Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

L’empathie au cœur de sa révolution

Portrait de Beate Thalmann.
© Thierry Porchet

Pour Beate Thalmann, l’empathie mène naturellement à l’écologie et à une vision sociale du monde.

Physicienne, Beate Thalmann a commencé un apprentissage en arboriculture. Un outil de plus pour faire face à la crise climatique

Elle est l’une des douze prévenues dans le procès qui oppose des militants écologistes à Credit Suisse à Lausanne. Lors de l’audience en appel en septembre*, son témoignage a marqué par sa logique implacable. Cette physicienne de formation a dénoncé l’inaction des autorités à protéger sa population, alors que la Constitution elle-même les y oblige. «Soit les politiques doivent agir sérieusement contre le réchauffement climatique, soit ils doivent changer la Constitution, argue-t-elle. Nous défendons un droit fondamental qu’est celui du droit à la vie.» Sous son sourire d’ange, elle ne cache pas un certain cynisme face à la situation catastrophique de la planète.

Responsable de ses actes

Beate a grandi dans une famille de scientifiques, près de Francfort, dans la ville de Darmstadt. «On était plutôt écolo, mais pas avec une conscience aiguë de l’urgence. Mon père m’a surtout transmis que nous sommes responsables de nos actes. Des valeurs fortes héritées de son propre père qui a connu la guerre.» Spontanée et sincère, Beate Thalmann se raconte en toute humilité. Enfant, elle est solitaire, timide, joue du hautbois et suit un cursus scolaire quelque peu chaotique. «J’ai toujours eu beaucoup de problèmes à mémoriser, à me concentrer aussi. Je n’arrive même pas à me souvenir de la date de naissance de mon mari!, rit-elle. Alors l’histoire ou la géo, c’était vraiment compliqué pour moi.» Cependant elle excelle dans les branches, telle la physique, qui lui permettent d’utiliser son sens acéré de l’abstraction, de l’analyse et de la logique. Ce qui l’amènera à s’engager dans un doctorat au sein de la prestigieuse Université d’Oxford en Angleterre. Son sujet, en substance: la planification d’infrastructures civiles pour diminuer les gaz à effet de serre. Si l’environnement est déjà au cœur de sa recherche, le moment déclencheur de son militantisme se produit à la lecture de The burning question, de Mike Berners-Lee, en 2013. «J’ai paniqué et je me suis dit que c’était vraiment le moment de se bouger. Mais, autour de moi, tout le monde me disait de me calmer», se souvient-elle. Tenace, elle assiste à de nombreux séminaires et conférences sur le sujet et participe à des réunions écologistes. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, un Lausannois, Antoine Thalmann, activiste de la première heure. Elle déménage en Suisse, trouve des petits boulots alimentaires, apprend le français jusqu’à le parler quasi parfaitement – même si la perfectionniste estime qu’elle a encore beaucoup de progrès à faire.

Désobéissance civile

Sa rencontre en Angleterre avec le futur cofondateur d’Extinction Rebellion (XR) et militant de Rising Up!, Roger Hallam, la convainc du bien-fondé de la désobéissance civile. Beate Thalmann l’expérimente, notamment lors de blocages de mines de charbon avec le mouvement Ende Gelände en Allemagne. Puis, elle cocrée XR Suisse.

Peu avant, elle participe à la partie de tennis burlesque dans la succursale lausannoise de Credit Suisse. Le collectif Lausanne action climat veut ainsi interpeller Roger Federer, égérie de la banque climaticide. Beate Thalmann y a la fonction de «peacekeeper» (gardienne de la paix), un rôle qui lui sied bien, puisqu’elle s’est formée à la médiation et la communication non violente. «Le procès est finalement une bonne chose pour médiatiser notre cause. Mais c’est sûr que, personnellement, on préférerait être tranquilles. Heureusement, on est soutenus par des gens incroyables qui ont mené la campagne “Rogerwakeupˮ et par nos avocats qui travaillent bénévolement», explique l’aînée des prévenues, qui ne fait pas ses 35 ans et se fond ainsi aisément dans le paysage de sa nouvelle classe en tant qu’apprentie en arboriculture. Une nouvelle formation qu’elle adore, heureuse de travailler dehors et avec la nature. Même si l’académicienne doit encore physiquement s’endurcir. «J’ai un peu forcé sur une épaule la semaine dernière, et me voilà en congé maladie pour une semaine. Je dois encore muscler mes bras. Les jambes, heureusement, ça va!» souligne la cycliste au quotidien.

Des millions de morts

La physicienne motive ce changement de voie professionnelle par son besoin d’imaginer un futur dans la nature, au sein d’une communauté résiliente qui œuvre pour le bien commun. «La crise climatique va tuer des centaines de millions de gens. Je n’ai pas de problème à l’idée de mourir. J’ai déjà eu une belle vie. Mais j’ai peur de la violence générée par la faim et la soif, et des risques liés à une possible montée du fachisme et des dictatures», assène la militante, pour qui l’accroissement des inégalités est déjà le signe d’un affaiblissement de la démocratie. Face à la menace, elle estime que les autorités politiques n’ont pas d’excuse. «Si elles ne sont pas capables d’assumer leurs responsabilités, qu’elles démissionnent! Tout ce qu’on fait actuellement relève du symbolique. C’est trop lent, même si ça bouge dans la bonne direction. La Loi sur le CO2 ne permettra pas de maintenir le réchauffement à 1,5 degré, car ces mesures représentent à peine un cinquième de ce qu’il faudrait faire. Pourtant les mesures prises pendant la pandémie du coronavirus montrent que c’est possible de faire beaucoup plus.» Beate Thalmann ajoute: «Les gens ne se rendent pas compte des bouleversements déjà en cours… En Allemagne, il y a eu des pertes de blé énormes, mais les consommateurs n’ont rien remarqué, car le pays en a importé.»

Sombre, elle ne perd toutefois pas complètement espoir. «Je crois que ce qui peut sauver le monde, c’est la communication, dans le sens d’une véritable écoute pour une meilleure compréhension de l’autre. Si on fait preuve d’empathie, on est automatiquement plus écolo et plus social. Se battre pour le climat, c’est aussi lutter pour la survie de l’humain.» 

*La Cour d’appel cantonale a cassé le premier jugement qui acquittait les activistes. Ces derniers viennent de déposer un recours au Tribunal fédéral.