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Blocages de crâne

En France, on a beaucoup entendu ces derniers temps parler de «blocages». Ministres, représentants du Medef et éditorialistes des chaînes d’info en continu fustigeant à longueur de journée une «prise d’otages» opérée par une «minorité» de grévistes des raffineries et des dépôts de carburant. Mais sachant que les groupes Exxon Mobil et Total ont engrangé 19 milliards de bénéfices chacun sur les six derniers mois, que le PDG de ce dernier s’est octroyé une revalorisation salariale de 52% en 2021 pour atteindre une rémunération de 5,9 millions d’euros, que les augmentations exigées ne pèsent que 150 millions et qu’un opérateur de raffinerie commence au SMIC (net: 1329 euros par mois), sachant tout cela, je me suis dit: c’est vrai que ça enquiquine les gens qui font la queue devant les stations-services, mais bon, les gars ils ont quand même de bonnes raisons de bloquer. Et j’ai failli me faire avoir.

Il n’y a jamais eu de blocage, en réalité. Seulement des piquets de grève réunissant, à l’entrée des sites, les grévistes autour d’une table et de drapeaux syndicaux et n’empêchant en rien les va-et-vient. C’est ce qu’on connaît aussi en Suisse lorsqu’il y a un arrêt de travail organisé par Unia ou un autre syndicat. Ce n’est pas une prétendue obstruction qui empêchait l’essence de sortir, mais la grève des ouvriers employés à la production et à la distribution. Leurs collègues des autres secteurs continuant à travailler, notamment pour alimenter la caisse de grève. D’où les réquisitions de ces travailleurs stratégiques. Je l’ai découvert par hasard en lisant l’article «Cinq idées reçues sur les grèves» paru sur le site de la revue Frustration (frustrationmagazine.fr). L’opération d’intoxication, elle, par contre, est bien réelle. En parlant de blocage plutôt que de grève, le gouvernement et le patronat ont voulu décrédibiliser le mouvement dans l’opinion publique.

Pour éviter les désinformations, je sais bien qu’il faut aller chercher des infos sur différents supports et les recouper. Cela demande du temps et un certain effort. Mais là, affalé sur mon canapé, atteint d’une flemmingite aiguë, j’avais zappé de France 24 à BFM, en passant par LCI et CNews, et j’étais victime d’un bourrage de crâne! Ça m’apprendra. Nulle entrave donc, mais une vraie perturbation de l’activité économique et de la vie de tous les jours. Preuve s’il en est que ces salariés peu payés réalisent un travail essentiel. Comme l’a souligné Philippe Poutou, le syndicaliste et candidat à la présidentielle, sur Twitter: «Quand les raffineurs, les éboueurs ou les postiers font grève, cela gêne les gens, car ce sont des boulots hyper utiles, indispensables. S’il y avait grève des actionnaires, ou des éditorialistes de BFM pendant deux semaines, ça ne gênerait pas grand-monde…»