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Le devoir de ne pas abandonner

Victime de l'amiante brandissant un drapeau vert blanc rouge sur lequel on peut lire "Eternit Justice".
© DR

L’ouverture, ce 14 janvier, d’un nouveau chapitre important du procès Eternit bis à Verceil, dans le Piémont, ravive l’espoir des victimes de l’amiante.

Dix ans après le premier mégaprocès, les victimes de l’amiante de Casale Monferrato croient de nouveau à la justice

«Le long chemin vers la justice due aux milliers de victimes d’Eternit reprendra finalement le 14 janvier 2020.» C’est en ces termes que l’Association des familles et des victimes de l’amiante (Afeva) de Casale Monferrato a exprimé ses attentes, à la veille de l’ouverture d’un nouveau chapitre important du procès Eternit bis. Le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny, qui fut propriétaire et dirigeant d’Eternit du milieu des années 1970 jusqu’en 1986, y est accusé du décès de travailleurs et d’habitants provoqué par les usines italiennes de la multinationale de l’amiante-ciment.
Ce chapitre s’écrit à Verceil, où le juge chargé de l’enquête préliminaire devra se prononcer sur la demande de renvoi en justice du Parquet de la République, qui retient comme chef d’accusation contre Stephan Schmidheiny l’homicide volontaire.
La procédure, qui concerne 392 cas de travailleurs (un peu moins de 70) ou d’habitants tués par les poussières d’amiante que l’usine de Casale Monferrato répandait sur leur lieu de travail ou de vie, est l’un des volets du procès ouvert en 2015 à Turin puis subdivisé en quatre l’année suivante, par décision du juge chargé de l’enquête préliminaire au chef-lieu piémontais.

Nouveau départ à Verceil

Quatre instances judiciaires différentes sont ainsi appelées à s’occuper du dossier, pour des raisons de compétence territoriale: Turin, où Stephan Schmidheiny a été condamné le 23 mai dernier à quatre ans de réclusion pour homicide involontaire aggravé à la suite de la mort d’un ex-salarié de l’usine Eternit de Cavagnolo et d’une habitante des alentours de la fabrique entrés en contact avec l’amiante; Naples, où Stephan Schmidheiny est jugé par la Cour d’assises depuis le 12 avril 2019 et doit répondre du chef d’inculpation d’homicide volontaire pour la mort de six ouvriers de l’usine de Bagnoli ainsi que de deux de leurs proches; Reggio Emilia, où on attend encore les premières décisions du Parquet, qui s’occupe des victimes de l’usine Eternit de Rubiera; et enfin justement, Verceil, responsable du principal volet d’Eternit bis, qui concerne la tragédie de Casale Monferrato, la «cité martyre», avec plus de 2000 décès et un nouveau cas de mésothéliome et un enterrement par semaine. Mais cette ville est aussi devenue un symbole mondial de ténacité et de résilience, une cité non pas de l’amiante mais de la lutte contre cette substance mortifère.
Un combat qui se poursuit sans interruption depuis le début des années 1970. La société civile a pris le relais de la main-d’œuvre de l’usine, rendant possibles les procès déjà menés ou encore à venir. Le mérite des «femmes et des hommes de Casale» a d’ailleurs été souligné publiquement par l’ex-procureur de Turin Raffaele Guariniello (aujourd’hui à la retraite), un magistrat qui incarne la lutte contre la criminalité en col blanc. Responsable de l’enquête Eternit depuis le début, il est parvenu à mettre sur le banc des accusés Stephan Schmidheiny. Lors du premier grand procès organisé à Turin, il avait obtenu sa condamnation pour catastrophe environnementale permanente intentionnelle (16 ans en première instance et 18 en appel). Une condamnation finalement annulée par la Cour de cassation qui, dans son verdict controversé rendu en 2014, avait conclu à la prescription des faits reprochés.

La piste de l’homicide volontaire

L’audience préliminaire qui s’est ouverte le 14 janvier 2020 à Verceil, pour déterminer si Stephan Schmidheiny doit comparaître et sous quel chef d’accusation (homicide volontaire ou par négligence), intervient presque dix ans jour pour jour après l’ouverture, le 10 décembre 2009, du premier mégaprocès d’Eternit. Un procès historique, suivi avec un vif intérêt dans le monde entier et qui a duré deux ans avec 66 audiences auxquelles des centaines d’habitants de Casale – malades, proches de victimes, syndicalistes et militants de l’Afeva – ont fidèlement assisté, unis dans leur profonde affliction mais mus aussi par l’espoir, en réclamant avec leurs célèbres bannières tricolores que justice soit faite. Aujourd’hui encore, malgré les coups reçus, ils continuent d’en appeler à la justice.
Le désarroi actuel de la population de Casale Monferrato est bien compréhensible, car elle a la sensation de se retrouver à la case départ. Et après la sentence de la Cour de cassation, qui a pris tout le monde au dépourvu et qui a été un coup dur pour les malades, pour leurs proches et pour toute la communauté, la confiance accordée au système judiciaire est un peu ébranlée. «C’est bien naturel, après une telle déception», constate Bruno Pesce, leader historique des batailles contre l’amiante menées à Casale, avant d’ajouter qu’il ne faut surtout pas se résigner: «Nous avons le devoir de ne pas abandonner!»
Qu’est-ce qui a changé par rapport à 2009 dans la communauté de Casale, du point de vue de l’implication des gens et des attentes face à la justice? «La différence, explique Bruno Pesce, tient à ce que, comme le procès pénal d’alors se concentrait sur le crime de désastre environnemental, tout le monde se considérait en quelque sorte comme victime et donc a participé activement. Et comme il s’agissait d’une nouveauté au niveau mondial, il y a eu un véritable électrochoc dans la population locale, au-delà des proches des victimes. Il y avait un fort sentiment d’appartenance à une communauté qui se devait de réagir à la tragédie et de mener résolument cette bataille commune. Ce n’est pas que cet élan ait disparu, mais ce qu’a décidé la Cour de cassation et le passage du temps l’ont un peu affaibli.» Cela dit, nous devons comprendre que notre sensibilisation et notre participation ne peuvent ni ne doivent fléchir, car il n’est pas nécessaire d’avoir perdu un proche pour avoir le sens de la justice et de l’injustice, et parce que les victimes ne sont pas moins nombreuses qu’il y a dix ans. Au contraire, nous atteignons ces temps-ci un pic, avec 50 décès et 50 nouveaux cas de mésothéliome par an pour la seule ville de Casale, et même 70 si l’on tient compte des autres communes de la région. Il ne faut en aucun cas abandonner notre action en justice, le décès chaque semaine d’une nouvelle victime est là pour nous le rappeler. Nous avons le devoir de ne pas abandonner. Que dirions-nous sinon à ces nouvelles victimes?» conclut Bruno Pesce.

Traduction Sylvain Bauhofer.

Article paru dans Area le 20 décembre 2019.

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