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«Les patrons comprennent mal ce qu’est l’admission provisoire»

Portrait d'Hossein Rezai.
© Thierry Porchet

«Comme j’ai atteint un bon niveau de français, je voulais apprendre un métier qui me plaise, mais avec le permis F, ce n’est pas facile», déplore Hossein Rezai, 22 ans, arrivé seul d’Afghanistan en Suisse, peu avant ses 18 ans.

Aujourd’hui, les requérants d’asile se voyant attribuer un permis F sont plus nombreux que ceux à qui l’on accorde l’asile, et proviennent de régions où les conflits s’éternisent

Le statut d’admission provisoire (permis F), créé en 1987, «a été initialement pensé pour garantir aux migrants une protection à court terme dans l’attente d’un renvoi»[1]. Les personnes originaires de Bosnie accueillies en Suisse dès 1993 entraient notamment dans cette catégorie, et beaucoup ont vu leur renvoi prononcé dans les cinq années qui ont suivi. A cette époque, les personnes admises à titre provisoire étaient également appelées «réfugiés de la violence»[2], terme pouvant sembler plus approprié du fait que la plupart fuient des conflits armés. «Le permis F prolonge une situation administrative précaire qui n’aurait été acceptable que si elle était provisoire, à l’instar du statut de demandeur d’asile. Mais la plupart des statistiques démontrent le contraire: pour la plupart des personnes, l’admission provisoire n’a de provisoire que le nom», constate l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE)[3]. On fait alors face à une situation paradoxale où il est exigé de ces personnes qu’elles s’intègrent sur le plan socio-professionnel, alors que leur statut constitue une entrave à leur insertion.

La grande majorité des personnes étant en Suisse dans le cadre d’une procédure d’asile est constituée d’hommes âgés de 20 à 25 ans, arrivés seuls dans notre pays. Beaucoup souhaitent se former, toutefois, cela implique généralement de retarder leur accession à l’autonomie financière et les avantages allant de pair avec ce statut, certains hésitent donc.

Le rêve d’un permis B

Hossein Rezai, 22 ans, est arrivé seul en Suisse peu avant ses 18 ans. Un an de cours de français dispensés par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), et un an en classe d’accueil à l’Office de perfectionnement scolaire, de transition et d’insertion (OPTI) ont suffi à ce ressortissant afghan pour maîtriser la langue. «Comme j’ai atteint un bon niveau de français, je voulais apprendre un métier qui me plaise, mais avec le permis F, ce n’est pas facile» déplore le jeune homme établi à Lausanne. «L’année passée, j’aurais pu être engagé comme aide-cuisinier, mais le patron a refusé en raison de mon permis F, qui n’indiquait plus que trois mois de validité. Je lui ai expliqué qu’il serait automatiquement renouvelé, mais souvent, les patrons comprennent mal ce qu’est l’admission provisoire», poursuit Hossein qui a finalement trouvé une place d’apprentissage comme mécanicien à Montreux. «Après un stage d’assistant dentaire, mon souhait était de faire un CFC dans cette profession pour pouvoir ensuite devenir hygiéniste, mais je n’ai pas trouvé de place» regrette-t-il.

Si son salaire lui permettait d’être indépendant financièrement, Hossein aurait pu déposer une demande d’autorisation de séjour (permis B) en 2020, après avoir passé cinq ans en Suisse. «J’aimerais beaucoup avoir un permis B car, depuis cinq ans, je n’ai jamais pu sortir de Suisse, même pour me rendre en France, et surtout, je souhaiterais pouvoir aller voir ma mère en Iran. Elle a des problèmes de santé…»

Sentiment d’arbitraire...

L’interdiction de sortir du territoire, s’ajoutant à d’autres restrictions en tous genres, comme celle de conclure un abonnement mobile, pèse souvent sur le moral de ces jeunes adultes et génère un sentiment d’exclusion. Le fait de ne pas comprendre pourquoi un compatriote, dont la situation est en apparence très semblable à la leur, obtient l’asile, accentue encore le sentiment d’arbitraire des détenteurs d’admission provisoire.

Comme le relève une étude du Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM), «le caractère prétendument temporaire de leur statut de séjour reste un stigmate qui continue de rendre l’accès au marché du travail difficile spécialement pour les étrangers admis provisoirement»[4]. Pour ceux qui parviennent néanmoins à trouver un emploi fixe, la cession partielle du salaire, pratiquée dans plusieurs cantons, est souvent mal comprise par les intéressés, comme l’illustre le témoignage de Houssein Darouich, originaire de Syrie, arrivé seul en Suisse en 2013, à l’âge de 18 ans. Alors qu’il étudie à l’OPTI, il se met en recherche d’un apprentissage et multiplie les stages dans des domaines aussi divers que la coiffure, la construction et l’installation sanitaire, en vain. Il rencontre finalement un jardinier de son quartier, qui faute de pouvoir prendre un apprenti l’engage pour travailler à ses côtés.

... et démotivation

Houssein est ravi mais déchante vite: «A la fin du premier mois de travail, l’EVAM a pris tout mon salaire, de plus de 3000 francs. J’ai trouvé cela très injuste, je comprenais mal les procédures et m’investissais beaucoup dans ce travail. Je pensais que je pourrais enfin vivre avec plus que les 370 francs mensuels que je recevais jusque-là» explique-t-il. Avant d’ajouter: «Pendant les trois mois suivants, mes salaires ont continué à être saisis, alors que mon loyer n’était que de 600 francs. Mon assistant ne m’a pas encouragé à faire une demande d’autonomie financière, et j’étais très démotivé.»

Environ un an plus tard, Houssein trouve un emploi au cinéma Pathé Flon, où son entregent et sa polyvalence lui permettent d’accéder à un poste de manager en moins de trois ans, et d’obtenir le permis B. «En commençant chez Pathé, j’ai tout de suite demandé mon indépendance financière à l’EVAM, car je ne voulais pas revivre la même situation.»

Disparités cantonales pesantes

Les disparités cantonales sont perçues comme une forme d’injustice par les personnes concernées, qui ont souvent des connaissances ailleurs en Suisse. Un étranger au bénéfice de l’admission provisoire recevra environ 370 francs dans les cantons de Vaud et du Valais, 270 francs en Argovie, alors que la prestation s’élève à 696 francs à Berne, et 797 francs à Bâle-Ville. Ces différences ne concernent pas uniquement les montants de l’aide sociale, mais également les possibilités d’obtenir une autorisation de séjour (permis B), et les mesures d’intégration proposées.

La formation, une chance à saisir

Jacques de Lavallaz, s’explique sur ces différences cantonales: «Je sais que le canton de Vaud, dès qu’ils arrivent à cinq ans, propose la chose à Berne, mais en Valais, on est plus restrictif, et pour un jeune célibataire, il faut compter 7 à 9 ans de séjour, pour que l’on émette un préavis positif. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral» se justifie le chef du Service de la population et des migrations (SPM). «Un jeune détenteur du permis F qui est chez nous depuis plus de 5 à 7 ans, s’est intégré à la vie sociale du canton et a achevé un apprentissage, aura à nos yeux un avantage indéniable par rapport à une personne qui n’a jamais terminé une quelconque formation, et cela va pousser la commission à donner un avis positif» précise-t-il. Et d’ajouter: «Profitez de la chance qui vous est donnée de vous former! C’est le message que j’aimerais faire passer, et c’est dans notre avantage à tous!» 

Houssein Darouich.
Houssein Darouich, originaire de Syrie, est arrivé seul dans nos frontières en 2013. Après plusieurs stages dans différents domaines, il a trouvé un emploi au cinéma Pathé Flon, pris du galon et obtenu un permis B. ©Thierry Porchet

 


Accent sur la formation

Les cantons du Valais et de Vaud valorisent désormais la formation et l’insertion socio-professionnelle y compris pour les détenteurs de permis F

En matière de formation des populations issues de l’asile, le Valais a fait office de pionnier avec le centre Le Botza (Vétroz), ouvert en 1999, puis ceux de Rarogne et du domaine des Barges il y a dix ans. Les formations certifiantes en restauration (RI-PP), en arboriculture et viticulture (en partenariat avec l’Ecole d’agriculture du Valais) et les autres formations (menuiserie, serrurerie, peinture, maçonnerie, nettoyage, coiffure) s’adressent aussi bien aux réfugiés statutaires, qu’aux détenteurs de permis F et accueillent également des bénéficiaires de l’aide sociale hors du domaine de l’asile. «Les personnes qui sortent de nos ateliers n’ont en règle générale pas un AFP ou un CFC, mais un niveau de compétence faisant qu’elles pourront être engagées comme aide: aide-peintre, aide-maçon, aide en cuisine» explique Frédéric Moix, responsable du centre de formation Le Botza. «Lorsque le centre a ouvert, en 1999, le contexte n’était pas le même qu’aujourd’hui. Le but était d’occuper les requérants pour contrer les effets négatifs liés à l’inactivité. Depuis, il y a eu une prise de conscience que les personnes restent en général en Suisse sur le long terme, et le virage amorcé met l’accent sur la formation et l’insertion socio-professionnelle.»

Difficultés potentiellement accrues

Le Bureau lausannois pour les immigrés (BLI) a pour sa part contribué à la publication, en mars 2020, du Guide pratique pour intégrer votre personnel étranger[5]. Destiné avant tout aux directions d’entreprises et patrons de PME, tous les aspects de l’intégration au travail y sont abordés. Il est également fait mention de la récente facilitation des conditions d’embauche des détenteurs d’admission provisoire, qui ne nécessite désormais plus de demande d’autorisation préalable au canton. Bashkim Iseni, chef du BLI regrette toutefois que la publication de cet ouvrage n’ait pas été davantage médiatisée: «Les périodes de crise vont généralement de pair avec un repli identitaire, et dans la situation actuelle, il faut donc s’attendre à des difficultés accrues dans l’accès au travail des personnes migrantes. Toutes les mesures favorisant leur intégration, tel que ce guide, auront donc une importance cruciale» insiste le délégué à l’intégration.

L’on pourrait s’interroger sur la pertinence de la démarche valaisanne, qui conditionne d’une certaine manière l’octroi d’un permis B à l’accomplissement d’une formation certifiante, et la façon de procéder de Vaud et d’autres cantons, où nombre de jeunes sont prêts à accepter n’importe quel emploi non-qualifié en espérant obtenir rapidement le permis B. Vouloir encourager la formation, ou octroyer dès que possible un statut moins précaire sont deux positions défendables. Le problème semble toutefois résider plutôt dans le «non-statut» que constitue l’admission provisoire, attribué à des personnes ayant fui des situations de conflits armés, qui mériteraient donc un statut de protection conforme à la Convention de Genève sur les réfugiés[6].


[1] L’admission provisoire, un «non statut» qui divise le monde politique, swissinfo.ch, Stefania Summermatter, juin 2015.

[2] Rapport de séance du Grand Conseil genevois du jeudi 25 juin 1998. ge.ch

[3] Permis F: Admission provisoire ou exclusion durable?, Marie-Florence Burki, Mélissa Llorens, ODAE romand, octobre 2015.

[4] Marges de manœuvre cantonales en mutation, Swiss Forum for Migration and Population Studies (SFM), Johanna Probst, Gianni D’Amato, Samantha Dunning, Université de Neuchâtel, octobre 2019.

[5] Guide pratique pour intégrer votre personnel étranger, Hélène Agbémégnah (coordination), mars 2020.

[6] Asile et autres formes de protection, Achilleas Zavallis, UNHCR Suisse.

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