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Reprendre aux riches…

Prendre aux riches pour donner… aux riches. Ou comment contourner une règle internationale pour ne rien changer, et continuer à «accueillir» des multinationales irresponsables, puisant leurs bénéfices dans la sueur et les larmes de centaines de millions de travailleuses et de travailleurs exploités de par le monde.

C’est ce qui se cache derrière le débat qui vient de se terminer aux Chambres fédérales sur l’imposition à 15% au minimum des bénéfices des entreprises multinationales réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 750 millions d’euros. Une mesure prise pour mettre en œuvre l’accord approuvé l’année dernière par 136 Etats au sein de l’OCDE et du G20 afin de limiter la concurrence fiscale et réallouer une partie des recettes aux pays d’où proviennent les richesses produites.

En Suisse, ce nouveau taux d’imposition concernera quelque 200 sociétés helvétiques et 2000 filiales de groupes étrangers et devrait engendrer entre 1 et 2,5 milliards de rentrées fiscales. C’est un revirement après le cadeau de 2 milliards octroyé aux grandes entreprises par la RFFA (Réforme fiscale et financement de l’AVS), adoptée en 2019, à la suite de l’échec devant le peuple de la RIE III deux ans plus tôt. Cette manne qui, rappelons-le, avait passé la rampe du vote populaire grâce à la promesse d’un autre «cadeau» pour l’AVS, d’un montant équivalent, mais financé par… les travailleurs eux-mêmes et leurs employeurs avec un supplément de cotisation AVS.

La Suisse s’empresse donc aujourd’hui de se mettre en conformité avec la règle internationale des 15%. Elle qui a facilité la concurrence entre les cantons, permettant à certains d’entre eux d’afficher des taux d’imposition des entreprises de l’ordre de 11%, dignes des paradis fiscaux.

On aurait pu s’attendre à voir le Parlement débattre de l’utilisation de ces nouvelles recettes pour un rééquilibrage avec les pays et populations à l’origine des bénéfices gigantesques des multinationales. Ou en faveur des populations les plus démunies dans nos frontières. Or il n’en a rien été. Ce qui a occupé les élus était de savoir comment se répartirait cette nouvelle manne financière: 75% pour les cantons et 25% pour la Confédération comme le préconisaient le Conseil fédéral et le Conseil des Etats? Ou 50%-50%, comme le demandait le National avant de se raviser? L’enjeu était de savoir qui était le mieux à même d’offrir des mesures de compensation afin de préserver l’attractivité de la Suisse pour les grands groupes internationaux. Et les suggestions n’ont pas manqué. Plutôt que de prévoir des compensations en faveur des pays du Sud ou, ici, davantage de postes de soignants dans les hôpitaux, plutôt que d’imaginer un système d’accueil des enfants pour tous, des élus ont cherché comment redonner cet argent à ces pauvres entreprises... Quelques exemples? Zoug, champion de l’imposition des bénéfices à un taux au ras des pâquerettes, envisagerait une allocation d’étude à l’attention des enfants des cadres des multinationales pour qu’ils puissent être scolarisés dans des écoles privées, ainsi que la gratuité des crèches pour leur personnel. A Bâle-Ville, où une cinquantaine d’entreprises sont concernées, le Département des finances imagine des coopérations dans la recherche avec l’université, l’hôpital universitaire ou les hautes écoles. En d’autres termes, la mise à disposition des deniers publics au service des recherches et du développement privé dans ce haut lieu de la pharma.

Au final, la concurrence fiscale se poursuivra, à d’autres niveaux. Les inégalités sociales seront attisées. Et la population, ici comme ailleurs, continuera de payer le prix fort d’un libéralisme économique prédateur, qui prend aux pauvres pour donner aux nantis.