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«Le désespoir n’est pas une option»

Des écolières et des écoles.
© Nai Qala

Le développement d’écoles enfantines est le projet phare de l’association. Elles aident les communautés rurales à accéder à l’éducation.

L’association Nai Qala, fondée en 2005 par Taiba Rahim, construit des écoles dans trois provinces reculées du centre de l’Afghanistan. Celle qui réside à Duillier (VD) lorsqu’elle n’est pas dans son pays d’origine, a réalisé très jeune l’importance de l’éducation

A Nai Qala, le village natal de Taiba Rahim, dont l’association porte le nom, il n’y avait pas d’école. Son père, «un homme modeste doté d’une grande vision», décide alors de déménager au sud de l’Afghanistan, dans la province de Helmand, pour permettre à ses neuf enfants d’être scolarisés. Taiba Rahim poursuit: «Il s’est dit que, dans ces montagnes, au milieu de nulle part, tout ce qu’il pourrait offrir à ses enfants, serait une vie de berger, comme la sienne. Il avait compris que le seul moyen de sortir de cette pauvreté était qu’ils aillent à l’école.»

C’est en hommage à son père, qui a eu le courage de partir pour une ville où il se sentait étranger, que Taiba construit la première école dans son village natal de la province de Ghazni, en 2007. «Personne ne devrait être obligé de quitter sa terre pour pouvoir étudier», souligne-t-elle. Depuis, ces quinze dernières années, Nai Qala, l’association qu’elle a fondée en 2005, a construit 14 écoles dans des vallées reculées des provinces de Daykundi, Bamiyan et Ghazni. Elle mène également une soixantaine de projets pour les enfants en âge préscolaire.

«Nous nous concentrons sur une région à la fois, et y construisons une école primaire autour de laquelle se trouvent une vingtaine de villages. On crée ensuite une école enfantine, et les enfants de ces vallées peuvent ainsi étudier jusqu’à la 12e année sans quitter leur région.»

Ces écoles enfantines constituent le nouveau projet de Nai Qala, qui enthousiasme beaucoup celle qui a été par le passé déléguée du CICR. Depuis 2019, l’association a formé 68 maîtresses pour la petite enfance: «Chacune compte autour d’elle au minimum dix membres de sa famille. Leurs frères, maris, parents et enfants, voient qu’elles ont un travail et croient en elles. Ils gardent ainsi espoir, s’impliquent et soutiennent l’école.»

Portrait de Taiba Rahim.
Taiba Rahim, dans les montagnes où sont bâties les écoles de Nai Qala. © Nai Qala

 

«C’est dans ces moments difficiles que l’on doit montrer notre détermination»

Pour Taiba Rahim et ses compatriotes restés au pays, «le désespoir n’est pas une option, même si le reste du monde n’y croit plus». En août dernier, à l’annonce du retour au pouvoir des Talibans, les maîtresses d’école de l’association étaient inquiètes. «Elles m’ont alors appelée. Plus tard, elles m’ont raconté que, derrière elles, se trouvait toute leur famille, suspendue à mes lèvres, après qu’elles m’ont mise sur haut-parleur et demandé si je ne les laisserais pas tomber.» La Vaudoise d’adoption leur assure alors qu’elle sera à leurs côtés, n’abandonnera jamais, et qu’ensemble, ils continueront à prendre soin des écoles et des enfants.

«Je n’oublierai jamais ce jour, confie-t-elle avec émotion. C’est dans ces moments difficiles que l’on doit montrer notre détermination, être unis, forts et rester positifs.» Celle qui passe neuf mois sur douze dans son pays natal se dit également très reconnaissante vis-à-vis de tous ceux qui soutiennent Nai Qala, et qui ont cru en elle, malgré la situation. «Ils ont compris que, pour le moment, il ne fallait pas perdre trop de temps avec les questions politiques, qui ne mènent à rien.»

En octobre 2021, Taiba était de retour en Afghanistan. Deux semaines après son arrivée à Kaboul, elle s’est rendue dans les régions de montagne où se trouvent les écoles: «Je tenais à encourager nos équipes et à voir comment les projets évoluaient. Ils n’ont pas arrêté le travail, si ce n’est durant deux semaines au mois d’août. Heureusement, il n’y avait pas d’obstacles particuliers à ce que les choses continuent.» Depuis, elle y est retournée à deux reprises, et prépare à présent la formation continue des enseignantes et le programme de la nouvelle année, qui débute avec le printemps, selon le calendrier afghan.

«Bamiyan compte parmi les quelques provinces où les filles, quel que soit leur âge, n’ont pas dû interrompre leur scolarité. Bien qu’elle soit pauvre et isolée, c’est une région relativement ouverte où l’instruction des filles est entrée dans les mœurs.» A son arrivée dans cette province montagneuse, Taiba remarque en effet des filles de tous âges sur le chemin de l’école. «Cela est devenu tellement habituel, que ce n’était même pas perçu comme un acte de résistance par la population, ça allait juste de soi qu’elles y aillent.»

Des maîtresses.
Des élèves dans la bibliothèque.
Des maîtresses d’école enfantine formées par Nai Qala et des élèves dans la bibliothèque d’une école construite par l’association. © Nai Qala

 

«L’impact de l’école enfantine va bien au-delà des 4 m2 de la classe!» 

En milieu rural, peu de distractions détournent les parents des travaux des champs, qui les occupent énormément. Taiba se souvient de l’anecdote racontée par un père de famille, qui avait l’habitude de se coucher rapidement, après ses dures journées de labeur: «A présent, notre fille insiste souvent pour nous chanter une chanson apprise à l’école. Je dis alors à ma femme qu’il faut l’écouter, pour ne pas qu’elle se mette à pleurer! Nos enfants nous gardent ainsi éveillés jusqu’à 21h, c’est un grand changement dans notre vie quotidienne», s’était-il enthousiasmé. «L’impact de l’école enfantine va bien au-delà des 4 m2 de la classe!» s’exclame l’hyperactive quinquagénaire, dont les projets continuent d’être soutenus par le Ministère de l’éducation afghan, malgré le changement de régime.

Influencer sans imposer, telle pourrait être la devise de celle qui veut prouver aux hommes, par son action, qu’une femme est capable de mener à bien un projet de construction. «Bâtir une école, c’est quelque chose de très concret! J’aimerais ainsi influencer leur manière de penser et servir d’exemple aux femmes.»

S’identifier à la présidente de Nai Qala est d’autant plus aisé, pour les femmes de ces vallées, qu’elle parle leur dialecte et qu’elle est née dans un village semblable au leur. «Je viens de là-bas et je sais sur quel point il faut toucher les gens, mais je les bouscule tout de même un peu en tentant de les sortir de leur zone de confort. Ils ont toutefois besoin de motivation pour cela, et qu’on leur donne des idées pour construire un avenir meilleur», s’exclame celle dont le sourire irradiant et le ton ferme donneraient des ailes aux plus désabusés.

«Aujourd’hui, 70% de la population afghane, hommes et femmes, sont illettrés. C’est catastrophique. En quarante ans de guerre, les Afghans n’ont jamais fait l’expérience d’une réelle stabilité et d’un Etat fort sur l’ensemble du territoire. Par conséquent, le système éducatif a également beaucoup souffert, regrette Taiba. Bien sûr, cela ne pourra pas changer en 24 heures, les fleurs prennent du temps pour pousser… il faut de la patience et de la détermination.»

L’Afghanistan vit une crise économique sans précédent et la famine menace. La stabilité retrouvée a toutefois rendu le chemin de l’école moins risqué pour les enfants des régions où les combats ont longtemps fait rage. Le Ministère de l’éducation a en outre annoncé la réouverture de tous les établissements scolaires pour filles, sans limite d’âge, pour la nouvelle année, qui débute le 22 mars en Afghanistan. «On verra bien ce qu’il en est, note Taiba, et on garde espoir! Quoi qu’il en soit, c’est aujourd’hui que l’on doit se soutenir, pas demain, quand tout sera plus facile…»

Plus d’informations sur l’association sur: nai-qala.org

«On ne peut aider les filles sans aider les garçons»

Ecolières et écoliers jouant ensemble.

 

Pour Taiba Rahim, même si la discrimination subie par la gent féminine dans son pays est incontestable, «on ne peut aider les filles sans aider les garçons». «En Afghanistan, on a des hommes qui n’ont pas encore digéré les relations hommes-femmes, poursuit-elle, et il y a un problème profond à ce sujet. Pour cette raison, il faut que les deux soient instruits!»

«Dans beaucoup de régions rurales, j’ai vu autant de garçons que de filles privés de la possibilité d’étudier, car tellement éloignés de tout. Il y a bien sûr des injustices visant les filles, mais je pense que, pour les aider, on a besoin que leurs frères, pères et maris aient aussi reçu des opportunités», et de conclure que, «si l’on ne te donne pas ta chance à toi, tu ne vas pas être ouvert à la donner à d’autres…»

Pour la présidente de Nai Qala, les écoles enfantines qui ont vu le jour sur environ un tiers du territoire afghan permettent d’amorcer des changements extrêmement positifs. Elle espère que le succès de ces projets pilotes donnera à son association la possibilité de s’implanter sur l’ensemble du territoire national.

Partout où elles existent, ces structures scolaires sont mixtes, point important, dans une société où peu de lieux le sont réellement. Une année d’école enfantine permet également de préparer les enfants à la suite de leur scolarité et de sensibiliser leurs parents à l’importance de l’instruction. Le décrochage scolaire est un problème, dans ces régions, où les enfants sont mis à contribution pour les différents travaux agricoles et ménagers. Dans ce but, des soirées entre parents sont organisées. «Le premier soir, les parents, souvent illettrés, se dévalorisent et ne voient pas en quoi ils pourront être utiles au projet. Je leur explique notamment que leur responsabilité consiste à habiller proprement leur enfant et à lui consacrer du temps, et que c’est là le droit de leur enfant. Ils me répondent qu’ils pensent en être capables et reprennent confiance en eux».