Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Assez, c'est assez!

Une manifestation haute en couleurs et en revendications.
© Neil Labrador

Une manifestation haute en couleurs et en revendications.

C’est un succès! 20000 personnes ont convergé sur Berne samedi dernier pour exiger que la Constitution et la Loi sur l’égalité soient enfin appliquées, respectivement 37 ans et 22 ans après leur entrée en vigueur, et contre toutes les discriminations. Reportage

Assez, c’est assez! Enough is enough! Genug ist genug! Basta! Ekoki! Dosta! Sur la scène de la Schützenmatte à Berne, une quinzaine de femmes, migrantes et suissesses, ont décliné dans leur langue leur ras-le-bol face aux discriminations qu’elles subissent, en tant que femme, migrante, travailleuse précaire ou encore réfugiée. Des interventions brèves et enflammées, pour dire stop aux inégalités salariales, à l’exploitation, et exiger l’égalité des droits, de tous les droits. Des appels aussi à la liberté et à la paix, face aux violences subies en Syrie, en Erythrée ou en Lybie, et à la solidarité avec les femmes du monde entier. 

Le coup d’envoi de la manifestation nationale du 22 septembre pour l’égalité salariale et contre les discriminations était donné. Sur la place, des vagues de manifestants arrivaient encore. Des trains spéciaux bondés, des gens restant à quai, comme à Fribourg, faute de place et contraints d’attendre un autre convoi, des bus complets, à Neuchâtel notamment, obligeant certains à trouver d’autres moyens de transport. Un long cortège, retentissant de slogans et de détermination, s’est ensuite ébranlé dans les rues de Berne, en direction de la place Fédérale. Une place qui continuait à se remplir à l’heure où la seconde partie des discours démarrait, bien plus tard que prévu.

Dans les rangs de cette gigantesque manifestation multicolore, où le rose et le fuchsia se mêlaient au rouge, au vert et aux couleurs bigarrées des flots de drapeaux syndicaux, des femmes et des hommes, venus dire leur colère face à l’inapplication d’un principe constitutionnel vieux de 37 ans et d’une loi interdisant la discrimination salariale. Des familles avaient fait le déplacement, et la jeunesse était présente en masse, faisant dire à un retraité, ancien syndicaliste FTMH de la Riviera: «Le nombre de jeunes est énorme! Je crois que la jeunesse commence à comprendre. Et notre groupe de retraités est là parce que c’est la moindre des choses d’être solidaire. Les femmes doivent absolument se mobiliser. Si on compte sur nos parlementaires et nos conseillers fédéraux, on n’aura rien!»

Des droits à conquérir

Plus de quarante organisations, parmi lesquelles de nombreux syndicats, des associations féministes, de gays et de lesbiennes, des partis de gauche et du centre, avaient appelé à la mobilisation pour cette manifestation qui trouve son origine dans le Congrès des femmes de l’Union syndicale suisse (USS) de janvier dernier, congrès qui avait aussi appelé à la préparation d’une nouvelle grève des femmes le 14 juin 2019. 

«Ensemble, mettons le turbo!» a lancé Michela Bovolenta du Syndicat des services publics, au nom des quatre coprésidentes de la commission féminine de l’USS. «Cette manifestation n’est que le début, nous voulons aller jusqu’à une grève féministe le 14 juin 2019! Nos droits, nous les avons obtenus par la lutte. Le pouvoir patriarcal ne nous a fait aucun cadeau. Le patronat ne nous a fait aucun cadeau!» Et d’appeler à un renforcement de la révision de la Loi sur l’égalité dont la discussion était prévue deux jours plus tard, les 24 et 25 septembre. «Ce que nous voulons, c’est un contrôle des salaires dans toutes les entreprises, leur adaptation immédiate, et des sanctions pour celles qui ne respecteraient pas la loi», a ajouté Corinne Schärer d’Unia, elle aussi coprésidente des femmes de l’USS. 

Vers la grève!

Devant le Palais fédéral, Vania Alleva, présidente d’Unia, a appuyé ces exigences face à la «révision édulcorée» dont les parlementaires allaient débattre, une révision qui pourrait même être «mise à rude épreuve» lors de son examen. «Les droits des femmes et l’égalité sont piétinés en Suisse. Le Parlement doit enfin mettre un terme au scandale de l’inégalité salariale», a-t-elle déclaré, rappelant qu’avec le projet actuel, 99% des entreprises pourront continuer comme avant! «Les employeurs profitent dans une large mesure de l’inégalité salariale au détriment des femmes. Selon une étude mandatée par Unia, le vol des salaires sur le dos des travailleuses en Suisse se monte à près de 10 milliards de francs par an! Chaque femme est escroquée de la somme de 303000 francs durant sa vie professionnelle, soit un manque à gagner de 590 francs par mois.» Et la présidente d’Unia d’avertir que, tant que l’article constitutionnel sur l’égalité n’aura pas été concrétisé, Unia et les syndicats ne baisseront pas les bras. 

Sur la place Fédérale, dans le brouhaha des 20000 personnes rassemblées, une voix s’élève dans les haut-parleurs: «Nous voulons une société fondée sur l’égalité et la solidarité! Nous appelons toutes les femmes à faire grève le 14 juin 2019. Arrêtons le travail, dans nos entreprises, à la maison, et toutes dans la rue!» Le rendez-vous est pris.

Sylviane Herranz


 

Dans le train spécial entre Genève et Berne... Témoignages

 

MurielMuriel

«Je ne suis pas une habituée des manifestations. Mais défendre les droits fondamentaux comme ceux des femmes, c’est important. Le travail des femmes doit être reconnu. Les tâches ménagères partagées. Infirmière à domicile, je vois les gens dans leurs milieux, je vois les inégalités. Heureusement, les choses bougent quand même, des hommes nous soutiennent. L’égalité, ce n’est pas contre eux, il s’agit d’un partenariat.»

Géraldine

Géraldine

«L’égalité des salaires, il serait temps! C’est la moindre des choses. Je viens manifester pour le principe, même si, sincèrement, je ne crois pas qu’on atteindra l’égalité ainsi. Nos politiciens sont soumis à l’économie mondiale. Pour nous faire peur, ils agitent l’épouvantail: attention, les grandes sociétés vont quitter le pays! Ce qui est loin d’être sûr. Et on continue d’exiger des sacrifices de la part des plus faibles. Les actionnaires, eux, n’en font jamais, pour personne. Comment faire fléchir nos politiciens? Par la violence peut-être. Et quand je dis violence, je pense à la grève. En Suisse, la grève est considérée comme violente. C’est indispensable de se mobiliser le 14 juin prochain. Je l’ai vécu en 1991.

La Suisse a cette habitude de traiter les femmes comme des êtres inférieurs. Le droit de vote en 1971, quelle blague! Quand l’homme devait chasser le mammouth au péril de sa vie, forcément la femme s’occupait du reste. Mais on n’en est plus là. Les femmes sont aussi devenues des guerrières. Après une lutte de dizaines d’années, le congé maternité a été accordé, mais il est minimaliste. Pourquoi les femmes ne sont payées qu’à 80%? Parce qu’elles ont un enfant, auraient-elles moins besoin d’argent? On part toujours du principe qu’il y a un homme qui paie derrière. J’éduque mes quatre garçons. Et mon mari aussi (rires). Lui a vécu dans sa famille l’inégalité. Sa mère sortait de l’usine une demie heure avant pour aller préparer le repas, et s’occupait de tout à la maison. Elle lavait le linge encore à la main. Pour le même job, elle gagnait deux tiers de moins que son époux.»

Loretta

Loretta

«Cela fait longtemps que je n’ai pas manifesté. J’ai eu le sentiment que c’était important d’y aller aujourd’hui. Je me sens très privilégiée, mais je suis consciente que je fais partie du monde et que, sans les autres, je n’existe pas. C’est génial d’occuper la ville, l’espace public. Ce qui me frappe dans notre société, c’est la minimisation du travail ménager, la charge mentale qui incombe aux femmes, la manière dont on nous a élevées et comment le monde est organisé pour perpétuer les discriminations. Des générations ont lutté − pour le droit de vote, pour le droit de signer des papiers sans le consentement du mari − et on se doit de continuer. C’est tout. Aujourd’hui, c’est un pas de plus. Il reste beaucoup de travail. Il existe un tel déséquilibre ici et au niveau mondial.»

Juliette, Loris et Tania

Juliette

«Je ne travaille pas encore, mais je viens pour soutenir les autres femmes. J’espère que cette manifestation permettra de faire bouger les choses. C’est une lutte parmi d’autres. Il faudrait que davantage de gens se mobilisent. J’ai essayé de motiver mes camarades à venir. Plusieurs ont trouvé que Berne était trop loin.»

Loris

«C’est tous les jours la révolution. On essaie de faire le maximum. Aujourd’hui, je pense que c’est la plus grande manifestation à laquelle je participe. Il y a tellement de monde. Cela prouve qu’il y a quelque chose à changer, que ce n’est pas okayde continuer comme ça. Pour ma part, cela me semble normal de faire le ménage. Et la cuisine, j’adore! J’ai été élevé par ma mère, c’est peut-être ça.»

Tania

«Nous sommes privilégiées de pouvoir participer à une action comme aujourd’hui. Ce n’est pas partout pareil. Il y a tant de choses à faire dans le monde. Les discriminations, je les connais au niveau familial, par rapport à mon frère au sujet des tâches ménagères. Mon père m’a toujours fait comprendre que je n’avais pas besoin de faire trop d’études, car j’allais dans le futur devoir m’occuper de mes enfants. Il faisait la cuisine, mais uniquement parce que ma mère était mauvaise cuisinière. Et il faisait remarquer que ce n’était pas son rôle. J’ai toujours trouvé ça injuste. Il ne s’agit pas seulement de changer les lois, mais aussi les mentalités. J’ai lu un livre sur les slogans féministes de ces cinquante dernières années. Ce qui est frappant, c’est que ce sont toujours les mêmes. J’espère que dans cinquante ans, ce ne sera plus le cas.»

Propos recueillis par Aline Andrey, photos Niel Labrador

«Pour les femmes, du respect, pas de salaire au rabais!»

Gelfia et Deborah«On a juste une chose à dire: on en a marre de l’inégalité! Pour les femmes, du respect, pas de salaires au rabais!» Mégaphone en main, Gelfia, employée de commerce, et Deborah, assistante en soins, toutes deux de Martigny, participaient à leur première manifestation. Elles ont fait le voyage avec la délégation d’Unia Valais, de l’Union syndicale valaisanne et de collectifs de femmes, qui comptaient plus de 250 personnes, pour crier leur colère dans les rues de Berne. Parmi elles, deux retraitées, Marisa Rappaz et Rosa Costa de Saint-Maurice: «Nous sommes venues pour soutenir les dames qui travaillent encore avec des salaires moins élevés que les hommes. Ce n’est pas normal!»

SH

Pour aller plus loin

Mobilisation pour de meilleurs salaires et la fin du harcèlement

Lausanne

La Journée internationale des droits des femmes a rassemblé plusieurs milliers de manifestantes dans les rues suisses. L’égalité et la lutte contre les dérives sexistes au cœur des mobilisations. Arrêt sur images

Egalité salariale, où en est-on?

Les analyses salariales dans les entreprises sont importantes, mais pour faire vraiment progresser l’égalité dans le monde du travail, il faut, estime les syndicats, s’attaquer aux causes structurelles des inégalités salariales.

Les résultats des analyses de l’égalité salariale effectuées dans les entreprises de plus de 100 employés devaient être rendus l’an passé déjà. Le point à l’occasion du 8 mars

Grèves féministes, et après?

Après la marée violette de 2019, ici à Genève, et la grève féministe de 2023, les femmes d’Unia s’interrogeront sur les suites à donner au mouvement.

Les 24 et 25 mai prochain se tiendra la 12e Conférence des femmes d’Unia. L’occasion de tirer le bilan des journées des 14 juin 2019 et 2023, et d’établir les perspectives futures

Inauguration du local féministe de Genève

L’inauguration a eu lieu le 14 février dernier (photo), lors d’une soirée festive de Sainte-Valentine qui a eu du succès.

Après une longue attente, le collectif genevois de la Grève féministe a pu poser ses valises dans un local situé à Carouge et financé par la Ville de Genève. L’inauguration a eu...