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Dose de cheval

Une personne en fauteuil roulant face à un cheval.
© Alexis Voelin

Daniele remercie le cheval en lui offrant des carottes ou du pain sec, c’est le rituel après chaque séance de thérapie.

Passionnée par les chevaux et le corps humain depuis toujours, Myriam Dutruy est physiothérapeute spécialisée en hippothérapie-K. Les séances se passent à cheval. Le pas de l’animal reproduit les mouvements de la marche sur le bassin des patients

En ce mois de janvier, sur une route de Luins (VD), Myriam Dutruy avance, perchée sur son monumental cheval et coiffée d’un chapeau de Mère Noël. Pour donner le sourire aux gens, dit-elle. Myriam est hors normes, c’est ce que je vais découvrir durant les dix jours que je m’apprête à passer avec elle. Sur les papiers administratifs, par exemple, se trouve rarement la case qui correspond à son schéma familial de cinq enfants. Elle sait aussi que son gabarit n’est pas banal. Cent kilos et 1,83 mètre. Elle dit souvent que les différences, la diversité, c’est précieux.

Myriam Dutruy et un cheval.
«Mon travail, c’est ma vie. On appelle ça travail parce que ça m’apporte de l’argent, mais sans doute que je le ferais aussi si ça ne me rapportait rien.» © Alexis Voelin

 

Le premier jour passé chez elle est un lundi, le travail commence à 8 heures. Me voici dans la ferme encore baignée d’obscurité. Autour: 50 hectares de terrain. Les pommiers, les cultures de blé ou de soja de semence cohabitent avec une vingtaine de chevaux en pension. Myriam et son mari, Olivier, sont chargés par leurs propriétaires de s’en occuper. La ferme remplit une grande partie de ses journées, mais Myriam n’est pas paysanne. Elle est physiothérapeute. Je la retrouve ce matin derrière les écuries. Au-dessus de la porte, un écriteau: «Centre d’hippothérapie-K ». Le voyage commence par ce mot: hippothérapie. Le K permet de la distinguer des autres thérapies à cheval et fait référence à Ursula Künzle, une Suissesse qui, dans les années 1960, a développé et défini cette thérapie.

A 9 heures arrive Michel. A peine descendu de voiture, il s’avance vers Helena, la jument qu’il est content de retrouver. La majorité des patients de Myriam souffrent de sclérose en plaques, mais lui fait exception. A 22 ans, un éclair l’a foudroyé pendant son service militaire. Capable de conduire, il marche péniblement. Myriam le soutient jusqu’à une rampe de béton qui le conduit à une sorte de quai où elle pourra l’aider à s’asseoir sur le dos de l’animal. C’est le transfert. Puis, elle s’assure qu’il est bien aligné sur la selle. Devant, Noémie, la conductrice, qui tient la longe, va guider la jument pour que son pas soit le plus constant possible.

Une patiente monte sur le cheval avec l'aide des soignantes.
Le cheval parcourt 2,8 kilomètres à chaque séance. Pour les patients, monter sur son dos n’est pas toujours évident. Cette action s’appelle le transfert. © Alexis Voelin

 

Un mouvement régulier

Cataclop, cataclop. On se dirige vers le bas du domaine où se trouve le tracé utilisé pour la thérapie car, pour que le mouvement soit le plus régulier possible, il faut une trajectoire rectiligne. On arrive sur le chemin. Une séance dure une demi-heure et consiste en deux allers-retours sur ce tronçon de 500 mètres. Myriam va marcher à côté de la jument, la main sur le bas du dos de Michel, cette main qui assure la sécurité et accompagne les mouvements de son bassin. Lors du premier aller-retour, Michel semble passif. Pourtant les mouvements de la jument lorsqu’elle avance reproduisent sur lui une sensation d’équilibre semblable à celle de la marche humaine. Cet effet peut soulager les douleurs, réguler les tensions musculaires. Durant le second aller-retour, Myriam lui indique des exercices. Lever un bras, une jambe ou se pencher en avant. Pour se mettre à la place de Michel, il faut s’imaginer en train de prendre des postures tout en marchant. Expérience difficile, j’ai essayé. D’autant plus difficile pour la plupart des patients de Myriam qui n’ont plus qu’un ou deux blocs de mobilité dans le haut du corps sur les trois qui permettent de s’équilibrer lors de la marche.

Myriam Dutruy prépare le repas des chevaux.
Fin de matinée: après l’entraînement d’attelage, Myriam prépare un mélange qui sera le repas d’Helena. © Alexis Voelin

 

Deux autres patientes se succèdent et, vers midi, après avoir nourri la jument, Myriam quitte le cadre du travail. Direction la cuisine où l’attend le repas préparé par Olivier. Vie privée et vie professionnelle semblent totalement imbriquées. Pourtant, dans l’esprit de Myriam les choses sont bien séparées, sauf pour les chiens et les chevaux qui la suivent partout, en vacances, à la maison, au travail. «Mes bêtes font partie de moi, elles sont dans le secret professionnel, dans le plaisir, affirme-t-elle. Ce sont comme mes ombres, on a un partenariat, une complicité. Pour les chevaux, je suis l’animal alpha, la cheffe du troupeau. Je représente la protection, la sécurité, la nourriture. Mais je suis exigeante dans le travail. Et ils doivent faire attention à moi. Pour ça, je dois leur donner des limites claires.»

Helena et Zyklon sont les deux chevaux qui travaillent avec elle, ce sont des franches-montagnes, race du canton du Jura adaptée à l’hippothérapie-K. Et il y a aussi le caractère individuel du cheval qui doit être à l’écoute, volontaire, serein. A partir de là, il faut l’éduquer, entraîner l’animal à avancer avec une cadence tranquille, à ne pas avoir de soubresauts. Le but principal est celui-ci: le cheval ne doit réagir qu’aux ordres clairs, non aux indications imprécises qui correspondent aux déséquilibres des patients. Myriam a formé Helena et Zyklon en les montant elle-même, puis avec l’aide de son mari ou de ses enfants, comme cavaliers cobayes. Un cheval reste une bête impulsive. «C’est un animal de fuite, c’est donc l’inconnu à chaque fois, dit Myriam. Il faut instaurer une relation de confiance mutuelle. Mais le risque zéro n’existe pas. Le cheval peut avoir un sursaut. Les patients le savent.» Même si l’éducation limite les surprises, ceux-ci ont la possibilité de se sécuriser avec, sur leur tête, une bombe, la casquette renforcée des cavaliers.

Un patient s'appuie contre un mur à la descente du cheval.
Michel prend appui sur le mur pour garder l’équilibre. Il vient de terminer sa séance à cheval. © Alexis Voelin

 

Mécanicienne du corps

La passion de Myriam pour la physiothérapie prend racine très loin, lorsqu’elle avait 10 ans. Une poussée de croissance l’amena à consulter un docteur en ostéopathie et physiothérapeute. Au fil des séances, elle le questionna et les réponses la passionnèrent. Ce qui l’aimantait, c’était de connaître le fonctionnement du corps humain. Après une expérience de jeune fille au pair dans la banlieue de Chicago, elle intégra l’Ecole de physiothérapie à Constance, en Allemagne, pour trois ans. Elle enchaîna ensuite différents postes en Suisse et se spécialisa: la neurologie, la sclérose en plaques, l’analyse de mouvement et, enfin, l’hippothérapie-K. En 2008, elle se lança comme indépendante en ouvrant son centre à Luins. «C’est le plus beau métier du monde, dit-elle aujourd’hui, du haut de ses 39 ans. Je dois décortiquer toute cette mécanique humaine et, en même temps, je prends ce brin de sauvage: le cheval. Donc j’allie l’humain et la nature pour aider les gens. On est des mécaniciennes du corps humain, nous, les physiothérapeutes. Et chaque personne est unique. Donc il faut toujours se remettre en question, chercher dans ses ressources pour aider. C’est un saut dans l’inconnu à chaque fois.»

Revenons au centre d’hippothérapie-K. C’est mercredi, on déneige le sol. Accompagné par un ami, arrive Daniele, qui se déplace en fauteuil roulant. Il s’installe à la table de jardin devant la sellerie et fume une cigarette en compagnie de Serge, le patient de la séance précédente. Noémie et Myriam servent boissons chaudes, jus de pomme, biscuits. Pour Myriam, cette convivialité est essentielle pour que les patients se sentent moins seuls. Il est temps maintenant pour Daniele de partir en thérapie. Myriam l’aide à monter à cheval depuis la rampe. Pendant ce temps, tout près, son ami s’amuse. Ce précieux copain, qui le conduit chaque semaine à sa séance, est en train de lancer des boules de neige aux chiens. Je vois dans cette scène l’illustration de l’état d’esprit de Myriam: lutter contre l’abattement, chercher la joie même quand c’est difficile. Myriam a cette force, et le talent de la transmettre.

Cheval au galop dans la neige.
La neige qui tombe excite les chevaux qui parcourent au galop l’espace de leur enclos. © Alexis Voelin

ICI BAZAR

Reportage effectué du 11 au 22 janvier 2021 à Luins (VD). Cet article est la version condensée de celui de 32 pages, réalisé pour Ici Bazar, revue qui explore un autre monde du travail, plus humain.

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