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«Le bonheur se cultive»

Portrait de Jonas Arjones.
© Thierry Porchet

Le travail de la terre procure à Jonas Arjones un sentiment d’utilité et de liberté.

Devenu maraîcher après une reconversion professionnelle, Jonas Arjones associe son métier à un engagement politique. Hors-champ

Du rouleau à peinture au sarcloir en passant par un stage dans le domaine éducatif ou encore à Unia, Jonas Arjones s’est essayé à plusieurs métiers avant de trouver sa voie professionnelle. Aujourd’hui, le jeune homme de 26 ans s’est lancé dans une aventure en phase avec sa sensibilité écologique et son souci d’indépendance, son besoin de se dépenser physiquement et un amour de la vie au grand air. Titulaire d’un CFC de maraîcher, le Neuchâtelois vient d’ouvrir, avec un ami d’enfance, sa propre exploitation dans le Val-de-Ruz. Et travaille une surface d’un hectare où il projette de cultiver une quarantaine de légumes bios, porté par un idéal politique et soucieux de la crise climatique. Le Neuchâtelois entend promouvoir une agriculture de proximité, respectueuse des sols et des circuits courts. Il écoulera ses produits via la vente de paniers et une présence hebdomadaire au marché – «Notre champ se situe à 600 mètres de là.» Il fait aussi partie de la coopérative D/Clic Terroir, une plateforme de distribution de denrées du crû. Le lancement de sa petite entreprise a bénéficié de différentes subventions, d’un financement participatif et de l’apport d’un privé. «Nous sommes partis de zéro. Nous n’avions pas de fonds propres, pas de terrain – nous le louons», précise Jonas Arjones qui, bien que sans expérience dans son nouveau domaine, s’est toujours passionné pour l’agronomie. Et se réjouit désormais de sa nouvelle orientation.

La beauté cachée des vers

«J’ai un sentiment de liberté et d’être utile. Et j’apprécie par-dessus tout la dimension politique de mon travail», ajoute le jeune homme, membre de l’organisation syndicale paysanne Uniterre, insistant sur l’importance de débattre, d’échanger et de redresser la barre des dysfonctionnements. «Les pouvoirs doivent se poser les bonnes questions, la pression populaire se maintenir. Je ne manifeste pas avec les mouvements climatiques mais suis actif dans mon milieu et auprès de ma clientèle. Je m’intéresse aussi par exemple à la captation de carbone», poursuit le maraîcher. Et d’insister sur l’effondrement de la biodiversité dans les sols, conséquence de pratiques peu vertueuses générant la disparition des vers de terre. Des animaux qui le fascinent. «Ils ne sont pas très beaux, mais tellement utiles. D’une beauté cachée», sourit le passionné aux mains terreuses, expressives, qui travaillait autrefois comme peintre en bâtiment. «J’ai renoncé à ce métier, même s’il était source de bons revenus. Trop de stress engendré par la pression des délais... des relations difficiles avec les clients... un ton sec avec les ouvriers. J’ai fini par faire un burn-out», raconte Jonas Arjones aussi en porte-à-faux avec «l’incohérence d’un bétonnage galopant». Sur les conseils de son psy, il entame sa reconversion professionnelle. Et, séduit par le travail des champs, monte en parallèle son projet avec son associé. Un virage qu’il n’a pas opéré à la légère, ayant tâtonné pour trouver son équilibre professionnel.

Entre deux mondes

Jonas Arjones effectuera un stage pour devenir maître socioprofessionnel qui ne le convainc pas. Il se familiarisera également avec le travail de secrétaire syndical une année durant à Unia Neuchâtel. Son expérience dans le bâtiment et sa maîtrise de l’espagnol, la langue d’origine de son père, sont autant d’atouts alors appréciés par son employeur. «J’ai côtoyé des personnes magnifiques, très dévouées à la cause, qui défendaient avec force les droits des salariés. J’ai également pu faire valoir ma double culture auprès des employés. Mais Unia, c’est aussi une grosse machine, un appareil lourd», souligne l’indépendant, restant attentif à un monde du travail en pleine mutation. Largement influencé par le philosophe français Bernard Stiegler, auteur de nombreux ouvrages sur l’automatisation et la numérisation de la société, Jonas Arjones s’interroge sur l’avenir. «Il y a de plus en plus de robots. Les 60% des postes risquent de disparaître. Ça fait froid dans le dos.» Un commentaire qui ne reflète pas pour autant une opposition à ce développement. «Tout dépendra de la manière dont on gérera cette technologie. A voir si elle permettra aux humains de dégager du temps pour des tâches plus créatives. Nous faisons face à des choix majeurs de société, d’où l’importance de voter, d’élire les bonnes personnes.» Les évolutions en cours concernent aussi le métier de maraîcher avec davantage de machines, d’outils connectés, etc. «Certains y recourront largement. Il y aura moins de travail manuel. Je me situe entre deux mondes, favorable à une certaine automatisation sous réserve de garder l’entière capacité décisionnelle», note le cultivateur qui se définit comme un réaliste.

Sans tabou

D’une grande sociabilité, Jonas Arjones n’imagine pas vivre sur une île déserte – «Je ne verrai alors que le suicide ou une bouteille de vin», sourit-il. Mais, s’il veut encore croire en les humains, il qualifie sa position d’ambivalente. Et confie, au rang de ses peurs, outre les dégâts qu’engendrera la poursuite de la hausse des températures, la guerre «à nos portes». «Elle m’évoque ma propre mort. Je l’assume mal, convaincu qu’il n’existe rien au-delà», note cet athée qui, en couple, réfléchit à fonder une famille au regard de la situation du monde. «Adolescent, je ne l’imaginais clairement pas, mais aujourd’hui, j’hésite... Ce serait aussi dommage de ne pas pouvoir transmettre les valeurs que je défends.» Celles de Jonas Arjones parlent de tolérance, d’ouverture à l’autre et d’empathie, son maître-mot. Il adore débattre, discuter de tous les sujets, sans tabou. Et rien ne l’irrite plus que les pensées réductrices, les jugements à l’emporte-pièce. «La vie n’est pas compliquée mais complexe», insiste le maraîcher, s’estimant heureux, «mais pas tout le temps», et rappelant que «le bonheur, ça se cultive»...