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Face à l’urgence, les militants écologistes durcissent le ton

Un jeune homme donne de la voix durant le défilé.
© Neil Labrador

Partis de la gare de Lausanne, les jeunes ont rejoint le bord du lac. Et défilé sur un premier rond-point, à Bellerive. Départ ensuite vers Vidy, où le cortège s’est scindé, une partie poursuivant en direction de la Maladière. La police a stoppé le mouvement à quelques mètres de l’endroit visé par Extinction Rebellion. Assis, les manifestants ont échangé, discuté, jusqu’à ce qu’ils soient délogés par les agents.

Déçue par la politique institutionnelle, la Grève du climat Vaud se tourne vers la désobéissance civile non-violente et élargit le mouvement en collaborant avec la Grève féministe et Extinction Rebellion. Récit d’un blocage

«Bienvenue à cette journée forte en événements.» C’est ainsi que Micaël Metry, de l’action unitaire «Place à l’Alternative » (qui regroupe plusieurs collectifs de la région lausannoise dont le Jardin aux 1000 mains et Chailly 2030) donne le ton de la journée du vendredi 27 septembre, veille de la grande manifestation nationale pour le climat. A Lausanne, sur la colline du parc de Milan, vue sur le lac, devant quelques journalistes, des membres de la Grève du climat, d’Extinction Rebellion et de la Grève féministe sont présents pour expliquer les buts de l’action de blocage prévu sur trois ponts après la manifestation des étudiants. Leur demande: la neutralité carbone d’ici 2025, le désinvestissement des énergies fossiles, la mise sur pied d’assemblées citoyennes.

«Nous sommes autant de petites graines qui bloquons les rouages d’un système mortel. Des choix que nous opérons maintenant dépend la viabilité des espèces, y compris humaines. Face à la sixième extinction de masse, la politique n’est pas à la hauteur. Nous luttons pour un monde post-énergie fossile, plus résilient, plus égalitaire, pour un futur accueillant», explique Micaël Metry, géographe et écopsychologue.

Convergence des luttes

Cette journée marque une convergence des luttes revendiquée entre les mouvements. Un message clair aux politiques suisses qui se doivent d’agir face à l’urgence de la situation. «Comment continuer à supporter les rentes AVS inférieures lorsqu’on est femme tout en sachant que nos cotisations du 2e pilier sont réinvesties ensuite dans des entreprises redoutables et des énergies fossiles? Comment supporter l’activité des multinationales qui ne cessent de détériorer l’environnement et la planète, dont une importante part a son siège en Suisse? Comment ne pas atteindre le plus rapidement possible la neutralité carbone qui est tant nécessaire?», questionnent-ils.

Héloïse Crisinel de la Grève féministe souligne l’importance de la justice sociale, des alternatives justes et inclusives, de la baisse du temps de travail pour une diminution de la productivité. Maximilien d’Extinction Rebellion (XR) renvoie quant à lui à la Constitution fédérale citant les articles 2 et 8 qui stipulent en substance que la Confédération doit favoriser «la prospérité commune, le développement durable, la cohésion interne et la diversité culturelle du pays» et s’engager «en faveur de la conservation durable des ressources naturelles et en faveur d'un ordre international juste et pacifique», ainsi que garantir la non-discrimination, et l’égalité entre la femme et l’homme. «Dès lors nos institutions légales sont-elles légitimes?», lâche le militant. «Pour sauver un pan de l’économie, pour sa réputation, le Conseil fédéral a sorti 69 milliards de francs pour UBS. Pourquoi est-ce si difficile de sauver l’environnement?»

Manifestation détournée

A quelques pas de là, les étudiants de la Grève du climat se rassemblent peu à peu devant la gare. Ils seront plus de 4000 à descendre jusqu’au bord du lac. Arrivé près du Théâtre de Vidy, le cortège se scinde. Une partie continue direction rond-point de la Maladière, véritable destination du blocage. Mais très vite une rangée de policiers les arrête. Une foule intergénérationnelle s’assied sur la route. Elliot, 12 ans, ne semble pas du tout impressionné. «Ils devraient nous laisser passer. C’est pour une bonne cause», commente-t-il calmement, à deux pas du cordon policier. «Ils doivent comprendre que c’est pour eux, pas contre eux.» Lui et deux de ses camarades expliquent, avec une lucidité effarante, être là «pour réveiller le système politique», «éviter la fin de l’humanité», «pour un bon futur». «Déjà beaucoup trop d’animaux ont disparu», ajoute Esteban. «Et je n’aimerais pas, quand j’aurai 80 ans, qu’il fasse 50 degrés!» Tous trois partagent leur incompréhension face au peu de participation dans leur classe.

Elliot demande à un policier leurs raisons de bloquer la manifestation. «Pour éviter qu’il y ait encore plus de perturbation du trafic», relève l’agent, visiblement touché par cet échange.

Leçon d’organisation horizontale

Au micro, Anaïs, porte-parole du jour pour XR (les rôles changent d’une action à l’autre, le mouvement étant entièrement horizontal) rappelle les revendications des manifestants. S’ensuit une petite démonstration de prise de décision par consensus. Une scène surréaliste, parmi d’autres. La police demande aux personnes présentes de laisser partir leur fourgon coincé au milieu du rassemblement. Pour que tout le monde entende, la demande est répétée à haute voix, en chœur, le sourire aux lèvres. «Le fourgon contre le rond-point» tentent de négocier les manifestants, sans succès, avant de le laisser passer. Le médiateur du jour de XR, Guillaume, rappelle le fait que les policiers font leur travail. Il indique aussi la présence des «anges gardiens» (les brassards indiquent le rôle de chacun) prêt à ravitailler ceux qui ont faim ou soif, voire écouter ceux qui ont besoin de parler. Une organisation exemplaire à laquelle s’ajoute la présence d’observateurs légaux, avocats indépendants bénévoles, comme le vendredi précédent lors de l’action de blocage du pont Bessières, afin de surveiller la proportionnalité et la légalité des mesures, d’un côté comme de l’autre.

Parmi les quelques centaines de manifestants présents à l’action, les anciens sont présents en nombre, dont certains sont membres de l’association Grands-parents pour le climat, telle Isabelle Veillon: «Il faut faire quelque chose, illico presto! Nous vivons dans une dictature de l’économie! Les changements nécessaires et urgents sont bloqués par les riches!» Et de désigner du doigt une pancarte, symbole de l’urgence, sur laquelle un adulte demande: «Et toi petit, tu veux être quoi plus tard?» Et l’enfant de répondre: «Vivant.»

Des faits scientifiques

C’est au tour du philosophe et professeur Dominique Bourg de prendre la parole pour rappeler les conséquences désastreuses d’une augmentation des températures au-dessus de 1,5 degré, en insistant sur l’importance de défendre le bien public. Aymone Kaenzig, militante de XR, psychomotricienne de métier, souligne quant à elle n’avoir jamais milité avant. «Mais là, on est en train de détruire notre seule planète. La semaine passée, des scientifiques ont annoncé que 7 degrés de réchauffement sont à prévoir si on ne fait rien. En plus, il y a l’effet des boucles de rétroaction. Si la glace fond, le rayonnement solaire augmente, et la glace fond d’autant plus. Même phénomène avec le dégel du permafrost ou l’Amazonie en feu… Ca peut aller beaucoup plus vite qu’on ne pense. L’Inde a déjà affronté de terribles sécheresses. Des paysans migrent ou se suicident.» Silence. Aymone Kaenzig reprend son souffle, ravale ses larmes. Elle est applaudie par la foule en signe d’empathie et d’encouragement. «Avant on était écolo parce qu’on aimait les animaux, aujourd’hui on est écolo pour notre survie. On bloque pour avoir un poids, pour être entendu, pas par plaisir. On est là parce qu’on a peur, on est triste, on est en colère. On est là pour que les choses changent.»

Une grève générale en 2020

La sommation de la police intervient peu après: la manifestation doit se dissoudre, sinon les agents effectueront des interpellations et des arrestations. L’heure de la conférence de presse est avancée, alors que le cordon de police avance lui aussi. Layla Outemzabet, de la Grève du climat, rappelle l’Acte 1 du mouvement: les enjeux climatiques sont sur le devant de la scène grâce à la mobilisation des étudiants, le mouvement a su se structurer à tous les niveaux, du local à l’international. «En participant au Plan climat Vaud, on a vu les limites des politiques, sous influence des lobbies économiques. Au niveau fédéral, le débat sur l’initiative pour des multinationales responsables a été encore repoussé cette semaine. On se fout de nous! Le gouvernement vaudois ne comprend pas les enjeux et ne s’informe pas. Sinon il serait ici!» Son camarade de lutte, Steven Tamburini, assène:«Pour ces raisons et beaucoup d’autres, nous entrons dans l’Acte 2. Soit une remobilisation sur nos lieux de formation, mais aussi en élargissant la lutte au monde du travail, avec la Grève féministe et si possible les syndicats. Nous multiplierons les actions des plus institutionnelles et habituelles aux plus radicales, toujours pacifiquement, jusqu’à une grève générale économique le 15 mai 2020, en Suisse et à l’international.»

Légitimité de la désobéissance

Sous un soleil de plomb, la police demande à nouveau la dissolution de la manifestation. Marine Ehemann, de la Grève féministe, reprend la parole pour dénoncer la surproduction, le gaspillage insensé, les inégalités. «Plus nous échangeons et plus nous nous rendons compte de l’imbrication de nos luttes!» La conclusion revient au scientifique et membre des Grands-parents pour le climat, Jacques Dubochet: «Où est la légalité? La légalité est de sauver l’avenir de nos enfants. Nous avons la nécessité d’agir maintenant!»

«Quand le contrat social est rompu, face aux conséquences létales qui nous attendent, la désobéissance civile est légitime», ajoute plus tard, en aparté Guillaume, membre de XR.

La police avance et commence à déplacer des manifestants, pacifiques mais refusant de se lever. Des slogans fusent: «Non violent, non violent!», «Policiers, doucement, on fait ça pour vos enfants!» Suivis par des moments de silence de mort. Frappants. Créatives et résolument pacifiques, les méthodes d’action et de sensibilisation sont larges. Guillaume souligne aussi «la culture de bienveillance» du mouvement, y compris envers les policiers qui font leur travail, mais sont aussi des citoyens et des parents.

Restent 22 militants aux bras et jambes emmêlés, une «tortue» géante. Une technique pour ne pas être délogé trop facilement. Aux cris de «Solidarité avec les tortues du monde entier!», les autres manifestants, debout, sont repoussés peu à peu. Finalement une quarantaine de personnes seront emmenées au poste pour quelques heures. Un policier relève en aparté: «Vous savez, je suis d’accord avec leurs idées.»

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