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«Des fraises oui, mais avec des droits!»

Pour récolter fraises et fruits rouges dans la province de Huelva en Espagne, le patronat va faire son marché au Maroc avec l’appui du gouvernement. Fin décembre 2017, le ministère du travail marocain recevait une demande de l’ambassade espagnole pour recruter 11000 ouvrières, en plus des 5000 ayant déjà exercé sur les terres andalouses. Ces saisonnières sont généralement engagées pour trois mois, au printemps. Un recrutement étatisé depuis 2005, alors que les exactions sont légions dans les champs de fraises. Un recrutement effectué sur des critères précis: les femmes doivent être en bonne condition physique, âgées de 18 à 45 ans et mères d’enfants de moins de 14 ans. Histoire de leur ôter toute envie de rester de l’autre côté de la Méditerranée.

Ces esclaves du 21esiècle travaillent dans des conditions terribles dans les plantations andalouses. Censées être payées 37 euros par jour, transport et logement compris, certaines ne touchent qu’une partie de leur salaire, voire rien du tout. A l’extrême dureté de la tâche, s’ajoutent pressions psychologiques et harcèlement sexuel. Depuis fin mai, une dizaine d’ouvrières marocaines ont porté plainte pour harcèlement, et certaines pour viols ou tentatives de viol. Ces pratiques ne sont pas nouvelles, rappelle le SAT, Syndicat andalou des travailleurs. En 2014, la justice provinciale de Huelva a condamné trois entrepreneurs pour des délits contre l’intégrité morale de 25 saisonnières. L’un d’eux a été condamné pour harcèlement sexuel à l’encontre de trois travailleuses. L’instruction a relevé des journées de travail de 10 heures, sans jour de congé, des insultes constantes, l’interdiction de boire de l’eau, de quitter son poste de travail, d’avoir des contacts avec des personnes extérieures, ou encore des sollicitations sexuelles en échange d’avantages économiques.

Face aux nouvelles plaintes et à tous les abus ne sortant pas au grand jour, faute d’accès à la justice ou par crainte, plusieurs centaines de personnes ont manifesté le 17 juin dans les rues de Huelva à l’appel des femmes du SAT et d’autres syndicats et associations féministes. «Des fraises oui, mais avec des droits», ont scandé les manifestants solidaires, exigeant des conventions collectives justes, des salaires dignes et le respect des travailleuses temporaires. Du côté des gouvernements qui organisent ce marché aux esclaves, on minimise. En Espagne, le Ministère de la Justice et de l’Intérieur d’Andalousie a annoncé la mise en place, avec les patrons de la fraise, d’un «protocole» visant à éviter les abus. Côté marocain, le ministre de l’Emploi estime que les actes dénoncés par ses compatriotes «restent très isolés», et que «ce genre d’abus n’épargne pas des ouvrières agricoles de différentes nationalités». A l’heure où l’Union européenne cherche à colmater ses frontières, et repousse à la mer des femmes, des enfants, des hommes, le gouvernement espagnol offre des visas pour «accueillir» une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. L’hypocrisie n’a pas de frontière…