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«Licencier quelqu’un à 64 ans est inhumain et abusif!»

Moment d’appréhension pour Veli Gashi avant d’entrer dans la salle d’audience des Prud’hommes à Yverdon. Il en ressortira heureux d’avoir mené le combat jusque-là pour faire valoir ses droits.
© Olivier Vogelsang

Moment d’appréhension pour Veli Gashi avant d’entrer dans la salle d’audience des Prud’hommes à Yverdon. Il en ressortira heureux d’avoir mené le combat jusque-là pour faire valoir ses droits. 

Un ouvrier congédié un an avant sa retraite a saisi les Prud’hommes. Son ancien employeur, les Usines métallurgiques de Vallorbe, a accepté de verser près de quatre mois de salaire, en rejetant toute responsabilité

C’est avec une certaine appréhension, mais déterminé, que Veli Gashi arrive ce lundi 4 mars à l’audience du Tribunal des prud’hommes d’Yverdon qui doit statuer sur son licenciement abusif par les Usines métallurgiques de Vallorbe (UMV), après presque 22 ans de service et à une année de sa retraite. 

Les faits remontent à l’été 2022. Veli Gashi a 64 ans. Il travaille depuis l’an 2000 aux UMV, avec une courte interruption en 2009, moment où il subit un premier licenciement. Il y retourne rapidement, en mission temporaire. Deux ans plus tard, il signe un nouveau contrat fixe. Au mois de juin 2022, l’opérateur apprend que l’entreprise va augmenter les salaires. Il demande à son contremaître s’il est concerné. «“Non, vous êtes au plafond”, m’a-t-il expliqué, en ajoutant que je pouvais partir quand je voulais…» Une semaine après, il est appelé par les ressources humaines. «On m’a demandé: “Tu sais pourquoi tu es là?” J’ai répondu que j’allais toucher une prime. Ils m’ont dit: “Non, on va te licencier”…» De retour à l’atelier, il refuse de mettre en route sa machine. Et demande à partir tout de suite. «Quinze autres employés ont été licenciés en même temps que moi. Deux ont retrouvé un poste à l’usine. Sur les treize restants, nous étions huit de plus de 55 ans», explique l’ouvrier en marge du procès. Un an et demi plus tard, il est toujours marqué par ce coup brutal. «C’est dur. Je n’avais jamais eu de reproche, jamais été malade. J’ai manqué quelques mois après une opération de l’épaule due à une chute au travail. Ma maison est à cinq minutes de l’atelier. Quand j’étais au chômage, c’était très difficile. J’ai compris une chose, on est tous des numéros.» 

Protégé par l’article 25.5 de la CCT Mem

Veli Gashi, soutenu par Unia, sera le seul des huit travailleurs âgés licenciés à entreprendre une action en justice. Les autres y ont renoncé, pour des questions personnelles. L’enjeu était de taille. La Convention collective de travail de l’industrie des machines (CCT Mem), à laquelle sont soumises les Usines métallurgiques de Vallorbe, prévoit en son article 25.5 une protection des travailleuses et des travailleurs âgés. En cas de licenciement, l’entreprise doit notamment agir de manière socialement responsable vis-à-vis de ces personnes et, dès l’âge de 55 ans, organiser une discussion avec le salarié afin d’évaluer les différentes options pour préserver le rapport de travail. «Cette procédure n’a pas été respectée pour M. Gashi, c’est humainement inacceptable», s’indigne Fiona Donadello, secrétaire syndicale de l’industrie à Unia Vaud. Elle explique que non seulement l’entreprise a refusé d’entamer une consultation vu le grand nombre d’emplois supprimés, comme le prévoit aussi la CCT, mais s’est permise de congédier des salariés de plus de 55 ans sans aucun égard et sans leur proposer un autre poste.

Conciliation devant la cour

Revenons à l’audience du 4 mars qui se tient dans les murs du Tribunal de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois. Au vu de la grave violation de la personnalité du travailleur, la requête aux Prud’hommes exige de l’entreprise une indemnité de six mois de salaire pour licenciement abusif, soit le maximum prévu par le Code des obligations. Dans la salle, Veli Gashi, accompagné de son avocate, Me Irène Schmidlin, fait face aux représentants des UMV, Rakia Trivier, responsable RH, et Me Munoz, avocat. La présidente du tribunal tente une transaction, après l’échec de l’audience de conciliation tenue l’année dernière. A l’époque, les UMV avaient proposé de conclure l’affaire pour un mois de salaire. Ce que l’ouvrier avait refusé. 

S’appuyant sur un arrêt de 2023 concernant un cas semblable où l’employeur avait été condamné à payer quatre mois et demi de salaire, Me Schmidlin ouvre la porte à une proposition de transaction. De son côté, l’avocat des UMV, contestant tout caractère abusif du licenciement de Veli Gashi, se dit prêt lui aussi à transiger. L’audience est suspendue. Dans le couloir, chaque partie murmure dans son coin. Puis, les représentants des UMV font signe à l’avocate de l’opérateur. Une proposition est faite. Qui sera formalisée devant la cour: l’entreprise s’engage à verser une indemnité nette de 15000 francs à Veli Gashi, cela, précise MMunoz, «sans reconnaissance de responsabilité». La proposition est acceptée, ce qui met un terme à la procédure et permettra à l’ouvrier, comme l’a souligné son avocate durant l’audience, de passer à autre chose.

Indemnité équivalente à presque quatre mois de salaire

Cette somme, bien que n’engageant pas la responsabilité de l’entreprise, représente près de quatre mois du salaire net touché par Veli Gashi. Soit une indemnité importante qui n’était pas gagnée d’avance, tant la procédure aux Prud’hommes est longue et difficile. Cette indemnité témoigne que les UMV ont préféré payer plutôt que défendre jusqu’au bout leur position. «Nous aurions bien sûr préféré un jugement qui aurait permis d’affermir l’interprétation de l’article 25.5 de la CCT protégeant les travailleurs âgés. Car il est clair que licencier quelqu’un à 64 ans, dans une usine de plus de 200 employés, est inhumain et abusif», commente Fiona Donadello, qui ajoute que, pour Unia, de tels licenciements doivent pouvoir être annulés. 

De son côté, Veli Gashi est heureux de ce dénouement. Celui qui a consacré toute sa vie à travailler dur pour nourrir sa famille, d’abord à la campagne comme saisonnier, dans les années 1990, après son arrivée du Kosovo, puis aux UMV, explique: «Je suis content d’être allé jusque-là. Je dis merci à Unia. Tout le monde a fait beaucoup pour moi. Je ne regrette pas d’être membre du syndicat!»

Me Irène Schmidlin et Veli Gashi. Photo Olivier Vogelsang
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