande qui forme le plus de maçons et de constructeurs de route.»
«Nous n'accepterons jamais que les travailleurs doivent continuer à cotiser pour une formation sur laquelle ils n'auraient plus rien à dire», avertit Jean-Claude Probst. Paradoxe, les patrons de la région sont dans leur grande majorité pleinement satisfaits de la formule paritaire. «Nous avons toujours collaboré dans un esprit constructif, confirme le président de la SSE du Jura bernois, Flavio Torti. On ne peut donc pas prendre le risque de tuer le partenariat dans un domaine aussi important pour la profession.»

Un mauvais signal
La formation est un pilier essentiel du secteur de la construction. «C'est un sanctuaire qu'il faut à tout prix préserver, un domaine dans lequel les travailleurs et les employeurs doivent impérativement travailler ensemble», commente Jacques Robert, responsable romand du secteur de la construction à Unia. «S'attaquer à la formation revient à fragiliser toute la profession, à baisser le niveau de compétences, à péjorer la qualité, donc à s'exposer davantage à la concurrence déloyale. C'est aussi un très mauvais signal pour l'attractivité des métiers de la construction.» Même constat chez Jean Christophe Schwaab, collaborateur de l'Union syndicale suisse et ancien responsable de la jeunesse Unia. «Il y a eu une formidable campagne des syndicats et du patronat pour rendre la profession plus attractive auprès des jeunes. Elle a porté ses fruits. Mais tout cela risque d'être réduit à néant. Si la formation perdait son caractère paritaire, les travailleurs en seraient les premières victimes car une bonne formation est à la fois un atout pour les salaires et un rempart contre le dumping.» Jean-Claude Probst précise qu'une bonne formation professionnelle «apporte une valeur ajoutée qui s'avère décisive pour la stabilité et la pérennité des places de travail car les emplois peu qualifiés sont souvent très précaires». Tuer la convention et affaiblir la formation, c'est ouvrir un boulevard aux entreprises étrangères. «Si aucune barrière conventionnelle ne les retient, elles pourront soumissionner à des prix impossibles à concurrencer et emporteront toutes les adjudications», confiait dans Le Nouvelliste du 24 septembre dernier Jean-Marc Furrer, président de l'Association valaisanne des entrepreneurs.
En faisant peser des menaces sur la formation, le patron des patrons de la construction, Werner Messmer, montre qu'il préfère promouvoir la jungle de l'ultralibéralisme dominé par la finance plutôt qu'une branche dont l'avenir ne peut reposer que sur un partenariat social bien compris.

Pierre Noverraz