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Désobéir pour la survie de l’humanité

Portrait de Colette Bugnon, en tenue rouge, au milieu d'un champ.
© Thierry Porchet

Extinction Rebellion a prévu des actions de désobéissance civile pacifiques à Zurich dès le 3 octobre. Quatre militants témoignent de leur engagement

En juin dernier, Extinction Rebellion (XR) lançait un ultimatum au Conseil fédéral. Il lui demandait dans une lettre de «dire la vérité sur la crise climatique et écologique, et d’agir maintenant pour arrêter la destruction des écosystèmes et décarboniser la société, en suivant les conseils d’une Assemblée citoyenne» pour atteindre la neutralité carbone en 2025. N’ayant reçu aucune réponse, XR appelle donc la population à la désobéissance civile à Zurich dès le 3 octobre. «A partir de ce jour, nous nous assiérons sur la route, dans l’amour et la solidarité, et nous refuserons de bouger, prêts à être arrêtés si nécessaire, jusqu’à ce que notre gouvernement traite cette crise existentielle comme ce qu’elle est», explique XR sur son site.

Parallèlement, une série de procès de plus de 200 personnes, arrêtées lors d’actions de désobéissance civile à Lausanne, a commencé vendredi dernier. Un morcellement vu par les militants comme une intimidation et le souhait du Tribunal d’éviter une médiatisation. Et qui pose des questions: pour de mêmes faits, les juges donneront-ils des décisions différentes? Ou vont-ils tous se référer au jugement du premier procès?

En marge de ces événements, quatre activistes de XR évoquent leur engagement.

Olivier Raccaud, 65 ans, médecin

Portrait d'Olivier Raccaud.
© Thierry Porchet

 

«Ma prise de conscience a eu lieu lors du confinement en 2020. J’ai réalisé que le problème écologique était plus grave que je ne pensais et qu’on allait dans le mur. De fil en aiguille, j’ai compris que la politique traditionnelle est un échec. Des amis du monde médical m’ont motivé à les rejoindre à Doctors for XR. Après l’action devant l’OMS où son directeur a déclaré qu’il était des nôtres, je pensais que ça allait bouger, enfin! Et puis, non! L’électroencéphalogramme des politiques est resté plat. Je pensais que la pandémie allait réveiller les consciences et, au contraire, je constate que les gens ont d’autres chats à fouetter et ont envie de consommer encore davantage. La pandémie a coupé la chique aux mouvements climatiques. Avec l’occupation de Zurich, décidée bien avant le dernier rapport du GIEC, on essaie de réactiver le mouvement. C’est une étape avant la COP 26. Si tous les partis prévoient des mesures climatiques, le changement doit être tellement énorme qu’il n’y a pas un seul politique assez courageux pour prendre les mesures qui s’imposent, sous peine d’être dégommé. D’où le besoin d’assemblées citoyennes.

Je vois autour de moi beaucoup d’éco-anxiété. Il y a des activistes qui se crament. Heureusement, XR intègre une dimension régénérative, très bienveillante. Chacun fait ce qu’il peut – ce qui change du système néo-libéral, et médical. J’irai à Zurich, mais j’ai peur qu’on soit encore trop englué dans cette pandémie pour que l’action soit à la hauteur. Un éventuel casier judiciaire m’importe peu. Ma carrière professionnelle est derrière moi, mais pour un jeune qui travaille dans un service avec un médecin type libéral-radical comme chef, cela peut être très mal vu. C’est moi qui ai entraîné ma fille dans XR. Elle a 32 ans, et ça fait vachement mal de savoir qu’elle hésite à avoir des enfants dans ce contexte de catastrophe climatique. J’en suis aussi responsable. Mais j’ai choisi de faire le pari de la vie.»


Colette Bugnon, 56 ans, enseignante à l’école enfantine et à la HEP

Portrait de Colette Bugnon.
© Thierry Porchet

 

«J’ai rejoint XR grâce à ma fille. C’est mon devoir de parent et d’enseignante d’assurer à nos enfants un monde viable. Les actes individuels ne sont plus suffisants. Je ne suis pas défaitiste de nature, mais le contrat social a failli. J’aimerais tellement que la Suisse montre la voie. La fin des chaudières à mazout décidé en Landsgemeinde à Glaris est une bonne surprise, mais cela ne suffit pas, bien sûr. Toutes les méthodes légales ont été utilisées sans succès. Face à l’urgence, il ne nous reste plus qu’à nous rebeller ou à subir sans broncher des dommages qui mettront en péril la vie sur Terre. Malheureusement, le Covid a freiné l’engagement des activistes, alors que la pandémie tue bien moins que le réchauffement climatique. J’ai participé au Block Friday à Fribourg. On a cousu ces costumes rouges pour représenter le sang versé par les êtres vivants, la perte de la biodiversité, l’extinction des espèces... Cette action avait pour but de dénoncer l’esclavagisme derrière la surproduction. Et nous voilà sur le banc des accusés, en procès! A Zurich, nous espérons que de nombreuses familles nous rejoignent. Nous nous poserons pacifiquement, dans l’idée d’un siège le plus long possible, jusqu’à ce que le Conseil fédéral réponde à nos revendications. C’est une démarche pour la vie et la justice sociale. S’il y avait une vraie prise de conscience politique – comme pour le Covid – nous pourrions agir rapidement pour notre bien et celui de tous les peuples des pays émergents qui ne vont pas pouvoir vivre et cultiver sous 50 °C. J’ai peur que les réfugiés climatiques soient mal accueillis, alors que la Suisse avec sa place financière qui investit dans les énergies fossiles a aussi les mains sales. Mon rêve pour 2030? Une vie simple et suffisante pour chacune et chacun de ce monde.»


Arno Reymondin, 24 ans, étudiant à la Haute Ecole pédagogique (HEP)

Portrait d'Arno Reymondin.
© Thierry Porchet

 

«J’ai eu le déclic pendant l’école de recrues en 2019. J’ai entendu parler de collapsologie et j’ai lu un livre de Dominique Bourg, puis de Pablo Servigne, et d’autres. J’ai engrangé beaucoup de nouvelles idées, mais sans savoir qu’en faire. J’avais besoin de trouver des solutions. J’étais alors, moralement, dans un sale état. Lors d’une critical mass, j’ai rejoint XR. Au sein du mouvement, il y a une culture régénératrice pour soi, les autres, la planète. On prend le temps de parler et d’écouter. Cela permet de limiter l’éco-anxiété. A Zurich, je suis prêt à me faire arrêter, parce que je n’ai plus rien à perdre. J’ai souvent été, lors des blocages, dans le rôle de “gardien de la paix”. Dans le but d’apaiser les éventuelles tensions, plus ou moins fortes, selon le lieu et le moment. C’est important de pouvoir informer les gens qui généralement comprennent nos revendications, mais pensent que des moyens légaux existent. Moi aussi, je vote, je signe des référendums, etc. Mais ce processus, s’il est bon pour certains sujets, ne l’est pas pour le climat. Il est trop lent. Je milite par nécessité. Ce n’est ni mon métier ni mon hobby, et je préférerais avoir du temps pour m’amuser avec mes potes. Je ne suis pas hyper optimiste. Depuis quarante ans, on parle de développement durable. Ce qui est un non-sens, puisque la croissance est contraire à la durabilité. Avec une loi par-ci, par-là, avec la promotion des voitures électriques qui est en fait du greenwashing, ce ne sont que des sparadraps sur une hémorragie. Les rapports du GIEC sont de plus en plus catastrophiques. L'Amazonie deviendra peu à peu, sur plusieurs décennies, une savane. Il sera trop tard pour la sauver, ainsi que toutes les personnes et êtres vivants qui en font partie intégrante.»