De l'air frais d'Asie pour le Forum social mondial
Une nouvelle édition de la manifestation altermondialiste s’est tenue en février au Népal. Après cette rencontre, un appel à une première conférence internationale antifasciste a été lancé. Retour sur cet important forum avec Carminda Mac Lorin, membre de son conseil international
Katmandou, au Népal, est devenu la capitale internationale de l'altermondialisme en février dernier, en accueillant une nouvelle édition du Forum social mondial (FSM). Depuis, des personnalités progressistes ont lancé la nécessité de renforcer la lutte contre la montée mondiale de l'extrême droite. Cette idée a conduit à la convocation de la première conférence internationale antifasciste à Porto Alegre, au Brésil, en mai prochain.
Le FSM a été un moment important de relance du mouvement altermondialiste. Selon les organisateurs, 50000 personnes – dont au moins 15000 lors de la marche d'ouverture – de 98 pays et 1400 organisations y ont participé. Il faut remonter à mars 2018 pour trouver un forum aussi bien fréquenté. Entre les deux, l'édition post-pandémie 2022 au Mexique, avec une faible participation, avait marqué un reflux de cet espace altermondialiste né en janvier 2001 à Porto Alegre, au Brésil.
A Katmandou, plus de 400 activités ont été enregistrées autour de treize thèmes différents, dont, entre autres, l'économie, la migration, la discrimination, le genre, la culture, la guerre et la paix, le changement climatique, les groupes indigènes, les droits humains, les mouvements sociaux... Plus de 60 déclarations d'organisations du monde entier ont été enregistrées sur la place de la Déclaration, s'engageant à continuer à œuvrer pour un monde plus juste et plus équitable.
La veille de l'ouverture du FSM, António Guterres, secrétaire général des Nations Unies, a envoyé un message de salutation et de solidarité. «Le Forum social mondial représente un espace important pour faire entendre des voix, se concentrer sur les plus vulnérables, redonner de l’espoir et trouver des solutions innovantes pour les peuples et la planète.» Guterres défend le fait de «s'unir pour le bien commun» comme une nécessité fondamentale à «une époque d'escalade des conflits et de divisions géopolitiques croissantes». Il conclut qu'un monde de paix, de dignité et de durabilité est non seulement possible, mais nécessaire.
Un FSM des dépossédés de la solidarité internationale
L’activiste Carminda Mac Lorin, venue du Canada accompagnée d'une délégation essentiellement composée de jeunes, dresse le bilan de cette rencontre tenue au cœur de l’Asie. Elle explique que «la forte présence locale et régionale se distingue, en particulier du Népal lui-même et de l'Inde voisine. Et surtout des secteurs les plus marginalisés, comme les Dalits (caste des Intouchables), les paysans, de nombreuses militantes féministes de base, des syndicalistes, des peuples indigènes historiquement marginalisés.» Carminda Mac Lorin est l'une des coordinatrices de l'édition montréalaise du FSM en juin 2016. Elle est aussi membre du conseil international – l'organe de facilitation du FSM – et directrice de l'ONG Katalizo. Elle estime qu'«il y a eu un souffle d'air frais pendant ces cinq jours de forum, avec une forte présence des jeunes», notamment parmi les 750 volontaires qui ont soutenu la logistique de la rencontre. «Le renouvellement des générations est un impératif essentiel pour assurer la continuité et le progrès de toute initiative de ce type. Il ne peut y avoir de changement systémique sans les jeunes et leurs contributions innovantes», déclare-t-elle.
Il est également essentiel de maintenir et d'approfondir le profil international du FSM. Dans cette édition, les participants non asiatiques étaient les moins nombreux: peu d'Européens et d'Américains du Nord et presque aucune représentation de l'Afrique. Avec le facteur aggravant qu'«un FSM sans la force de la présence du Brésil et de l'Amérique latine, c'est comme s'il lui manquait un bras ou presque la moitié du corps», explique la jeune militante. «Cela a toujours été un dilemme. Le monde est grand et chaque FSM sera toujours loin de quelqu'un selon l'endroit où il se tient. A Montréal, en 2016, très peu de représentants africains ont pu y assister. Dans les éditions brésiliennes, il n'y avait presque pas d'Asiatiques... et ainsi de suite.»
Vers des partenariats internationaux plus solides
Parmi les problèmes les plus importants de l'événement népalais, Carminda Mac Lorin récapitule: «Nous avons échoué dans la circulation de l'information en amont; il a manqué une présence essentielle des médias, y compris des médias alternatifs et solidaires; il est difficile d'innover dans les méthodologies propres à l'événement; il est essentiel d'accroître la présence des mouvements sociaux dans le FSM et dans le conseil international, comme l'ont souligné les représentants paysans africains de La Via Campesina.»
Quant à la prochaine édition, elle confirme que «des propositions ont été envisagées pour la tenir dans un pays d'Afrique de l'Ouest et que, lors de sa réunion après le Forum, le conseil international a décidé de la convoquer au Bénin en 2026. Ce sera une belle occasion de revitaliser la participation africaine au Forum.»
Quant à la délégation canadienne, elle a proposé de convoquer un Forum social mondial des intersections en 2025, un concept novateur qui cherche à promouvoir la rencontre des générations, du genre, des mondes rural et urbain, des secteurs discriminés les plus variés, entre autres, pour valoriser leurs expériences et leurs convergences.
Plus de mobilisation, respect des nouvelles valeurs
Carminda Mac Lorin partage l'analyse récente de l'historien et militant belge Eric Toussaint, publiée depuis le Népal, sur le danger croissant que représente la montée de l'extrême droite dans diverses régions du monde et sur la nécessité de former un large front international pour y faire face. Cela avec le FSM et d’autres forces.
Elle affirme que «l'analyse de Toussaint est très intéressante et tout à fait pertinente». De nouvelles formes de mobilisation commune et solidaire doivent être recherchées. Elle conclut qu'«une telle proposition serait enrichie par la mobilisation générée par le FSM lui-même, qui reste un espace ouvert qui a aussi son importance et sa pertinence». Il est essentiel de garder à l'esprit les nouvelles formes de participation, de débat et de fonctionnement créées en plus de vingt ans de ce processus construit autour du FSM. «Il a des valeurs particulières qui visent à dépasser les formules traditionnelles du militantisme. Par exemple, l'écoute et le respect dans la diversité; l'apprentissage commun sans critères d'autorité; la promotion d'une nouvelle culture politique; l'horizontalité des relations et le partage d'expériences, de propositions et d'agendas communs, en assurant toujours une présence vivante et active pour ceux qui aujourd'hui, dans le monde, n'ont pas de voix.»
Rendez-vous à Porto Alegre
Quelques semaines après la fin du FSM au Népal, depuis Porto Alegre, au Brésil, le Parti des travailleurs (PT) et le Parti socialisme et liberté (PSOL) de l'Etat du Rio Grande ont appelé à la première conférence internationale antifasciste du 17 au 19 mai prochain, sous le slogan: «Pour une vraie démocratie et contre l'extrême droite». Porto Alegre, ville emblématique du sud du Brésil, berceau du budget participatif et des premières éditions du Forum social mondial, est de nouveau à la tête d'une initiative unitaire qui vise à renforcer la mobilisation contre la montée de l'extrême droite au niveau international.
Traduction Rosemarie Fournier, photos Luna Choquette Loranger